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N° 1173

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 avril 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative à l’accord commercial
entre l’Union européenne et le Mercosur,

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Pascal LECAMP, Frédéric DESCROZAILLE, François RUFFIN, Julien DIVE, Dominique POTIER, Luc LAMIRAULT, Marie POCHON, Sébastien JUMEL, Paul MOLAC,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

S’exprimant au sujet de l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay), Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, affirmait début février qu’il existait « une fenêtre d’opportunité » pour sa ratification : « Il nous faut relancer les débats en ce qui concerne l’accord du Mercosur. Parce que le commerce international est essentiel pour aider notre industrie à réduire les coûts, à créer des emplois et à développer de nouveaux produits. »

Frans Timmermans, vice‑président de la Commission européenne, se montrait aussi favorable à une accélération du processus de ratification : « J’espère que nous pourrons finaliser l’accord avant le prochain sommet avec l’Amérique latine qui aura lieu le 17 et le 18 juillet à Bruxelles. »

Les négociations pour l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur, débutées en 2000, ont été conclues en juin 2019. Dès septembre 2019, au sommet du G7 de Biarritz, le président de la République avait indiqué que la France ne pouvait pas soutenir cet accord en dénonçant « l’écocide » en cours dans la Forêt amazonienne et la nécessité de « stopper un processus de déforestation industrialisé ». Il a réaffirmé cette position française en septembre 2021 au Congrès mondial de la nature à Marseille en soulignant que « cet accord [le Mercosur], tel qu’il a été conçu et pensé, ne peut pas être compatible avec notre agenda climatique et de biodiversité ».

À l’occasion du Salon international de l’agriculture, les syndicats agricoles et la société civile ont unanimement rappelé leur opposition à l’accord UE‑Mercosur. La présidente de la FNSEA se faisait l’écho de la « crainte légitime » des agriculteurs français face à des concurrences déloyales. La présidente de la Coordination rurale parlait des agriculteurs comme « variable d’ajustement » des accords commerciaux. Le porte‑parole de la Confédération paysanne y voyait une impossibilité de « travailler à un nouveau pacte agricole, une meilleure rémunération des paysans, une alimentation de qualité pour tout le monde, si en même temps on continue à favoriser les endroits avec les coûts sociaux et environnementaux les plus faibles ».

Le rapport de la commission d’évalutation du projet d’accord UE‑Mercosur mandatée par le Gouvernement, dit « rapport Ambec », a mis en lumière les potentielles conséquences néfastes que revêtait cet accord dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pour le seul secteur de la viande bovine, les effets d’aubaine créés provoqueraient une accélération de la déforestation de 5 % à 25 % sur les six premières années de mise en œuvre de l’accord.

Cet accord porte également des risques de dumping social pour les agriculteurs français et européens : les exploitations peuvent, en Amérique du Sud, compter des dizaines de milliers de têtes. Les antibiotiques de croissance y sont autorisés, ainsi que de nombreux produits phytosanitaires, dont l’usage est interdit dans l’Union européenne (27 % des ingrédients actifs utilisés au Brésil étaient interdits en 2020 au sein de l’UE). L’asymmétrie dans les conditions de production, en l’absence de mesures miroirs en vigueur, conduirait à une situation de concurrence déloyale.

L’impact potentiel de l’accord UE‑Mercosur sur la filière sucrière n’a pas pu être évalué, dans un contexte de grande instabilité du marché européen du sucre. Cependant, la vulnérabilité du secteur appelle à la prudence : au niveau européen, la production de betterave à sucre a perdu un tiers de sa superficie depuis 2005 ; dans le nord de la France, en 4 ans, 4 sucreries sur 25 ont fermé, entraînant la suppression de près de 350 emplois.

La crise sanitaire et les conséquences de la guerre en Ukraine ont mis en évidence notre dépendance à d’autres pays dans des secteurs stratégiques. Le président de la République a affirmé à Terre de Jim en septembre 2022 que la « souveraineté agricole et alimentaire est la mère des batailles », ayant reculé de 3 % en dix ans. Notre politique commerciale doit également concourir à cette priorité.

L’adoption de mesures miroirs pour demander le respect de certaines normes sanitaires, de bien‑être animal et environnementales essentielles pour les produits agricoles importés apparait un levier incontournable. Le volet commercial de l’accord n’est aujourd’hui pas compatible avec les engagements de l’Union européenne dans la lutte contre le réchauffement climatique, pour la protection de l’environnement ni avec l’objectif de souveraineté alimentaire. L’adoption de ce seul volet commercial sous une forme juridique autre qu’un accord d’association emporterait donc les mêmes conséquences néfastes que l’adoption de l’accord dans son ensemble.

La présente proposition de résolution vise ainsi à demander au gouvernement de marquer son refus quant à la signature de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur tel que conclu en 2019 et à toute tentative de découpage dudit accord par la Commission européenne ; ainsi que de conditionner tout accord futur entre l’Union européenne et le Mercosur au respect de l’Accord de Paris et au respect des normes sanitaires et environnementales de l’Union européenne pour tout produit agroalimentaire importé.

 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 341 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’accord d’association conclu entre l’Union européenne et le Mercosur le 28 juin 2019,

Vu le pacte Vert de l’Union européenne (novembre 2019) et la stratégie de la fourche à la fourchette (mai 2020),

Vu le rapport publié par la Commission européenne le 3 juin 2022 sur l’application des standards européens environnementaux et de santé aux produits agricoles et alimentaires importés,

Vu le règlement relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union ainsi qu’à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts,

Vu le règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil au sujet de l’application de l’interdiction d’utilisation de certains médicaments antimicrobiens chez les animaux ou les produits d’origine animale importés depuis les pays tiers.

Vu le règlement (UE) 2023/334 du 2 février 2023 modifiant les annexes II et V du règlement (CE) no 396/2005 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les limites maximales applicables aux résidus de clothianidine et de thiaméthoxame présents dans ou sur certains produits

Vu l’article 44 de la loi n° 2018‑938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Considérant que le processus de ratification de l’accord conclu entre l’Union européenne et le Mercosur en 2019 s’est brusquement accéléré depuis le début de l’année 2023 ;

Considérant que la Commission européenne avait, dans une décision du 22 mai 2018, indiqué que l’accord d’association conclu entre l’Union européenne et le Mercosur devait suivre la procédure de ratification d’un accord mixte, c’est‑à‑dire être soumis à l’approbation à l’unanimité des États membres au Conseil de l’Union européenne, à celle du Parlement européen et des Parlements nationaux :Considérant que l’accord conclu entre l’Union européenne et le Mercosur est incompatible, en l’état, avec l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris ;

Considérant que cet accord est de nature à augmenter la déforestation importée et que le règlement européen adopté en décembre 2022 présente encore des lacunes, parmi lesquelles l’absence de prise en compte de toutes les terres boisées et une liste incomplète de produits issus ;

Considérant que cet accord est susceptible de faciliter l’entrée sur le marché européen de produits alimentaires traités avec des pesticides et des médicaments vétérinaires interdits par la règlementation européenne, ou issus de pratiques d’élevage interdites par la même règlementation ;

Considérant que ces importations sans obligation de réciprocité des normes de production sont incompatibles avec les enjeux de souveraineté alimentaire et de transition écologique promus par la France ;

Invite le Gouvernement :

1° À communiquer à la Commission européenne et au Conseil l’opposition de la France à l’adoption de l’accord UE‑Mercosur en l’absence d’un accès au marché européen conditionné au respect des normes de production européennes et de critères de durabilité et de traçabilité, pour les produits les plus sensibles en matière de lutte contre le changement climatique et de protection de la biodiversité ; et en l’absence de clause suspensive relative au respect par les États du Mercosur de leurs engagements au titre de l’Accord de Paris.

2° À faire savoir publiquement à la Commission européenne et au Conseil que la France s’oppose à l’adoption séparée du seul volet commercial de l’accord et que l’accord conclu dans son intégralité devra donc être soumis à la procédure de ratification prévue pour les accords mixtes, c’est‑à‑dire soumis à un vote à l’unanimité des États membres, puis un vote au Parlement européen et à une ratification par l’ensemble des États membres selon la procédure prévue au niveau national, par l’Assemblée nationale et le Sénat dans le cas français.

3° À généraliser le principe de réciprocité des normes de production dans les échanges commerciaux à travers l’intégration de mesures miroirs dans les propositions législatives en cours d’examen et prochainement examinées dans le cadre du Pacte Vert.