Description : LOGO

N° 5146

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mars 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à concrétiser un accueil digne pour tous les réfugiés en provenance d’Ukraine ,

présentée par Mesdames et Messieurs

Sébastien NADOT, JeanFélix ACQUAVIVA, Delphine BAGARRY, Françoise BALLETBLU, Guy BRICOUT, Émilie CARIOU, JeanMichel CLÉMENT, PaulAndré COLOMBANI, Jennifer DE TEMMERMAN, Frédérique DUMAS, Olivier FALORNI, Elsa FAUCILLON, Régis JUANICO, Jean LASSALLE, JeanPhilippe NILOR, Danièle OBONO, Bertrand PANCHER, Michèle VICTORY,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 24 février 2022 à 5h48, Vladimir Poutine, assis derrière son bureau, annonce depuis Moscou lors d’une allocution à la télévision le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie : « J’ai pris la décision d’une opération militaire spéciale », précise‑t‑il. La déclaration de guerre est faite. L’agresseur russe est parfaitement identifié.

Kiev, Marioupol, Donetsk, Kharkiv, Odessa : les principales villes ukrainiennes se réveillent sous le feu des explosions et des bombardements. Pendant que l’effroi gagne l’Ukraine et le monde, les convois de troupes russes pénètrent dans le pays depuis le nord, l’est et la Crimée annexée par la Russie depuis 2014. Frappes aériennes, immeubles et habitations éventrées, électricité coupée, cadavres jonchant le sol, la terreur est installée. Elle provoque un exode massif de population à l’intérieur du pays et depuis l’Ukraine vers les pays voisins.

En 2015, l’intensification des combats en Syrie avait provoqué des départs massifs de villes comme Homs ou Alep vers les pays voisins – Turquie, Liban, Irak… pour ensuite se diriger vers des pays plus éloignés de l’Union européenne. On peut d’ailleurs remarquer que le pilonnage incessant des quartiers d’Alep‑Est par les aviations russes et syriennes étaient le résultat d’une stratégie délibérée de pousser la population à quitter les villes, vers l’exil. Obliger les populations à fuir leur propre pays est une partie de la stratégie militaire russe. L’agression de l’Ukraine par la Russie du Président Poutine s’installe dans la durée. La guerre est là. L’incertitude sur l’issue du conflit est entière. Dans pareille confrontation, il y a les conquêtes territoriales et militaires, il y a également le sort des populations. Usant des mêmes recettes qu’en Syrie, l’armée de Vladimir Poutine semble avoir cet objectif de vider les grands centres urbains ukrainiens, de sorte notamment de déstabiliser l’adversaire européen par un afflux massif de réfugiés.

La manière d’accueillir les réfugiés au sein de l’Union européenne et de parer à cette tentative de déstabilisation aura des répercussions directes sur l’issue du conflit. Au moment crucial de l’afflux de réfugiés syriens en 2015, la France n’avait pas « pris sa part » et avait laissé son partenaire allemand se débrouiller avec quelques autres pays de l’Union européenne puis avec la Turquie. L’absence de solidarité française, si elle venait à être renouvelée lors de l’exode ukrainien, aurait des conséquences désastreuses, à la fois sur la cohésion de l’Union européenne et sur les suites de cette guerre, sur le sort de nombreux civils ukrainiens mais aussi sur ce que nous sommes devenus comme pays. La France ne peut continuer de faire croire qu’elle est bien intentionnée si elle ferme systématiquement la porte au nez de ceux qui sont dans le besoin ou en souffrance. Il en va du respect de la dignité humaine, de nos partenaires européens, de nos engagements internationaux, comme de notre « identité au monde » de pays des droits de l’homme.

Par sa Décision n° 2018‑717/718 du 6 juillet 2018, le Conseil Constitutionnel a clairement rappelé que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle en France. L’enjeu d’un accueil digne pour les réfugiés est donc essentiel.

Dans son discours du 25 février 2022, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé que « La France, comme tous les autres pays européens, prendra sa part pour assister la population ukrainienne, mais aussi pour accueillir des réfugiés venus de ce pays ». A la fin du mois de février, le ministre des affaires étrangères déclarait : « Accueillir les réfugiés ukrainiens est un devoir d’asile au sens strict du terme. » Dans son adresse aux français du 2 mars 2022, le Président de la République est revenu sur la question : « Plusieurs centaines de milliers de réfugiés venant d’Ukraine sont et seront accueillis sur notre continent. La France prendra sa part. Et je veux ici d’ores et déjà remercier nos villes et nos villages qui ont commencés à se mobiliser. Remercier nos associations, qui aussi œuvrent pour accueillir dans les meilleures conditions. Nous nous organisons et nous prendrons soin de celles et ceux qui rejoignent notre sol pour être protégés. La France prendra aussi sa part en accueillant les enfants forcés à l’exil, séparés de leurs pères restés combattre, et ce en étroite collaboration avec les associations et les ONG qui œuvrent déjà sur place et dans notre pays ».

Le lendemain, réunis le 3 mars 2022 à Bruxelles, les ministres de l’Intérieur des pays membres de l’UE ont décidé d’accorder une "protection temporaire" dans l’Union européenne aux réfugiés fuyant la guerre en Ukraine. Cette décision est historique car il s’agit de la première fois que les États membres s’accordent, à la majorité qualifiée (au moins 15 États sur 27, représentant 65 % de la population), pour activer la directive de 2001 sur l’accueil des personnes déplacées.

Cette directive permet aux réfugiés venus d’Ukraine de séjourner jusqu’à trois ans dans l’UE, d’y travailler, d’accéder au système scolaire et d’y recevoir des soins médicaux.

Mais par‑delà ces beaux discours d’intention, l’Union européenne, et en son sein la France, est‑elle prête, se prépare‑t‑elle, se donne‑t‑elle les moyens pour accueillir les populations en provenance d’Ukraine ?

Coté Union européenne,

– à ce stade, aucun plan de répartition formelle des réfugiés entre les pays membres n’est prévu. Sans préjuger d’une question d’ordre et de nature très différente qu’est l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, pourquoi ne pas aller plus loin ? (S’il s’agit bien dans le déclenchement de la directive et l’octroi d’une protection temporaire, de faciliter le chemin et la vie quotidienne des exilés le temps du conflit) Pourquoi ne pas octroyer les mêmes droits aux réfugiés venus d’Ukraine qu’aux citoyens des pays membres de l’UE ? Deux avantages évidents en découleraient : alléger la pression exercée sur les régimes d’asile nationaux (et les structures administratives qui les sous‑tendent) et permettre aux personnes déplacées de jouir, là où elles se rendent, de droits harmonisés concernant le séjour, l’accès au marché du travail et au logement, l’assistance médicale et l’accès des enfants à l’éducation.

– Les traités européens donnent une compétence générale à l’Union en matière d’asile. Le droit dérivé – règlement ou directive – peut donc en découler à la suite d’un accord politique entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen : l’occasion de créer un véritable « asile européen » est là, avec un baptême du feu pour la nouvelle Agence de l’Union européenne pour l’asile (bâtie sur les cendres du Bureau européen d’appui en matière d’asile, l’Agence de l’Union européenne a officiellement commencé ses travaux le 19 janvier 2022).

La Présidence française du Conseil de l’Union européenne est une occasion historique de progresser en matière d’asile à l’échelle du continent, et de permettre de sortir des égoïsmes nationaux par le haut. C’est également l’occasion de sortir de la relation bilatérale franco‑britannique pour les situations spécifiques du littoral Nord de Grande‑Synthe à Calais et négocier un accord global entre l’Union européenne et le Royaume‑Uni.

Coté France, le risque de belles intentions politiques affichées mais ne trouvant pas leur concrétisation est grand. Les envois de colis vers l’Ukraine ou la Pologne sont nécessaires mais ne peuvent en aucun cas être considérés comme suffisants. La puissance publique doit anticiper, organiser et relayer la solidarité nationale française en ayant conscience de ses faiblesses.

En effet, la France est très mal préparée. Le rapport de la commission d’enquête sur « les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France » a notamment mis en lumière des points essentiels :

– Le parcours qui précède l’arrivée sur le territoire national est extrêmement éprouvant et rien n’est fait pour en tenir compte

– Le sous‑dimensionnement des places d’hébergement d’urgence est persistant

– L’insuffisance de l’offre de logements sociaux se poursuit

– La mauvaise répartition des demandeurs d’asile sur le territoire est une évidence

– La gestion interministérielle des questions migratoires est quasi‑inexistante, car uniquement centrée et pilotée par le ministère de l’Intérieur

– Le dialogue est très difficile entre les services de l’État et les associations humanitaires

– L’absence de prise en compte des personnes réfugiés dans la construction de leur nouveau projet de vie nuit à leur intégration

– La barrière de la langue est importante pour beaucoup

– La difficulté générée par la dématérialisation des procédures s’ajoute aux autres difficultés

– Le problème structurel de sous‑dimensionnement des services préfectoraux chargés du droit des étrangers n’est pas compensé par les bénéfices des usages du numériques qui ne peuvent pas tout.

– Les difficultés à établir un bilan sanitaire et social et la médiocre prise en charge médicale des étrangers se constatent partout

– Les difficultés à construire un parcours d’insertion sociale et professionnelle sont difficile à surmonter, pénalisant les réfugiés comme notre marché du travail

Le nombre de titres de séjour délivrés en France est en moyenne de 250 000 par an sur les 5 dernières années. A ce stade, on peut projeter qu’avec les réfugiés venus d’Ukraine, ce nombre pourrait être multiplié par 2 pour la seule année 2022, avoisinant au total 500000 personnes à accueillir sur le territoire national. Il s’agit probablement d’une fourchette basse. « L’Europe peut s’attendre à 5 millions de réfugiés », a déclaré le 7 mars Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères.

Il faut donc établir une nouvelle géographie des services d’accueil provisoire et d’intégration et des lieux d’accueil dans la durée.

Il faut donc établir une nouvelle méthode administrative.

Il faut également une organisation politique nationale adaptée à la nouvelle situation, laquelle doit s’articuler agilement avec le niveau européen.

Il faut enfin rétablir le dialogue avec toutes les parties prenantes habituelles de l’accueil et de l’intégration pour répondre à cette mobilisation solidaire sans précédent du peuple français.

– Considérant la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés (Résolution N° 2198 (XXI) adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies), et notamment l’article 1er de la Convention : « le terme “réfugié” s’appliquera à toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »

– Considérant le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, particulièrement dans son Article 67 (ex‑article 61 TCE et ex‑article 29 TUE) et Article 78 (ex‑articles 63, points 1et 2, et 64, paragraphe 2, TCE)

– Considérant le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en France (CESEDA)

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Invite le Gouvernement à affréter des bus pour aller chercher les réfugiés au plus près des lieux de vie qu’ils viennent de quitter, au plus près de là où ils sont ;

Invite le Gouvernement à déployer des équipes d’officiers de protection de l’Office Français de la Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) en charge de l’instruction des demandes d’asile en Ukraine, Pologne, Moldavie, Hongrie, Roumanie et Slovaquie, vers un système « d’OFPRA européen » ;

Invite le Gouvernement à déployer des missions foraines d’officier de protection de l’OFPRA en charge de l’instruction des demandes d’asile à Dunkerque, Briançon et Menton pour parer au risque de saturation ;

Invite le Gouvernement à transformer les Centres de Rétention Administrative en centres ouverts de prise en charge de l’instruction des demandes d’asile, d’accueil, d’information, de démarches d’intégration et d’hébergement des premiers jours des réfugiés ;

Invite le Gouvernement à la réquisition des bâtiments publics ou militaires non affectés ;

Invite le Gouvernement à suspendre toute évacuation de squat ou campement illicite sauf pour motif impérieux de sécurité ;

Invite le Gouvernement à créer un Haut‑commissariat aux réfugiés et migrants rattaché aux services du Premier ministre avec des prérogatives interministérielles et européennes, destiné au dialogue et l’action concertée pour l’efficacité de l’accueil et de l’intégration avec toutes les entités concernées ;

Invite le Gouvernement à organiser un pilotage précis, avec une clef de répartition des réfugiés parmi les 13 régions métropolitaines, 5 régions outre‑mer et autres territoires français et à prévoir un financement spécifique des collectivités, territoires et organisations accueillants ;

Invite le Gouvernement à désigner un niveau de collectivité associé à un opérateur national, parmi les grandes associations implantées sur les territoires, pour organiser la collecte puis la distribution des dons et biens en fonction des besoins identifiés ;

Invite le Gouvernement à mobiliser tous les personnels et retraités du monde éducatif volontaires pour un plan massif d’apprentissage de la langue française, en lien avec l’éducation nationale et les associations opérant déjà dans ce domaine, avec une attention particulière aux enfants scolarisés mais aussi en considérant la formation pour adultes en langue française comme essentielle ;

Invite le Gouvernement à mobiliser pleinement Pole emploi afin d’inscrire au plus vite les réfugiés dans une démarche vers l’emploi ;

Invite le Gouvernement à recenser les personnels de santé parmi les réfugiés et mettre en place des formations dédiées pour qu’ils puissent être en situation de travail en France au plus vite.