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N° 1100

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à tendant à la création d’une commission d’enquête
sur les origines de l’inflation 2022-2023 en alimentation
et en biens de consommation courante,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Julien DIVE, Isabelle PÉRIGAULT, Mansour KAMARDINE, Jean‑Pierre VIGIER, Jean‑Luc BOURGEAUX, JeanYves BONY, Isabelle VALENTIN, Justine GRUET, Hubert BRIGAND, Jean‑Pierre TAITE, Alexandra MARTIN, Nicolas RAY, Véronique LOUWAGIE, Thibault BAZIN, Nicolas FORISSIER, Pierre VATIN, Vincent ROLLAND, Antoine VERMOREL‑MARQUES, Marc LE FUR, Stéphane VIRY, MarieChristine DALLOZ, Émilie BONNIVARD, Anne‑Laure BLIN, Emmanuel MAQUET, Yannick NEUDER, Jérôme NURY, Fabrice BRUN, Raphaël SCHELLENBERGER, Fabien DI FILIPPO, Virginie DUBYMULLER, Christelle D’INTORNI, Vincent DESCOEUR, Éric CIOTTI, Emmanuelle ANTHOINE, Philippe JUVIN, Éric PAUGET, Francis DUBOIS,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

15,8 % depuis le mois de mars 2022. C’est la progression moyenne des prix de l’alimentation en un an selon une première estimation de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). A l’échelle d’une année, les produits les plus inflationnistes sont le riz basmati à marque distributeur, le pain de mie, les yaourts et le jus d’orange. Les plus fortes hausses sont à mettre à l’actif du paquet de sucre premier prix (+ 81 %), de l’huile de tournesol premier prix (+ 79 %), du riz basmati (+ 47 %) ou des chips (+ 44 %).

Les facteurs identifiés de cette inflation galopante

Après une longue période de faible inflation, cette hausse des prix marque un tournant dans le changement de cycle économique. Depuis 2015, l’inflation avait été en moyenne inférieure à +2 % et était descendue à +0,5 % en France en 2020 en raison de la pandémie de Covid19. Après cette phase de ralentissement, l’économie française a repris et s’est expliquée avant tout par un franc rebond de la demande intérieure lié à la réouverture des secteurs entravés (augmentation de la consommation des ménages, notamment hors‑domicile, utilisation de l’épargne accumulée pendant la crise, etc…).

Les aléas climatiques sont aussi l’une des autres causes identifiées entrainant de mauvaises récoltes comme une sécheresse en Inde ou dans l’Ouest du Canada qui a touché des productions de colza et de blé dur. La production française a également été affectée par la grippe aviaire, en particulier la filière volaille qui a dû abattre des millions de volailles pour lutter contre l’expansion de cette crise sanitaire.

Ce changement économique résulte enfin d’une autre cause qui a bouleversé les relations géopolitiques mondiales : la guerre en Ukraine. Elle a amplifié les chocs d’offres et a donc perturbé les marchés internationaux de matières premières énergétiques et agricoles. En effet, la Russie et l’Ukraine concentrent à elles deux 50 % des exportations mondiales de blé et de maïs ; or, depuis le début de la guerre, les productions et exportations de l’Ukraine sont plus que limitées. L’Ukraine est aussi le plus grand pays agricole du continent européen ([1]), par sa taille, avec 41,5 Millions d’hectares de superficie agricole utilisée. Premier exportateur de tournesol (utilisé pour l’alimentation des animaux d’élevage français), deuxième exportateur de colza et quatrième exportateur de maïs et d’orge, l’Ukraine représentait 78 % de l’offre mondiale avant son conflit avec la Russie ([2]).

Les tensions inflationnistes entre industriels et distributeurs

Même si certains facteurs de cette inflation galopante sont identifiés, il existe également des négociations commerciales entre acteurs agroalimentaires qui déterminent les prix affichés dans les grandes surfaces. Tous les ans, entre décembre et mars, ces négociations fixent le prix d’une majorité de produits vendus dans les grandes surfaces alimentaires et ont donc des conséquences très directes sur le panier de course des Français. C’est le 1er mars 2023, à minuit, que les négociations commerciales se sont achevées entre les fournisseurs de l’agro‑industrie et les grandes surfaces ; ces échanges furent particulièrement tendus en raison de la hausse des coûts de production comme l’énergie mais aussi des emballages, du carton, du transport et de la main d’œuvre. En 2022, les distributeurs et industriels commençaient déjà à animer les débats sur l’inflation alimentaire en négociant des hausses de tarifs de 3,5 % ([3]). Au fur et à mesure des semaines, le curseur n’a cessé d’augmenter dans les grandes surfaces ; une hausse importante du prix du panier de course qui n’est pas sans conséquence sur le pouvoir d’achat des Français. Après les négociations du 1er mars 2023, et à l’heure des premiers sondages, les prix payés par les distributeurs aux industriels devraient augmenter d’environ 10 % alors que les premières négociations annoncées étaient comprises entre 14 % et 15 % ([4]). D’un côté, les industriels estiment que les négociations commerciales se passent dans un contexte de fort déséquilibre à l’avantage de la distribution. Ils dénoncent également certaines pratiques de distributeurs qui refuseraient des hausses de tarifs aux industriels tout en augmentant les prix en rayons sur les mêmes produits. De l’autre, les distributeurs reprochent le manque de transparence sur les demandes de hausses formulées par les industriels, certains dénoncent des demandes de hausses suspectes de la part des industriels.

La Commission d’enquête sera donc chargée de lever le voile sur ces négociations pour ainsi assurer davantage de transparence entre les acteurs du secteur agroalimentaire.

Les premières cibles de l’inflation : les classes populaires

Face à la flambée des prix, les Français modifient leur panier d’achat : moins de viande et de poissons frais, ils se tournent vers des marques moins chères et davantage de plats préparés. L’inflation oblige le consommateur à limiter ses achats et à faire des arbitrages : les produits dont le prix est supérieur à 3€ sont ceux qui souffrent le plus, comprenant alors les produits d’hygiène ou d’entretien. Les victimes seraient également les produits issus de l’agriculture biologique et d’appellation d’origine contrôlée. Comparé à la même période en 2022, les trois premières semaines de mars 2023 ont montré une baisse des volumes de produits de grande consommation de 4,1 %[5].

Cette inflation a aussi un impact sur les fréquentations des banques alimentaires. Les Restos du Cœur ont connu une hausse de fréquentation de plus de 22 % de personnes accueillies en 2022. Les classes moyennes inférieures glissent doucement vers la pauvreté (des mères célibataires, des couples avec enfants…), il y a donc une insuffisance tragique des moyens pour subvenir à leurs besoins. Alors que l’énergie était le moteur de l’inflation, c’est aujourd’hui l’alimentaire qui en est le ressort. La crainte de ne pas pouvoir payer les factures d’énergie ou le loyer oblige les personnes les plus touchées à se tourner vers les banques alimentaires. Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de huit millions de Français qui sont contraints d’y recourir et dix millions qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Les territoires ultramarins sont aussi victimes de cette inflation car, même si son ordre de grandeur est similaire à la métropole, elle s’applique sur des prix déjà plus élevés. Par conséquent, les populations fragilisées y sont plus vulnérables. Le niveau général des prix à la consommation est de 7 % à 12,5 % plus élevés dans les départements d’outre‑mer qu’en métropole. Aussi, le niveau de pauvreté y est deux à cinq fois plus élevé ainsi que le taux de chômage qui y est deux à trois fois supérieur.

Les agriculteurs, touchés par l’explosion du prix des intrants

Le prix des intrants (alimentation animale, engrais, machines…) connaît une envolée importante qui met les agriculteurs dans une situation difficile. Il existe un « effet ciseau » dans certaines filières c’est‑à‑dire une augmentation des charges couplée à une évolution limitée des prix à la production. Le prix des engrais a ainsi augmenté de près de 90 % sur l’année 2022. Pour les éleveurs, le prix de la nourriture animale a connu une hausse de plus de 30 %, tandis que les dépenses vétérinaires ont crû d’un peu mois de 10 %. Selon la FNSEA, l’augmentation des coûts de production des agriculteurs est de 28 % en trois ans, dont 24 points entre avril 2021 et avril 2022. D’après le mnistère de l’agriculture, le surcoût à l’hectare dû à l’augmentation de certains intrants est de 570 euros. Or, toutes ces pressions inflationnistes contribuent à l’effet de répercussion des prix des producteurs aux fabricants, en effet, l’inflation des coûts de la main‑d’œuvre et des intrants (principalement les aliments pour animaux, le carburant et l’engrais) se répercute sur les prix payés plus loin dans les chaînes d’approvisionnement.

Cette commission d’enquête sera alors chargée de lever le voile sur toutes les origines de cette inflation galopante qui fragilise le pouvoir d’achat des Français et elle étudiera les mécanismes qui ont concouru à une hausse inexorable des prix de l’alimentation et des biens de consommation courante des années 2022 et 2023. Mêmes si certains facteurs sont identifiés, des zones d’ombres persistent empêchant de trouver les leviers permettant de maitriser ces changements économiques et d’assurer toute la transparence entre chaque acteur de l’agroalimentaire concerné. De la production des matières premières jusqu’à l’achat des biens finaux, il conviendra d’étudier de manière scrupuleuse les raisons précises de l’ensemble de ces hausses de prix. Aussi, cette commission accordera une attention particulière aux conséquences économiques et sociales de cette inflation sur le pouvoir d’achat des Français en dressant un bilan complet de ces répercussions sur une population déjà fragilisée. Enfin, elle formulera des propositions objectives et durables pour remédier à cette situation et ainsi permettre que l’augmentation des prix alimentaires et des biens soient proportionnés aux coûts subis par chacun des maillons de la chaîne des acteurs concernés.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée de :

1° Étudier et évaluer les mécanismes qui concourent à l’inflation 2022‑2023 en alimentation et en biens de consommation courante ainsi que l’ensemble de ses causes sur le front des prix, depuis les transports et les marchés des matières premières jusqu’au consommateur ;

2° Établir un bilan des conséquences économiques et sociales de cette inflation sur le pouvoir d’achat des Français ;

3° Formuler des solutions durables et objectives pour s’assurer in fine que l’augmentation des prix alimentaires et des biens soit proportionnée aux coûts subis par chacun des maillons de la chaîne des acteurs concernés.


([1]https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/UA/agriculture-alimentation

([2]) Rapport du Groupe de Travail sur l’inflation des prix, Commission des Affaires Économiques – Assemblée nationale

([3]) https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/03/02/en-france-le-pic-de-l-inflation-alimentaire-est-attendu-au-printemps_6163823_3234.html

([4]) Idem

([5]) https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/03/29/l-inflation-alimentaire-atteint-16-3-dans-les-supermarches_6167399_3234.html