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N° 664

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur
le coût de la vie dans les départements et régions d’Outremer,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Johnny HAJJAR, Christian BAPTISTE, Elie CALIFER, Philippe NAILLET, Boris VALLAUD, Joël AVIRAGNET, MarieNoëlle BATTISTEL, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Inaki ECHANIZ, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, Gérard LESEUL, Anna PIC, Christine PIRES BEAUNE, Dominique POTIER, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Mélanie THOMIN, Cécile UNTERMAIER, Roger VICOT, Tematai LE GAYIC, Jiovanny WILLIAM, Olivier SERVA, Marcellin NADEAU, Sandrine ROUSSEAU, Nathalie BASSIRE, JeanHugues RATENON, JeanPhilippe NILOR, Max MATHIASIN, Perceval GAILLARD, JeanVictor CASTOR, Davy RIMANE, Estelle YOUSSOUFFA, Stéphane LENORMAND, Emeline K/BIDI, Frédéric MAILLOT, Mansour KAMARDINE, Ségolène AMIOT, Frantz GUMBS, Moetai BROTHERSON, Marc LE FUR, Philippe GOSSELIN,  Aurélien PRADIÉ,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 7 septembre 2022, les signataires de l’Appel de Fort‑de‑France ont été reçus à l’Élysée dans le cadre d’une séance de travail ayant pour objectif de résoudre les problèmes structurels et conjoncturels des territoires dits ultramarins, de manière endogène et d’ouvrir de véritables perspectives de développement notamment économique et social.

Face à un contexte récurrent de crise économique et sociale particulièrement marqué par un mal développement, une augmentation de la pauvreté, de la précarité et du chômage, le phénomène de la vie chère et du coût exorbitant de la vie revient de manière régulière et continue, avec une ampleur sans précédent, accroissant ainsi de manière considérable les inégalités entre les citoyens des outre‑mer et ceux de l’hexagone. Les territoires d’Outre‑Mer sont classés aujourd’hui parmi les plus pauvres de France.

Comme vous le savez, la spirale inflationniste actuelle frappe d’autant plus nos concitoyens dans ces territoires que les prix y sont déjà considérablement supérieurs à ceux de l’Hexagone. Mais cette vie chère n’est pas uniquement le fruit de cette nouvelle et énième spirale inflationniste. Il s’agit en réalité de la conjonction de 4 déterminants à la fois structurels et conjoncturels :

– Des niveaux de vie et de revenus significativement moins élevés qu’en Hexagone ;

– Des prix effectivement et fortement plus élevés qu’en Hexagone ;

– Un sous‑financement des collectivités territoriales ;

– Un traitement de l’État injuste et inéquitable vis‑à‑vis de ces territoires.

En premier lieu, les niveaux de vie et les revenus sont significativement moins élevés dans les Départements et Régions d’outremer (DROM) que dans l’Hexagone :

En effet, en 2018, le niveau de vie médian annuel le plus haut dans les Antilles et la Réunion atteint 17 000 euros alors qu’il atteint près de 24 000 euros en Île‑de‑France. Selon une étude réalisée à La Réunion, la vie chère s’expliquerait à 80 % par un problème de revenu et à 20 % par un problème de prix. Par ailleurs, la réduction depuis 2017 de l’abattement fiscal dans les DROM a provoqué une diminution conséquente, directe, immédiate et continue du pouvoir d’achat des ménages imposables. Ce qui s’est traduit par un accroissement de l’impôt sur le revenu 5 fois plus important dans les DROM que dans l’Hexagone ces dernières années. Or l’on peut considérer que l’abattement de l’impôt sur le revenu dans les DOM est légitime, étant donné que les ultramarins ne bénéficient pas de services publics au niveau de ceux dispensés par l’État dans l’Hexagone et qu’ils supportent de nombreux surcoûts. Les Outre‑mer ne bénéficient pas non plus de dotations de continuité territoriale « équitables » mais seulement d’une enveloppe de 45 millions d’euros pour 2,7 millions d’habitants, contre 190 millions d’euros pour la Corse, peuplée d’environ 330 000 habitants et éloignée de moins de 600 km des côtes françaises.

En second lieu, les prix sont structurellement et conjoncturellement plus élevés dans les territoires ultramarins que dans l’Hexagone et ce phénomène est bien étayé.

Ainsi, selon l’Autorité de la concurrence, les écarts de prix sont particulièrement criants dans l’alimentaire : ils ont atteint 38 % en Martinique en 2019 par exemple, et cette vérité se retrouve dans tous les DROM.

Autre exemple, selon l’ARCEP en 2019, le prix de l’internet est de 35 % plus élevé par rapport à l’Hexagone. Bien sûr, ces différences considérables s’expliquent par plusieurs facteurs.

– Tout d’abord, les territoires ultramarins sont à l’origine quasi‑uniquement conçus comme des terres de consommation à partir d’importations massives et exclusives en provenance de la France et de l’Europe. Dès lors, les facteurs d’éloignement géographiques par rapport à la France continentale, d’insularité de ces territoires éloignés (exception faite de la Guyane) génèrent des contraintes majeures et des surcoûts permanents. En effet, cette réalité provoque des coûts d’infrastructure, d’approche, de transport et de stockage des biens très importants. Ces coûts sont renchéris par la présence de nombreux intermédiaires le long de la chaîne d’approvisionnement, ainsi que par des éléments de fiscalité.

– De plus, l’étroitesse du marché intérieur et la faiblesse des productions locales provoquent une faiblesse concurrentielle et consolident des positions oligopolistiques et monopolistiques historiques. L’autorité de la concurrence note que l’intégration verticale, c’est‑à‑dire la présence d’un même acteur aux différents niveaux de la chaîne joue sur la concurrence et que c’est bien l’accumulation des marges des acteurs tout au long de la chaîne de production et de distribution des produits de grande consommation qui explique les écarts de prix avec l’Hexagone.

– En outre, ces concentrations avérées ne favorisent pas la démocratie économique en rendant nos populations d’autant plus captives.

Ces écarts de prix structurellement importants en défaveur des DROM sont aggravés par des phénomènes conjoncturels, tel le contexte géopolitique comme la guerre en Ukraine et des catastrophes naturelles liées aux changements climatiques. En effet, elles génèrent une diminution des productions notamment agricoles, donc une rareté des produits, ou une spéculation sur la production énergétique qui augmente davantage cette inflation car agissant directement sur la chaîne de formation des prix.

Troisièmement, le sousfinancement structurel des collectivités locales par rapport à celles de l’Hexagone, démontré dans le rapport Patient/Cazeneuve, est valorisé à près de 200 millions d’euros par an pour ce qui concerne la péréquation nationale.

La Cour des comptes a dénoncé en 2017 un traitement inéquitable des DOM sur le plan de la péréquation nationale. Ce traitement défavorable a été reconnu également par le Président de la République en 2019. Et la réforme de la péréquation nationale qui s’en est suivie, avec un rattrapage a minima de la DACOM (55 millions d’euros au lieu de 167 millions d’euros) ciblé sur les DOM les plus pauvres, n’a fait que plonger les Antilles dans une impasse budgétaire totale.

Ce sous‑financement structurel des collectivités territoriales est aggravé dans les 4 DOM historiques en raison de leur Contribution au Redressement des Finances publiques (CRFP) depuis 2014.

En cumulé depuis 2014, l’État a ainsi prélevé 869 millions d’euros sur le budget des communes de ces DOM, ce qui après la hausse de la péréquation génère un déficit net de près de 400 millions d’euros en 2022. D’où la dégradation des finances communales et des délais de paiement devenus insoutenables pour les entreprises.

Et l’État qui a prélevé 869 millions d’euros sur le budget des communes des DOM, pour les soutenir ne leur reverse que 30 millions d’euros, échelonné sur 3 ans à travers les COROM.

Quatrièmement, le traitement de l’État visàvis de ces territoires ultramarins est inéquitable et injuste par rapport à ceux de l’hexagone.

En effet, tout un ensemble de dispositifs qui soutiennent l’économie et le pouvoir d’achat des ménages ultramarins a déjà été ponctionné et est menacé de disparaître afin de réduire davantage le déficit de l’État :

– La TVA non‑perçue récupérable des entreprises, supprimée pour 100 millions d’euros en 2018 ;

– L’allègement des cotisations sociales des travailleurs indépendants (diminués de 40 millions d’euros à partir de 2018) ;

– L’abattement de l’Impôt sur le Revenu comme évoqué précédemment (70 millions d’euros avec une visée finale de 400 millions d’euros) ;

– La défiscalisation (passée de 1 milliard d’euros en 2011 à moins de 500 millions d’euros en 2022) ;

– La menace de suppression de l’octroi de mer et son remplacement par une TVA à 20 %.

Tous ces déterminants, non exhaustifs, nécessitent donc approfondissement, précision et prospective pour résoudre effectivement et durablement ce problème de fond du coût exorbitant de la vie dans les Outremer.

Cela démontre et justifie l’importance de la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la vie chère dans les OutreMer. Cette commission d’enquête est d’autant plus importante, qu’elle permettra d’actualiser les données et connaissances qui datent pour la plupart de 2019, c’estàdire avant la crise sanitaire liée au COVID- 19 dont nous savons qu’elle a aggravé la situation des populations et des territoires de l’ensemble des DROM. Ainsi, cette commission d’enquête que nous appelons de nos vœux devra chercher à dresser une appréciation objective, globale et détaillée, pragmatique, de l’ensemble des causes contribuant directement et indirectement à la cherté de la vie via un travail réaliste afin d’y apporter des réponses à court, moyen et long terme qui soient à la hauteur des enjeux et défis à relever.

Cette commission avait d’ailleurs déjà été demandée à plusieurs reprises : dans le rapport AdamGuionFirmin de 2019 à la suite d’une mission d’information faite au nom de la Délégation aux Outremer ou plus récemment dans le rapport pour avis de Johnny Hajjar présenté au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi de finances pour 2023 et dont le thème choisi était le coût de la vie dans ces territoires dits « d’Outremer ».


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête, composée de trente membres, chargée d’étudier et d’évaluer l’ensemble des mécanismes qui concourent au coût de la vie dans les départements et régions d’Outre‑mer régis par l’article 73 de la Constitution.