N° 5191
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 avril 2022.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
présentée par Mesdames et Messieurs
Jean‑Paul DUFRÈGNE, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE Pierre DHARREVILLE, Sébastien JUMEL, Karine LEBON, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC.
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Plusieurs décennies de repli des services publics sous le signe des économies budgétaires (Révision générale de politiques publiques en 2007, Révision de l’administration territoriale de l’État en 2010, puis Modernisation de l’action publique en 2012) ont durablement marqué les territoires.
Ces vagues successives de réformes de l’action publique se sont traduites par la fermeture de nombreux services publics, accentuant dans les territoires ruraux, souvent éloignés des infrastructures de transport et dépourvus d’infrastructures numériques, le sentiment de relégation.
La question de l’accès aux services publics est redevenue, comme l’a montré cette crise sanitaire, une question centrale pour lutter contre la déprise de certains territoires et un enjeu prioritaire pour l’attractivité de ces zones. Sans population, les services publics ont vocation à disparaître et, là où les services publics ne sont pas accessibles, de nouveaux habitants ne s’installeront pas.
Les territoires ruraux désignent, désormais selon l’INSEE, l’ensemble des communes peu denses ou très peu denses d’après la grille communale de densité. Ils réunissent 88 % des communes en France et 33 % de la population.
À notre niveau, les conséquences de la situation dont nous héritons aujourd’hui pour nos territoires, c’est le scepticisme, une gestion des besoins en fonction des intérêts propres, au cas par cas en fonction de l’urgence. Force est de constater que l’immédiat ne sied pas à l’action, car soit on est autoritaire, soit on est superficiel. C’est aussi la perte de repères, une politique des territoires perçue avec raison comme une mécanique froide. Il ne s’agit pas de critiquer une hyperspécialisation de certaines fonctions, mais de déplorer l’emprise d’une technocratie qui se débarrasse de ceux qui envisagent la sphère publique autrement.
Pour la ruralité, le clivage entre territoires de rente et territoires d’opportunités pose précisément la question des inégalités. Par la rente, on maintient des situations acquises, l’immobilisme social et chaque échelon dans sa situation initiale. Elle isole les acteurs, entraîne la récompense de la paralysie, reste mortifère pour l’idée de progrès. Le refus de toute forme de risque, le refus de l’ouverture aussi parfois, produit un carcan de normes qui fige les situations et mène au conservatisme. Conservatisme pour les individus, contraints de rester à leur place, conservatisme pour les territoires en général, en freinant toute transformation profonde.
En revanche, en posant les conditions ouvrant les opportunités, on redistribue les cartes de jeu et on permet l’épanouissement de chacun. L’image de la ruralité, les discours inhérents aux politiques publiques concernant les territoires ruraux ont commencé à changer. Considérer les campagnes comme des territoires d’opportunités, c’est renverser les symboles, mettre fin aux conservatismes dès lors qu’ils sont des obstacles à l’impératif de justice, c’est porter l’idée du mouvement. Il s’agit de promouvoir l’innovation plutôt que l’immobilisme, la création face à l’inertie.
Depuis quelques années, les dynamiques de métropolisation n’ont fait qu’illustrer les velléités légitimes des populations à un meilleur accès aux services et aux biens, qu’ils soient publics ou communs. La volonté de prise en compte de ces besoins par tous ne doit pas être vécue comme une revendication identitaire ou une politique d’enfants gâtés qui ignoreraient la réalité. Dans une société qui devient de plus en plus mobile, dans un monde qui va vite, donner un sens c’est aussi descendre d’un cran dans l’échelle des problèmes, là où les leviers d’action publique deviennent plus clairs ; c’est favoriser la fluidité sociale qui renouvelle nos pratiques et permet les réussites. Ce que demandent les habitants, c’est de pouvoir peser sur le quotidien, nous devons être en capacité de répondre à l’exigence de proximité de notre société.
Si cette exigence de proximité peut être synonyme de repli localiste lorsqu’elle est mal accompagnée, elle peut être le levier d’interactions nombreuses, le levier d’un développement vertueux facilité par des territoires et personnes ayant un projet commun.
Loin des clichés et de la rancœur, ce qui importe c’est de mettre les réalités sur la table. Quelles perspectives et quel développement ? Il ne suffit pas de dire que l’on reviendra un jour sur les transferts de compétence, parler ressources fiscales, puis s’en offusquer pour enfin s’étonner que ce n’est pas assez. À la condamnation morale, pas toujours aussi intransigeante qu’on pourrait parfois l’imaginer, s’ajoute rarement le passage à l’action.
Pour éviter les exclusions, il nous faut construire un capital collectif accessible à tous. Il appartient précisément aux pouvoirs publics d’assurer par le renforcement des services publics un accès égal de tous à des besoins élémentaires, quel que soit son territoire. Nous parlons des infrastructures de transports, des services publics, mais aussi des ressources environnementales ou de l’accès aux nouvelles technologies et à leurs usages, qui ne sont pas aujourd’hui identiques sur tous les territoires. Il appartient à la puissance publique d’en assurer le meilleur accès dans une logique d’inclusion maximale. Le « commun » sera aussi le fruit des logiques de partage de solidarité et de coopération qui naissent entre les individus, quand l’accès et l’usage éclipsent la propriété.
En matière d’accessibilité aux services publics, loin de la croyance selon laquelle le développement du numérique allait permettre de réduire la fracture territoriale, les retards accumulés dans la couverture de l’ensemble des territoires ruraux n’ont fait que l’aggraver. Du fait de la disparition de guichets de proximité, les emplois locaux des opérateurs publics (La Poste, Pôle emploi et caisses de Sécurité sociale) sont concentrés dans les chefs‑lieux de départements et les métropoles. Cette suppression de services, combinée à l’absence de couverture numérique (15 % du territoire ne bénéficie toujours pas de la 4G et 30 % des habitants des communes de moins de 1 000 habitants ne disposent pas d’un débit de 3 Mbits/s) a été génératrice d’exclusion.
L’accès aux services publics, au sens large, reste un enjeu‑clé de revitalisation des territoires ruraux. Et cette question de l’accessibilité ne peut être examinée seulement en nombre de services pour une population donnée, ni en distance kilométrique entre les lieux d’habitat non denses et les services mais doit aussi prendre en compte les temps moyens d’accès. Une donnée qui ne concerne pas que les services publics mais, plus largement, les services de la vie courante. Ainsi, une étude de la Banque de France publiée en juin 2019 indiquait que 600 000 personnes de plus de 15 ans vivent dans une commune située à plus de quinze minutes en voiture de la commune la plus proche équipée d’un distributeur de billets.
La parole publique ces dernières années plaide ardemment pour la « mutualisation au service de la proximité ». Si tous les services publics doivent être accessibles par voie numérique d’ici fin 2022, ce mode d’accès ne saurait être exhaustif dans la mesure où il exclut non seulement les 13 millions d’habitants frappés d’illectronisme mais encore ceux qui ne sont pas à l’aise avec la langue écrite. Pour tous ceux‑là, la présence d’un guichet physique est indispensable. C’est tout l’enjeu du développement des Maisons France services, qui s’inscrivent dans la continuité des maisons de services au public actuellement implantées.
Quant à l’accès à l’enseignement primaire dans les territoires ruraux, la fermeture de classes ou d’écoles, consécutive à l’évolution démographique, participe à la spirale de la déprise et au sentiment d’abandon.
La fermeture d’un service public, au‑delà du lieu, déstabilise l’ensemble d’un territoire, d’une collectivité locale. L’école, la gendarmerie ou le tribunal constituent l’élément d’un tout. Le service public est également un lieu de sociabilité. C’est aussi pour cela que les gens s’accrochent à un bureau de poste, au maintien d’une classe. Les conséquences sont aussi économiques : quand un service public s’en va, ce sont tous les salaires des fonctionnaires qui partent, avec un effet direct sur l’économie et les commerces locaux. Cela a un effet boule de neige.
Les territoires ruraux ont aujourd’hui de nouvelles fonctions. Si les questions locales et nationales se transforment, c’est parce que le monde dans lequel nous vivons est lui‑même en mouvement. Toutes les régions sont aujourd’hui concernées par le départ, le transit ou l’accueil de populations, de plus en plus mobiles, aux profils de plus en plus diversifiés. Cela implique autant de s’intéresser à leurs trajectoires, leurs difficultés, leurs espoirs que de la façon dont nous les accueillons et dont le territoire peut éventuellement être perturbé par leur arrivée. Aussi, les phénomènes auxquels nous faisons face doivent être abordés à l’aide de catégories nouvelles ou du moins renouvelées. Il s’agit de caractériser les attentes, leur inscription dans l’espace et leur contribution à notre territoire.
Comme le souligne une note de France Stratégie sur la répartition territoriale des emplois publics, « plus l’agglomération principale est importante, plus le taux d’administration est élevé. Les grandes métropoles comptent près de 10 emplois publics pour 100 habitants ; ce chiffre monte à 12 pour la zone d’emploi de Paris. De leur côté, les zones rurales ont un taux moyen d’administration inférieur de 30 % à celui des grandes métropoles, tandis que les autres zones urbaines se situent dans une position intermédiaire, avec un taux compris entre 7,7 et 8,5 pour 100 habitants. Si ces écarts moyens masquent toutefois une très grande hétérogénéité au sein des catégories de zones d’emploi, les zones des grandes métropoles présentent, elles, une homogénéité. »
France Stratégie constate également, à caractéristiques comparables, que « le taux d’administration diminue lorsque le taux de chômage progresse. Passer de 10 % à 15 % de taux de chômage est ainsi associé à une baisse du taux d’administration de 8 %. Par ailleurs, les zones à fort potentiel financier apparaissent mieux dotées globalement en emploi public que les autres : l’écart entre déciles extrêmes de potentiel fiscal est de 6 %. ».
Les territoires en déprise démographique sont aussi ceux qui perdent le plus d’emplois publics, aggravant leurs difficultés et leur potentiel d’attractivité. Les habitants se trouvent également dans des situations problématiques liées à la mobilité, à l’accès aux services, aux coûts engendrés par la perte de proximité du fait de l’explosion des prix du carburant.
Les territoires les plus urbanisés gagnent davantage d’emplois publics, aggravant les disparités. Il ne s’agit pas de les supprimer, ils sont évidemment justifiés. Mais l’effet de ciseaux aggrave les disparités dans le service rendu à la population. Un rééquilibrage est nécessaire au profit de la ruralité.
Le maintien de l’emploi public en zone rurale est un facteur déterminant au développement du territoire. Il participe au dynamisme économique local, à l’attractivité, au lien social, à l’écosystème du bassin d’emploi, à des conditions équitables pour un développement de services de proximité. Nous le constatons, par exemple dans l’éducation nationale, une classe fermée ne suppose pas que le service éducatif au sein du territoire puisse se passer d’un poste, qui peut potentiellement être affecté à une nouvelle fonction.
C’est ainsi que nous proposons que soient redéployés, au sein d’un même département, les emplois publics d’État lorsqu’un service ferme ou réduit ses effectifs.
proposition de rÉsolution
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Considérant que le maintien de l’emploi public en zone rurale est un facteur déterminant au développement du territoire et à des conditions équitables pour un accès équitable aux services de proximité ;
Invite le Gouvernement à créer des postes dans les secteurs déficients ;
Invite le Gouvernement à maintenir un seuil minimal d’agents publics dans les départements, dans de nouvelles fonctions lorsque les emplois sont supprimés, au même niveau de qualification ;
Propose au Gouvernement la publication d’un rapport annuel sur la situation des emplois publics d’État par département, chaque année avant le 30 juin de l’année N+1 pour l’année N.