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N° 4989

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 février 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à étudier les conditions de travail, salariales, la formation et la reconnaissance de la spécificité des soignants de réanimation,

présentée par Mesdames et Messieurs

Marine BRENIER, Philippe BENASSAYA, Maxime MINOT, Pierre VATIN, Mansour KAMARDINE, Isabelle VALENTIN, Bérengère POLETTI, Ian BOUCARD, Didier QUENTIN, Constance LE GRIP, JeanPierre DOOR, Vincent DESCOEUR, Brigitte KUSTER, Bernard PERRUT, Bernard REYNÈS, Éric PAUGET, Robin REDA, Geneviève LEVY, Véronique LOUWAGIE, Josiane CORNELOUP, Yves HEMEDINGER, Robert THERRY, JeanLuc REITZER, Valérie BEAUVAIS, Michel HERBILLON,

députés.

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis plusieurs décennies, les soignants ont fait preuve de ténacité dans un système de santé en perdition. Saluons le courage accru dont ils font preuve depuis maintenant deux ans. Pourtant, ils doivent faire face à des difficultés humaines et matérielles qui les empêchent dans leur capacité d’agir, ayant conduit à plusieurs reprises à déprogrammer un certain nombre d’interventions.

Plus encore, ils nous font part régulièrement de leur lassitude, de leur fatigue. Tout en maintenant le navire à flot depuis plusieurs années, nos soignants sont épuisés et désemparés devant le manque de reconnaissance et de moyens de la part de l’État envers leurs professions.

Cette crise de la COVID‑19 aurait au moins eu le mérite de nous permettre de tirer un bilan de la situation de notre système hospitalier. Celle‑ci est critique. Et sans réelles propositions, tant sur le plan de la revalorisation des carrières, que des moyens alloués aux établissements, notre système, qui était considéré comme le meilleur au monde, restera dépassé et pris à la gorge.

Le manque le plus flagrant au sein de l’hôpital français est le manque de « lits », matériellement mais surtout en terme de personnel pour s’occuper des patients. Nos soignants s’en inquiètent depuis longtemps et nous ont averti de ce danger qui pesait sur notre système bien avant le début de la crise. Pourtant, le Gouvernement n’a pas agi en ce sens. Nos hôpitaux se sont retrouvés rapidement saturés, même lorsque des plans d’action étaient mis en place pour en ouvrir de nouveaux. Nous avons tous en tête l’intervention urgente de notre service de santé des armées dans la Région Grand Est au début de la crise. L’obligation de devoir créer des hôpitaux de campagne était nécessaire, car nos services étaient dépassés.

Pour en comprendre les raisons, il faut remonter à plus loin. A titre de comparaison, en 2013, nous avions 44 lits de réanimation pour 100 000 habitants. Aujourd’hui, nous en avons 37.

Si nous avions gardé le même ratio qu’à l’époque, nous aurions eu au 1er janvier 2020, 5 949 au lieu de 5 080. En 2020, ce sont 5 700 lits d’hospitalisation complète qui ont été supprimés en France, malgré l’épidémie de Covid‑19.

Cette diminution du nombre de lits dans notre pays est aujourd’hui justifiée par le Gouvernement par le coût que peut représenter un lit. Ce dernier représenterait 115 000 euros de déficit annuel. Si tel est le cas, il est urgent de trouver un moyen de diminuer ce déficit, afin d’être à nouveau en capacité d’en ouvrir. Car le vieillissement de la population française et les besoins que cela représente au niveau hospitalier, notamment en soins intensifs et en réanimation, va se trouver en confrontation réelle avec le peu de lits disponibles.

On estime la croissance du nombre de personnes âgées à 1,70 %/an, contre une croissance des capacités hospitalières pour les lits de réanimation à 0,17 %/an. La nette différence d’évolution entre les deux va encore plus creuser le manque de lits et nos capacités à bien prendre en charge nos aînés et à accompagner leurs fins de vie.

Mais cette remise en question de notre organisation, de notre gestion des lits, ne peut se faire sans accompagner dans sa globalité, le métier de soignant de réanimation. C’est à ce titre d’ailleurs que les soignants de réanimation se battent pour une reconnaissance toute particulière de leur métier.

Avec les accords du Ségur de la santé, les avancées sont réelles, mais insuffisantes. C’est d’ailleurs plus particulièrement le cas pour les soignants de réanimation, là où le turnover est le plus important. Ces démissions régulières soulèvent plusieurs questions, comme le salaire, la reconnaissance des compétences techniques, ou encore la pression morale et les responsabilités importantes qui pèsent sur eux.

Pour eux, une spécificité réelle de leur métier existe et il convient de faire la différence entre le poste occupé (qui dépend de la structure), le statut (qui ne dit rien des compétences), la qualification (même si elle est requise) et le diplôme.

Ils demandent d’ailleurs depuis plusieurs années une reconnaissance des compétences spécifiques des soins et techniques de leur métier, concernant la prise en charge des patients dits « lourds ». C’est un effort physique et une appétence technique à part entière et il convient aujourd’hui de les identifier et de les valoriser.

Prise en charge également de leur souffrance émotionnelle et psychique. 80 % des soignants paramédicaux disent avoir une charge émotionnelle forte voire très forte au travail. L’urgence dans laquelle ils travaillent, les cas graves, la gestion des familles et régulière des décès sont des poids conséquents dans leurs conditions de travail. Nous devons trouver de vraies solutions pour diminuer leur stress et la pression qu’ils subissent, mais aussi repérer les personnels dits « en danger », pour mieux les accompagner.

Et cela passe bien évidemment par une revalorisation de leur salaire. Il faut savoir que 47 % des soignants de réanimation ont une ancienneté de moins de cinq ans. C’est trop peu pour espérer créer de la stabilité au sein d’un service et développer de vrais profils compétents pour la réanimation.

Dans ces conditions, 85 % des soignants estiment qu’une revalorisation salariale supplémentaire est nécessaire pour stabiliser les effectifs. A nous là aussi de mettre les moyens nécessaires pour garder nos soignants et plus particulièrement ceux de réanimation, dont l’appétence est de plus en plus rare

et pourtant si utile.

Qui dit appétences, dit formation et diplôme. C’est la dernière attention que nous souhaitons apporter au sein de cet argumentaire. Oui nous devons revaloriser les compétences et le salaire des soignants de réanimation.

Mais nous devons également nous poser la question du trop peu de soignants dans ces services et du manque réel de formation de ces derniers et de leurs successeurs.

Et cela commence dès la licence. Celle‑ci ne permet pas d’obtenir de compétences spécifiques aux soins de réanimation. La formation doit donc se faire sur le tas, entre soignants qualifiés et arrivants. Cela n’est non seulement pas normal mais peut être changé. D’autant que le coût de la formation d’un infirmier par exemple en service de réanimation est colossal : avec le système de « doublage », qui consiste à être accompagné durant deux mois par un infirmier déjà intégré au service, ce sont deux salaires payés pendant ce temps de formation, pour un seul soignant pleinement exploité.

Une fois formés, une grande majorité des soignants quittent les services de réanimation. Le turnover évoqué précédemment a lieu en moyenne tous les trois à cinq ans. Et avec la crise sanitaire, les soignants nous rapportent régulièrement des vagues anticipées de départ, voire de démission totale de la fonction publique hospitalière au sein de ces services

Pour eux, le ratio implication‑connaissances techniques à acquérir‑charge mentale contre le salaire actuel n’est pas satisfaisant.

La conséquence directe est qu’ils coûtent chers à l’État, partent vite, souvent par découragement, et leurs appétences et leur motivation à protéger leurs concitoyens ne sont pas exploitées.

Plus globalement, nous avons un problème en France de reconnaissance des métiers de réanimation. A titre de comparaison, l’Allemagne, la Belgique ou la Suisse reconnaissent le métier d’infirmier de réanimation. Nous n’avons pas de diplôme, ni de formation diplômante dédiée à l’exercice de la réanimation, contrairement aux métiers de bloc, de l’anesthésie ou de pratique avancée. Nous devons fournir cette reconnaissance identique à la réanimation, au risque de voir disparaître leurs compétences techniques.

Enfin, cette proposition de résolution met l’accent sur le métier des aides‑soignants de réanimation. Ces derniers sont confrontés à des pathologiques extrêmement graves, des techniques bien supérieures à ce qui leur est enseigné durant leur brève formation et à une charge émotionnelle plus important qu’ailleurs. En plus des tâches courantes et de la gestion de leur binôme avec l’infirmier, dans sa fonction « aider, alerter et être vigilant », l’aide‑soignant accompagne, soutient les familles, tout en devant faire d’une grande concentration et réactivité.

Pourtant, l’aide‑soignant a peu de qualifications. Il est donc indispensable de créer une formation spécifique pour les aides‑soignants de réanimation, afin de valider les différentes compétences nécessaires. Tout comme les infirmiers, apprendre sur le tas ne suffit pas et encore moins à les faire rester. Contrairement à ces derniers, les aides‑soignants quittent en moyenne les services tous les deux ans, soit une à quatre années plus tôt.

Nous devons donner envie à tous ces soignants de s’identifier à la réanimation. Il est de la responsabilité du législateur et du pouvoir exécutif de se saisir de tous ces enjeux. L’urgence est à la reconnaissance de leurs métiers, de leurs compétences et fournir à tous les futurs soignants une formation à la hauteur de la difficulté et de la pression de ces services.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles R. 4311‑1 à R. 4312‑92 du code de la santé publique,

Vu l’article D. 712‑109 du code de la santé publique,

Vu le décret n° 2016‑1605 du 25 novembre 2016,

Vu la loi n° 2009‑879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires,

Vu l’avis du Conseil économique, social et environnemental du 13 octobre 2020,

Vu le tome 1 du rapport de la Cour des comptes 2021,

Vu les accords du Ségur de la santé,

Considérant que la croissance des capacités hospitalières est de 0,17 % par an et que celle du nombre de personnes âgées est de 1,70 % par an ;

Considérant que le turnover dans les services de réanimation était déjà de 24 % en 2015, soit bien avant la crise de la covid‑19 et que 80 % des soignants actuellement considèrent avoir une charge émotionnelle forte ;

Considérant que 47 % des soignants de réanimation ont une ancienneté de moins de cinq ans et que 85 % des interrogés estiment nécessaire la revalorisation salariale pour stabiliser les effectifs ;

Considérant que la France ne reconnaît pas le métier d’infirmier de réanimation et ne propose ni diplôme, ni formation diplômante dédiée à l’exercice de réanimation et que c’est également le cas pour les aides‑soignants de réanimation ;

Considérant qu’il existe un réel problème d’effectif au sein de nombreux services de réanimation et que la réglementation en vigueur pour la prise en charge des patients est trop lourde ou peu suivie ;

1. Invite le Gouvernement à étudier la question du coût d’un lit de réanimation, actuellement estimé comme en déficit annuel de 115 000 euros, pour compenser le manque de lits actuel et à venir dû au vieillissement de la population et à comprendre comment retrouver le même ratio de lits qu’il y a dix ans ;

2. Suggère que soit étudié l’identité propre du métier de réanimation, notamment par la reconnaissance des compétences spécifiques, des soins et techniques indispensables à la bonne prise en charge des patients dits « lourds » ;

3. Invite le Gouvernement à dialoguer avec les personnels de réanimation, toutes qualifications confondues, sur la question de leur rémunération spécifique ;

4. Suggère que soit étudiée la possibilité de créer un diplôme reconnaissant le métier d’infirmier de réanimation ainsi que celui d’aide‑soignant ;

5. Souhaite qu’un audit national sur la charge de travail en réanimation soit lancé pour constater les besoins réels, savoirs et savoir‑faire à acquérir pour le métier de réanimation ;

6. Invite le Gouvernement à modifier la loi au travers de l’article D. 712‑109 du code de la santé publique, définissant le nombre de patients pris en charge par les infirmiers et aides‑soignants au sein des services de réanimation et à proposer des outils pour s’y tenir.