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N° 1333

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 juin 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à protéger le droit à l’interruption volontaire de grossesse
en France du risque de pénurie de pilules abortives,

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, Cyrielle CHATELAIN, Boris VALLAUD, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Christine ARRIGHI, Clémentine AUTAIN, Joël AVIRAGNET, MarieNoëlle BATTISTEL, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Manuel BOMPARD, Mickaël BOULOUX, Idir BOUMERTIT, Soumya BOUROUAHA, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, JeanFrançois COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Inaki ECHANIZ, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Elsa FAUCILLON, Olivier FAURE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Charles FOURNIER, Perceval GAILLARD, MarieCharlotte GARIN, Guillaume GAROT, Raquel GARRIDO, Jérôme GUEDJ, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Jérémie IORDANOFF, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Rachel KEKE, Fatiha KELOUA HACHI, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Julie LAERNOES, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Tematai LE GAYIC, Antoine LÉAUMENT, Karine LEBON, Élise LEBOUCHER, Jean-Paul LECOQ, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Stéphane LENORMAND, Gérard LESEUL, Benjamin LUCAS, Frédéric MAILLOT, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Paul MOLAC, Philippe NAILLET, JeanPhilippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Francesca PASQUINI, Bertrand PETIT, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Christine PIRES BEAUNE, Marie POCHON, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Valérie RABAULT, JeanHugues RATENON, JeanClaude RAUX, Sandra REGOL, Davy RIMANE, Sébastien ROME, Fabien ROUSSEL, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Eva SAS, Hervé SAULIGNAC, Sabrina SEBAIHI, Olivier SERVA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACHTERRENOIR, Aurélien TACHÉ, Sophie TAILLÉPOLIAN, Matthias TAVEL, JeanMarc TELLIER, Nicolas THIERRY, Aurélie TROUVÉ, Cécile UNTERMAIER, Paul VANNIER, Roger VICOT, Léo WALTER, Hubert WULFRANC,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Sous mes yeux, la pharmacienne tentait des commandes mais tout était indisponible. J’avais deux IVG prévues pour les jours suivants. » ([1]) –Nicolas Dutriaux, sage‑femme en libéral.

« Une sagefemme nous a appelées car elle ne trouvait pas de misoprostol dans les pharmacies lilloises. Elle était stressée, nous a demandé si on avait entendu parler de soucis d’approvisionnement. Dans les jours qui ont suivi, d’autres médecins nous ont confirmé ces difficultés. » ([2]) – Laurette, conseillère au Planning familial de Lille.

« Il y en a raslebol : la médecine n’a pas vocation à être rentable et les médicaments ne sont pas des biens de consommation ! » ([3]) Dr Corinne Le Sauder, présidente de la Fédération des Médecins de France

MESDAMES, MESSIEURS,

En France, les femmes ont le choix entre deux méthodes pour avorter : instrumentale ou médicamenteuse. Sur 223 000 interruptions volontaires de grossesse annuelles, 76 % sont réalisées par voie médicamenteuse. Ces interruptions volontaires de grossesse (IVG) sont rendues possibles par deux médicaments administrés à 48 heures d’intervalle : la mifépristone (Mifégyn ou RU‑486) puis le misoprostol (ou MisoOne ou Gymiso). L’association de ces deux pilules abortives est essentielle pour les femmes. Si bien que celles‑ci figurent dans la liste des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’accès de ce traitement est indispensable pour garantir à chaque femme le droit de disposer de son corps et de recourir à l’IVG médicamenteuse dans les conditions fixées par la loi, c’est à dire dans un délai de 9 semaines d’aménorhée. Aussi, toute restriction d’accès aux médicaments utilisés pour les IVG est une restriction de l’accès au droit fondamental de choisir librement de poursuivre ou d’interrompre une grossesse.

À ce titre, il n’est pas acceptable que ce médicament vienne à manquer dans un pays où l’Assemblée nationale a voté le 24 novembre 2022 et le Sénat le 1er février 2023 pour constitutionnaliser le droit à l’IVG. C’est pourtant ce que constatent depuis plusieurs mois de nombreux acteurs de terrain, telles que les associations luttant pour le droit à l’IVG, notamment le Planning familial, les médecins libéraux, ou encore les sages‑femmes. En effet, sur les huit derniers mois, la France a connu cinq mois de tension voire de rupture de stock (entre le 28 novembre et le 16 janvier, puis trois mois entre février et le 26 avril). Vincent Leonhardt, représentant de Nordic Pharma, l’a concédé devant la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française au Sénat le mardi 2 mai 2023, lorsque Mme la rapporteure Laurence Cohen l’interrogeait à ce propos : « Nous avons été confrontés à trois mois de rupture de Gymiso puis deux mois de tension sur MisoOne ».

Comme le rappelle l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, « une pénurie ne signifie pas nécessairement une absence totale et définitive d’un produit de santé sur l’ensemble du territoire, mais soit son contingentement, soit une indisponibilité de fait sur un territoire donné » ([4]). La perspective d’une pénurie durable est extrêmement préoccupante, d’autant qu’il n’existe pas de générique de misoprostol. En effet, le misoprostol est un médicament sous brevet, détenu exclusivement par le groupe Nordic Pharma. En cas de problème industriel, comme une impureté par exemple, qui ralentit ou arrête la fabrication, il n’y a aucune solution de repli. Le monopole lié au statut de propriété intellectuelle prive les praticiens et les patients de solutions alternatives. Or le droit à l’IVG incombe le respect de la liberté de choisir la technique d’avortement.

Cet accaparement intellectuel rend vulnérable la production face aux actions des lobbies anti‑IVG, à l’instar des récentes menaces sur la production de mifépristone par le laboratoire Nordic Pharma aux États‑Unis d’Amérique. L’externalisation de la fabrication des médicaments et la production monopolistique favorisent l’émergence des facteurs de pénuries. En outre, la bataille juridique autour de l’IVG aux États‑Unis a poussé la Californie à constituer des stocks très importants afin de garantir son accessibilité sur plusieurs années.

Déjà en mai 2020, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes avertissait sur les problèmes de disponibilité de plusieurs contraceptifs, dont le misoprostol. En septembre de la même année, le député Bastien Lachaud interrogeait M. Olivier Véran, à l’époque ministre de la santé : « Les médicaments abortifs RU 486, mifégyne, ou encore misoprostol sont détenus par un seul groupe pharmaceutique, Nordic Pharma, avec des risques de rupture de production et d’approvisionnement. Leur production a été menacée par les actes militants antiIVG et leurs prix ont été augmentés par 10 », décrivait‑il. En juillet 2022, c’était au tour des associations féministes d’alerter : Le Planning familial, ONU Femmes France, La Clef ou encore Avortement en Europe : les femmes décident.

Cette carence observée depuis plusieurs années est symptomatique de la situation de notre industrie pharmaceutique. La France, pourtant pionnière dans la commercialisation du lénovogestrel, plus communément appelée sous le nom de pilule du lendemain, est incapable aujourd’hui d’absorber la production de pilules abortives. Ce constat est d’autant plus regrettable que la découverte des propriétés abortives de la mifépristone et sa production ont été permises par les laboratoires français Roussel‑Uclaf en 1982. En 1997, après le rachat de Roussel‑Uclaf par les laboratoires Hoechst, le combat des opposants à l’avortement connaît un niveau de violence rarement atteint : des médecins sont assassinés et des cliniques renoncent à pratiquer l’IVG. Comme le précise le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes dans un rapport ([5]) publié le mardi 18 avril 2023, « le puissant groupe pharmaceutique Hoechst Roussel (devenu Aventis depuis son rapprochement avec RhônePoulenc), menacé d’un boycott de ses produits, avait ainsi, dès 1994, renoncé à commercialiser aux ÉtatsUnis la mifépristone avant de l’abandonner totalement, suite aux pressions des groupes antiavortement en Allemagne et surtout aux ÉtatsUnis ». La molécule est par la suite cédée gratuitement au laboratoire Exelgyn, dirigé par le co‑découvreur de la molécule, Édouard Sakis, en 2000. En 2010, après sa mort, le laboratoire Exelgyn est racheté par Nordic Pharma.

Ainsi, la France se retrouve aujourd’hui dépossédée de son autonomie vis‑à‑vis de la production de pilules abortives, alors qu’elle a été à l’origine même de l’accès à l’IVG médicamenteuse. Certes, elle dépend désormais d’une production européenne. Pour autant, elle fait reposer la santé reproductive des femmes sur les aléas des marchés privés. En effet, l’usine de principe actif de misoprostol et de miféprisone se trouve en Angleterre, près de Newcastle. Les deux usines de production de MisoOne sont basées en France. L’usine qui fabrique les comprimés est implantée à Lille tandis que celle de conditionnement, à côté d’Auxerre. Pour leur part, les comprimés Gymiso sont fabriqués et conditionnés sur le site de Leon Pharma, en Espagne.

Il y a urgence à penser un système industriel alternatif public, extrait des logiques de marché de l’offre et de la demande. Dans cette proposition de résolution, nous demandons la levée de l’exclusivité des données cliniques, afin de permettre la production publique de génériques de misoprostol et mifépristone, deux médicaments indispensables à la garantie du droit des femmes à disposer de leur corps.

 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que l’interruption volontaire de grossesse médicamenteuse concerne 76 % des 223 000 avortements réalisés légalement en France chaque année ;

Considérant que l’accès à ce traitement est indispensable pour garantir à chaque femme le droit de disposer de son corps et de recourir à l’interruption volontaire de grossesse médicamenteuse dans les conditions fixées par l’article L. 2212‑1 du code de la santé publique ;

Considérant la situation de forte tension, voire de pénurie observée sur le territoire ces derniers mois par les acteurs de terrain et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;

Considérant l’opacité de la chaîne des médicaments qui empêche d’accéder à des informations précises et freine la construction de politiques de santé et de politiques de dépenses de santé rationnelles ;

Considérant que l’accaparement intellectuel des groupes privés rend vulnérable la garantie d’accès pour les soignants à la mifépristone et au misoprostol ;

Invite le Gouvernement à assurer une relocalisation et une production publique de la mifépristone et du misoprostol pour faire face aux besoins et garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse ;

Invite le Gouvernement à lever l’exclusivité des données techniques ;

Invite le Gouvernement à élargir le dispositif existant de la licence d’office, trop peu utilisé, qui permet au ministre de la Santé de demander une suspension des droits attachés à la propriété intellectuelle d’un dispositif de santé.


([1])  Aïda Djoupa, AD. 21 avril 2023, La pénurie de pilules abortives a mis ces professionnels de santé « au pied du mur ». Huffingtonpost.fr. Disponible sur : https://www.huffingtonpost.fr/life/article/la-penurie-de-pilules-abortives-a-mis-les-professionnels-de-sante-au-pied-du-mur_216838.html. (Consulté le mercredi 17 mai 2023)

([2])  Ibid

([3])  Audition des syndicats de médecins du mardi 2 mai 2023 par la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française au Sénat. Compte rendu disponible sur : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/ce_penurie.html#toc4. (Consulté le mercredi 17 mai 2023)

([4])  Observatoire sur la transparence dans les politiques du médicament, OTMeds. 21 avril 2023. Pénurie de pilules abortives, c’est le droit à l’avortement qui est menacé, il en va de la responsabilité de l’Etat d’assurer leur mise à disposition !. Otmeds.org.Disponible sur: https://otmeds.org/communique-de-presse/penurie-de-pilules-abortives-cest-le-droit-a-lavortement-qui-est-menace-il-en-va-de-la-responsabilite-de-letat-dassurer-leur-mise-a-disposition/ (Consulté le mercredi 17 mai 2023)

([5])  Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. 18 avril 2023. Le HCE demande au gouvernement que la France retrouve rapidement sa souveraineté en matière de production de la pilule abortive. Haut-conseil-gouv.fr. Disponible sur : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/sante-droits-sexuels-et-reproductifs/actualites/article/cp-le-hce-demande-au-gouvernement-que-la-france-retrouve-rapidement-sa (Consulté le mercredi 17 mai 2023)