N° 4272
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 juin 2021.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête relative
aux dysfonctionnements survenus lors du premier tour
du renouvellement général des conseils départementaux,
des conseils régionaux et des assemblées de Corse,
de Guyane et de Martinique de juin 2021,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Jean‑Luc MÉLENCHON, Mathilde PANOT, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,
député‑e‑s.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 20 juin 2021, 2 français sur 3 ne se sont pas rendus aux urnes pour le premier tour des élections régionales et départementales. L’abstention, évaluée à plus de 66 % du corps électoral, est un record pour la Vème République pour des élections, loin devant le taux des élections européennes de 2009 où 59,4 % des électeurs s’étaient abstenus. Ce record est d’autant plus terrible chez les jeunes : 87 % d’abstention chez les 18‑24 ans et 83 % des 25‑34 ans.
Les carences de l’État dans l’organisation du scrutin avant et lors du premier tour du scrutin du 20 juin 2021 ont été nombreuses, et n’ont certainement pas été sans conséquences sur les taux d’abstention alarmants observés. Des bureaux de vote n’ont pas ouvert à l’heure prévue faute d’assesseurs, des bulletins de vote n’étaient pas disponibles dans certains bureaux, certaines communes n’avaient pas la liste des procurations, et la distribution de la propagande électorale confiée par le ministère de l’intérieur à l’entreprise Adrexo a été marquée par de très nombreuses défaillances. Le résultat de cette externalisation de la distribution de la propagande électorale est sans appel : des milliers d’électeurs n’ont pas reçu les circulaires des candidats et les bulletins de vote.
Des bureaux de vote fermés faute d’assesseurs
Le cas de Marseille a été le plus médiatisé. De nombreux électeurs ont trouvé leur bureau de vote fermé dimanche matin, faute d’assesseurs. Le problème aurait été résolu vers 11 heures. Selon la préfecture, 34 bureaux de vote ne disposaient pas de présidents dimanche à l’ouverture. La mairie a réquisitionné des fonctionnaires, mais sur les 40 présidents réquisitionnés, 20 manquaient à l’appel. Enfin, « un bug informatique » aurait touché les logiciels électoraux. Les électeurs et électrices de la cité phocéenne n’ont pas été les seuls à pâtir de ces défaillances, le même constat a été observé ailleurs, notamment à Saint Etienne.
Absence de bulletins de vote
À Cousolre (Nord), il n’y avait pas de bulletin pour la liste d’union de la gauche et des écologistes. Pendant des heures, personne n’a ainsi pu voter pour cette liste, ce qui soulève la question de la sincérité du scrutin. Ce n’est qu’à onze heures que la sous‑préfecture a réagi et vers midi que les bulletins ont pu être livrés. Une absence de réaction d’autant plus étrange que le garde des Sceaux, lui‑même candidat dans le nord, a voté le matin dans cette commune. N’avait‑il pas remarqué l’absence de bulletins de vote pour une liste adversaire ?
Le naufrage de l’externalisation de la distribution de la propagande électorale : notre démocratie privatisée
Dans sa réponse du 13 mai 2021 à une question écrite du sénateur Jean‑Louis Masson sur la distribution des professions de foi électorales et des bulletins de vote, le ministère de l’intérieur répondait avec assurance : « Il semblerait totalement anachronique d’empêcher l’État d’externaliser la distribution de la propagande jusqu’aux boîtes aux lettres des électeurs, secteur qui est aujourd’hui ouvert à la concurrence, alors même que l’État s’efforce d’optimiser ses ressources dans le cadre d’une politique générale de meilleure gestion des deniers publics ». Ce qui est anachronique, c’est plutôt que le Gouvernement de la sixième puissance mondiale ait été incapable de distribuer à nos concitoyens des documents essentiels en temps et en heure pour une élection. Ceux‑ci ont été privé des informations indispensables à la détermination de leur vote. Ces documents étaient d’autant plus importants que la crise sanitaire a réduit la capacité à faire campagne de manière satisfaisante.
Voilà où mène l’austérité et la privatisation de la démocratie, nouvelle illustration de l’absurdité politique d’ouverture à la concurrence du service postal autrefois assuré par le service public de La Poste. Dans sa réponse à cette question écrite, le ministère de l’intérieur se targuait même de s’être « donné les moyens de s’assurer de la qualité des prestations qui seront réalisées. L’accord‑cadre fixe un objectif de résultat et de délais. Le suivi des prestations à travers des rapports quotidiens lors des semaines précédant les élections permettra de s’assurer de la qualité de la réalisation des prestations demandées »([1]). Pourtant, qu’a‑t‑il fait lorsque nous alertions dès le 14 juin([2]) sur les défaillances et le risque d’aggraver une abstention conséquente déjà annoncée ? Rien. Nous avions pourtant dénoncé les centaines d’enveloppes contenant les professions de foi des candidats retrouvées dans des poubelles, les plis envoyés sans bulletins, sans circulaires ou avec des listes manquantes, ainsi que les zones entières privées d’envoi([3]).
Les députés de la France insoumise n’étaient pas les seuls à déplorer de tels dysfonctionnements. L’Association des maires de France, l’Assemblée des départements de France et régions de France ont fait de même. Ces dernières ont souligné dans un communiqué commun le 19 juin « la défaillance du service public national des élections est inacceptable et ne peut qu’alimenter l’abstention ». Des élus de gauche comme de droite ont manifesté leur indignation. Le jeudi 17 juin, Gérald Darmanin avait reconnu devant le Sénat que la société Adrexo avait « particulièrement mal distribué une partie de la propagande électorale » et s’était excusé au nom du Gouvernement. Néanmoins, il s’est contenté d’apporter une première réponse concrète seulement le dimanche 20 juin en fin d’après‑midi, soit 6 jours après nos premières alertes et une fois le premier tour achevé. Les préfets contrôleront donc l’envoi de la propagande électorale pour le deuxième tour de scrutin du dimanche 27 juin. Ils auront pour mission de superviser la mise sous pli et la distribution. Une cellule opérationnelle de suivi sera mise en place. Était‑il donc si compliqué de procéder de la sorte dès le premier tour ? Les préfectures et la Poste n’ont‑elles pas assuré pendant des décennies la distribution des bulletins de vote et des professions de foi des candidats sans qu’aucun dysfonctionnement ne puisse être constaté ?
De nouveau, le lundi 21 juin au matin, Gérald Darmanin, pourtant entièrement responsable des dysfonctionnements déclarait « À la suite des dysfonctionnements inacceptables liés à la qualité de l’acheminement de la propagande électorale du premier tour des élections départementales et régionales, j’ai convoqué ce matin les dirigeants des sociétés Adrexo et la Poste ». Il leur aurait rappelé « l’obligation de résultats qui les liait et demandé de garantir que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent pas dimanche prochain » et annonçait « Tous les enseignements des erreurs commises seront tirés au lendemain du second tour de ces élections »([4]). Pourquoi n’a‑t‑il pas réagi plus tôt, lui qui prétendait dans sa réponse à la question écrite citée plus haut, suivre « à travers des rapports quotidiens lors des semaines précédant les élections […] la qualité de la réalisation des prestations demandées […] Si l’administration constate une non‑conformité des prestations réalisées par rapport aux exigences fixées, elle peut s’appuyer sur les clauses de pénalités fixées à l’accord cadre et appliquer des pénalités pour retard ou pour non‑respect des obligations contractuelles »
Au lieu que le ministère de l’intérieur tire seul les enseignements des erreurs commises dont il est l’unique responsable, nous proposons qu’une Commission d’enquête parlementaire se saisisse de l’ensemble des dysfonctionnements constatés. Toute la lumière pourra être ainsi faite sur les carences étatiques dans l’organisation des élections régionales et départementales de juin 2021 qui ont conduit à ce désastre démocratique.
proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres sur les dysfonctionnements observés lors du premier tour du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique de juin 2021. Cette commission d’enquête :
1° A pour mission d’évaluer et de quantifier l’ensemble des dysfonctionnements et leurs conséquences sur le taux d’abstention très élevé lors des élections régionales et départementales de juin 2021. Elle examine en particulier les conséquences de la sous‑traitance de la distribution du matériel électoral ;
2° Détermine la responsabilité de l’État ;
3° Émet des recommandations pour éviter que lesdits dysfonctionnements ne se reproduisent lors des prochaines échéances électorales.