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N° 5189

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mars 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à plus de dialogue avec les collectivités territoriales dans la gestion du service public des déchets,

présentée par

Mmes Valérie SIX et Béatrice DESCAMPS,

députées.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Mercredi 16 mars 2022 est paru au Journal officiel l’arrêté modifiant le cahier des charges de la filière de responsabilité élargie du producteur (REP) pour les emballages ménagers. Cette réforme prévoit que les éco‑organismes reprennent certains flux d’emballages en plastique. Les éco‑organismes seront ensuite chargés d’assurer à eux seuls le développement de filières industrielles.

La modification de ce cahier des charges s’inscrit dans le cadre de la construction d’une véritable « filière déchet », avec une massification d’un flux d’emballages plastiques normalisé afin de développer et d’investir dans des solutions de recyclage innovantes, notamment par voie chimique, et d’investir dans de nouvelles installations de surtri ([1]). Ces évolutions poursuivent des objectifs louables, qui permettront de « tendre vers l’objectif de 100 % de plastique recyclé d’ici le 1er janvier 2025 » ([2]).

Toutefois, cette réforme porte atteinte au rôle joué par les collectivités territoriales dans le service public du traitement des déchets. Rappelons que l’article L. 2224‑13 du code général des collectivités territoriales (CGCT) confie la responsabilité aux communes pour le traitement des déchets des ménages. Or, cette réforme du cahier des charges marque un changement de stratégie inquiétant, en donnant à l’éco‑organisme le contrôle exclusif de la plupart des flux de déchets d’emballages en plastique.

Les critiques portent tout d’abord sur la temporalité de ces nouvelles dispositions : le nouveau cahier des charges prévoit des objectifs qui excèdent la durée de l’agrément dont bénéficient les deux éco‑organismes de la filière emballages ménagers, prévu jusqu’au 21 décembre 2022. Il apparaît donc nécessaire de préciser les marges de manœuvre dont disposeront les parties prenantes de l’élaboration du futur agrément, pour la période courant à partir de 2023.

Concernant les mesures elles‑mêmes, le nouveau cahier des charges modifie profondément la place des collectivités territoriales dans la filière de recyclage des emballages plastiques ménagers. L’arrêté publié confie un rôle opérationnel obligatoire et exclusif à l’éco‑organisme dans la reprise des flux les plus moins qualitatifs (appelés « flux développement ») et des flux issus du tri simplifié des plastiques, mais aussi dans la gestion des refus de tri. Ainsi, à partir de 2026, la majeure partie des flux plastiques sera confiée aux éco‑organismes, puis exploitée par des acteurs privés du recyclage ayant contracté directement avec celui‑ci.

Se pose alors la question de la transparence sur le devenir de ces matières plastiques. Dans le système actuel, les repreneurs (entreprise ou fédérations d’entreprises) doivent apporter des preuves de recyclage aux collectivités. Or, rien n’est précisé pour les éco‑organismes. L’arrêté ne fait par ailleurs aucune mention d’éventuels contrôles ou sanctions encourues par les éco‑organismes qui ne réaliseraient pas leur objectif de 90 % de recyclage du flux développement à compter de 2025. Ce manque de transparence prive les collectivités d’un droit de regard sur une partie de la gestion des déchets, alors même que ce service public est soumis à un certain nombre de principes, comme la proximité dans le transport des déchets. Ce dernier doit permettre de « répondre aux enjeux environnementaux tout en contribuant au développement de filières professionnelles locales et pérennes ([3]) ». Or, aucune précision n’est faite dans ce cahier des charges à ce sujet. Enfin, le manque de transparence est d’autant plus grave que la reprise de ces flux par les éco‑organismes est financée via l’éco‑contribution, dont s’acquittent les consommateurs à l’achat d’un appareil électrique ou électronique, ou d’un bien d’ameublement.

En outre, un problème se pose lorsque les communes ont déjà consenti à des investissements importants en matière de recyclage. En effet, certaines d’entre elles ont procédé à des investissements importants dans des centres de tri capables d’effectuer un tri complet des plastiques. Une dérogation a toutefois été introduite pour permettre aux collectivités ayant déjà modernisé leur centre de tri (ou engagé une démarche de modernisation) de trier le standard « en développement » en plus de deux flux. L’idée est de permettre aux centres capables de réaliser un tri plus fin de ne pas avoir à investir pour limiter le tri aux deux flux prévus par l’arrêté.

Par ailleurs, cette réforme placera l’éco‑organisme dans une position de juge et partie dénoncée par la présente proposition. Par exemple, les refus de tris issus des centres de tri sont soumis à des critères de performance. Le respect de ses critères conditionne le financement de la reprise de ces flux. Or, en tant que repreneur unique, l’éco‑organisme sera alors seul juge pour estimer si les matériaux répondent aux critères définis et peuvent donner droit au versement d’un soutien. Il pourrait alors refuser des lots. Le contrôle du respect de la qualité du standard devrait donc être confié à une entité neutre.

Au‑delà de ces constats, la nouvelle filière du recyclage des plastiques doit avoir des objectifs clairs, intégrant des études d’impact sur son opportunité économique et environnementale. L’objectif affiché est notamment d’investir dans des solutions de recyclage innovantes notamment par voie chimique, comme le recyclage enzymatique. D’une part, la plupart des tonnages visés font déjà l’objet d’un recyclage mécanique et ont déjà leur propre débouché. Par exemple, le polyéthylène téréphtalate clair (PET clair) dispose déjà d’une branche de recyclage mécanique efficace, avec les bouteilles en PET recyclé. D’autre part, à l’heure actuelle, le gain environnemental du recyclage chimique reste incertain, comme le montre un rapport de l’Agence européenne des produits chimiques paru en août 2021 ([4]).

Enfin, la création d’une filière innovante ne doit pas venir en lieu et place de la filière locale, parfois déjà existante et fonctionnelle. Qu’il s’agisse du recyclage ou de la réduction des déchets et de leur réemploi, les collectivités territoriales doivent être des véritables parties prenantes, en ce qu’elles disposent des réseaux et de la connaissance des structures de l’économie circulaire.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 de son Règlement,

Vu l’arrêté du 15 mars 2022 portant modification de l’arrêté du 29 novembre 2016 modifié relatif à la procédure d’agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des emballages ménagers,

Considérant que l’arrêté précité du 15 mars 2022 étend le champ d’intervention des éco-organismes dans la reprise des déchets plastiques domestiques ;

Considérant que l’élargissement ce champ d’intervention n’est pas accompagné des garanties suffisantes en termes de transparence sur le devenir des déchets plastiques ;

Considérant que les collectivités territoriales sont compétentes en matière de traitement des déchets ménagers ;

Considérant les investissements réalisés localement par ces collectivités, ainsi que leur connaissance des filières de recyclage locales ;

Invite le Gouvernement :

-         à agir pour un rééquilibrage des échanges et des décisions entre industriels et collectivités en matière de gestion des déchets et dans les orientations des filières de recyclage ;

-         à s’engager à ne prendre aucune décision susceptible de remettre en cause les investissements réalisés par le service public de gestion des déchets ;

-         à clarifier les objectifs de la politique de recyclage des déchets plastiques en y incluant des clauses de transparence et de respect des principes de l’économie circulaire ;

-         à prévoir une étude d’impact environnementale et économique sur le développement de filières de recyclage, y intégrant une comparaison avec les filières déjà existantes au niveau local.


([1]) Projet d’arrêté portant modification de l’arrêté du 29 novembre 2016 modifié relatif à la procédure d’agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des emballages ménagers

([2]) Article 5 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (dite loi « AGEC »).

([3]) Article L. 541-1 du code de l’environnement

([4]) Rapport de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) : “Chemical recycling of polymeric material from waste in the circular economy”, août 2021