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N° 4102

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 avril 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

appelant à la libération des prisonniers de guerre arméniens,

 

présentée par Mesdames et Messieurs

François PUPPONI, Guy TEISSIER, Mohamed LAQHILA, Brahim HAMMOUCHE, Cyrille ISAACSIBILLE, Frédérique TUFFNELL, Nicolas TURQUOIS, Maud PETIT, Richard RAMOS, JeanPierre CUBERTAFON, JeanLuc LAGLEIZE, Emmanuelle ANTHOINE, Nadia ESSAYAN, Isabelle SANTIAGO, Jacques MARILOSSIAN, Vincent BRU, Jean LASSALLE, Marine BRENIER, Françoise DUMAS, JeanChristophe LAGARDE, MarieFrance LORHO, Brigitte KUSTER, JeanMichel MIS, Danièle CAZARIAN, Sylvain MAILLARD, Philippe CHALUMEAU, Michel HERBILLON, Bernard DEFLESSELLES, Julien RAVIER, Paul MOLAC, Pascale BOYER, JeanFélix ACQUAVIVA, Richard RAMOS, Constance LE GRIP,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan a unilatéralement rompu le cessez‑le‑feu qui prévalait depuis 1994 par une large offensive contre le Haut‑Karabagh. Appuyé logistiquement, matériellement et militairement par la Turquie, les forces azerbaïdjanaises ont largement progressé à travers la zone de contact entourant le territoire du Haut‑Karabagh mais également au Haut‑Karabagh proprement dit. Aux termes d’une déclaration sur le cessez‑le‑feu complet et la cessation de toutes les hostilités, signée par les dirigeants de l’Arménie, de la Russie et de l’Azerbaïdjan le 9 novembre 2020 (« Déclaration trilatérale »)([1]), les forces azerbaïdjanaises ont conservé les territoires qu’elles venaient de conquérir dans la zone de contact et au Haut‑Karabagh.

Les 11, 12 et 15 décembre 2020, soit à peine un mois après le cessez‑le‑feu, les forces armées azerbaïdjanaises, en violation de la déclaration trilatérale, ont lancé une attaque contre les villages de Khetsaberd et Hin Tagher dans la région de la Hadrout du Haut‑Karabagh.

À la suite de ces actions offensives, 64 militaires arméniens ont été capturés par les forces azerbaïdjanaises. Ces militaires capturés s’ajoutent à ceux qui étaient déjà détenus par l’Azerbaïdjan à la suite du conflit.

Les autorités azerbaïdjanaises ont par la suite annoncé leur refus de rapatrier les militaires arméniens capturés et, en fait, leur intention de les poursuivre. Cette position de l’Azerbaïdjan a été énoncée en détail dans une lettre datée du 28 décembre 2020 du ministre des affaires étrangères de l’Azerbaïdjan au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (A/75/689) et réitérée dans la déclaration du chef de l’État azerbaïdjanais du 26 février dernier affirmant que les détenus arméniens étaient des terroristes et des membres de groupes de diversion et ne pouvaient de ce fait prétendre au statut de prisonnier de guerre.

1. Cette position de l’Azerbaïdjan constitue une violation substantielle du paragraphe 8 de la Déclaration trilatérale, qui dispose, en termes non équivoques, que « Les Parties échangeront des prisonniers de guerre, des otages et autres détenus, ainsi que les corps ».

2. La position de l’Azerbaïdjan constitue en fait une tentative de se soustraire à sa responsabilité en refusant l’application du droit international humanitaire à la question (Conventions de Genève). L’application des Conventions de Genève ne présuppose pas nécessairement des hostilités de grande ampleur([2]) et n’est pas subordonnée à un certain niveau d’intensité des conflits armés([3]).

Les membres des Forces armées karabaghiotes actuellement détenus par l’Azerbaïdjan doivent se voir garantir le statut de prisonnier de guerre conformément à l’article 4 de la Troisième Convention de Genève, qui stipule notamment que « les membres des forces armées d’une Partie au conflit ainsi que les membres de milices ou de corps de volontaires faisant partie de ces forces armées » qui sont tombés en captivité sont considérés comme prisonniers de guerre et jouissent de tous les droits et protections garantis à ces personnes.

La Troisième Convention de Genève établit le principe selon lequel les prisonniers de guerre doivent être libérés et rapatriés sans délai après la cessation des hostilités actives conformément son article 118. Le refus de l’Azerbaïdjan de rapatrier les militaires arméniens et son intention d’engager des poursuites pénales contre eux est en fait une violation grave de la Troisième Convention de Genève.

Il convient également de souligner que, contrairement à ces principes établis du droit international humanitaire, l’Azerbaïdjan retarde également le rapatriement des prisonniers de guerre capturés antérieurement, qui sont tombés aux mains de l’Azerbaïdjan pendant les hostilités et entre la signature de l’accord de cessez‑le‑feu et le 10 décembre 2020.

Depuis le début de l’agression, des cas de traitements cruels, inhumains et dégradants, ainsi que des exécutions sommaires de civils et de militaires par les forces armées d’Azerbaïdjan ont eu lieu. Beaucoup d’entre eux ont été filmés et diffusés sur Internet, notamment l’exécution par les forces azerbaïdjanaises dans la région de Hadrout du Haut‑Karabagh de deux civils capturés. Les crimes de guerre commis par les forces armées azerbaïdjanaises ont également été abordés par la Haut‑Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, Michelle Bachelet qui s’est dite gravement préoccupée par les exactions que révèlent ces vidéos et qui attestent selon toute probabilité de crimes de guerre.

Obligation juridique des États tiers parties aux Conventions de Genève

Étant donné que le droit international humanitaire exige que le rapatriement immédiat des prisonniers de guerre et la libération des civils soient réalisés indépendamment de tout processus politique et qu’il devrait être assuré immédiatement après la cessation des hostilités, la politisation délibérée par l’Azerbaïdjan de la question purement humanitaire des droits des prisonniers de guerre et des civils captifs est tout à fait inacceptable et devrait recevoir une sanction adéquate.

Nous invitons les autorités françaises à prendre des mesures immédiates pour assurer la mise en œuvre sans délai par l’Azerbaïdjan de la Troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre et de la Quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et d’exiger de l’Azerbaïdjan, sous peine de sanctions, qu’il s’acquitte de ses obligations de prendre toutes les mesures conformément aux traités mentionnés afin de garantir aux prisonniers de guerre et aux civils tous les droits et protections qui leur sont accordés en vertu de ces traités.

 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant la guerre déclenchée par l’Azerbaïdjan avec le soutien militaire de la Turquie et de milices djihadistes contre le Haut‑Karabakh le 27 septembre 2020 et les violations du droit humanitaire, en particulier de la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre qui ont entraîné la mort ou le déplacement forcé de milliers d’Arméniens ;

Considérant la déclaration de cessez‑le‑feu du 9 novembre 2020 du Président azerbaidjanais, du Premier ministre arménien et du Président russe ;

Considérant que l’article 8 de cette déclaration vise l’échange des prisonniers de guerre, des personnes détenues ou des otages, et la restitution des dépouilles de soldats morts au combat ;

Considérant que la troisième convention de Genève, dont l’Azerbaïdjan et l’Arménie sont signataires, exige la libération des prisonniers de guerre comme des personnes civiles détenues dès la fin des hostilités armées, et exige un traitement humain des détenus durant leur captivité ;

Considérant que l’Azerbaïdjan, en dépit de ses engagements internationaux et en violation de la déclaration du 9 novembre 2020 continue à détenir plus de deux cent prisonniers de guerre dont leurs familles en Arménie ou au Haut‑Karabakh sont sans nouvelles, et plusieurs civils ;

Considérant qu’un certain nombre de ces prisonniers civils et militaires ont été capturés après la cessation des combats le 9 novembre, lors de raids militaires de l’armée azerbaidjanaise les 11, 12 et 15 décembre 2020 sur les villages de Khetsaberd et Hin Tagher du Haut‑Karabakh, profitant de l’absence de forces de maintien de la paix russes, en contravention complète de la déclaration de cessez‑le‑feu ;

Considérant que les atrocités quotidiennes commises par l’armée azerbaidjanaise et exhibées sur les réseaux sociaux durant la guerre sur des prisonniers arméniens, laissent craindre le pire pour les prisonniers d’Arménie et du Haut‑Karabakh toujours détenus en Azerbaïdjan ;

Considérant les mutilations dégradantes commises de façon répétée par l’armée azerbaidjanaise sur les corps de soldats arméniens tués au combat, et la torture psychologique infligée aux familles qui attendent depuis plus de cinq mois le retour des dépouilles de leurs proches ;

Considérant que l’Arménie a rempli l’ensemble de ses obligations relatives au retour des prisonniers et des corps de soldats azerbaidjanais ;

Considérant que la France est co‑présidente du Groupe de Minsk qui a salué l’arrêt des opérations militaires au Haut‑Karabakh et a appelé l’Arménie et l’Azerbaïdjan à continuer de mettre en œuvre pleinement leurs obligations au titre de la déclaration du 9 novembre, y compris leur obligation de respecter les exigences du droit international humanitaire, en particulier en ce qui concerne les échanges de prisonniers de guerre et le rapatriement des dépouilles ;

Invite le Gouvernement français à clairement exiger de l’Azerbaïdjan, sous peine de sanctions, le respect de ses engagements internationaux, la libération sans délai des prisonniers civils et militaires qu’elle détient toujours, et la restitution immédiate des corps des soldats arméniens tués au combat.


([1]) Déclaration trilatérale http://en.kremlin.ru/events/president/news/64384

([2]) Voir Commentary of 2020, Article 4: Prisoners of War, page web de la CICR: https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/Comment.xsp?action=openDocument&documentId=1796813618ABDA06C12585850057AB95

([3]) Ce principe a également été approuvé par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, qui a estimé que «l’existence d’une force armée entre États suffit à elle seule l’application du droit international humanitaire». Voir ICTY, Delalić Trial Judgment, 1998, para. 184 (see also para. 208); Tadić Decision on the Defence Motion for Interlocutory Appeal on Jurisdiction, 1995, para. 70; ICC, Lubanga Decision on the Confirmation of Charges, 2007, para. 207. The Special Court for Sierra Leone (SCSL) used the definition of international armed conflict proposed by the ICTY in Tadić; see SCSL, Taylor Trial Judgment, 2012, paras 563–566.