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N° 1534

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juillet 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

condamnant le soutien de la République du Rwanda
au groupe rebelle du Mouvement du 23 mars,

présentée par Mesdames et Messieurs

Carlos Martens BILONGO, Arnaud LE GALL, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIERE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean‑Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER.

Député.e.s.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’est de la République démocratique du Congo (RDC) est traversé de conflits intenses depuis plus de 20 ans.

Aux conflits initiaux, souvent basés sur les manipulations de clivages dits ethniques, se sont greffés des processus de prédation des ressources, notamment minières, dont le sol congolais est l’un des plus riches au monde.

Depuis une dizaine d’années le Mouvement du 23 mars (M‑23) s’est imposé comme l’acteur de premier plan des violences est‑congolaises. Le M‑23 est très représentatif d’une trajectoire historique dans laquelle l’instrumentalisation d’un groupe armé génère des comportements inhumains qui appellent une condamnation sans réserve.

Ce groupe rebelle apparu en 2012 est issu d’autres organisations armées dont l’une des bases était l’appartenance ethnique, la zone étant une mosaïque au sein de laquelle le génocide rwandais a attisé des antagonismes en partie hérités de la période coloniale. Sur cette base se sont greffées des motivations économiques, conduisant à l’utilisation du M‑23 à des fins d’appropriation des ressources naturelles congolaises pour le compte d’autres États, en premier lieu le Rwanda.

En particulier, un rapport de l’ONG Global Witness du 22 avril 2022 (« La laverie ITSCI, Enquête sur un programme de diligence raisonnable apparemment impliqué dans le blanchiment de minerais de conflit ») fait apparaître que 90 % des volumes exportés par le Rwanda de coltan, principale source du tantale, d’étain et de tungstène - trois minerais plus connus sous l’appellation « minerais 3T » - sont introduits illégalement à partir de la RDC. Ce rapport permet d’expliquer le décalage qui avait été observé entre l’augmentation de 42 % des recettes d’exportations du Rwanda de minerais 3T entre janvier et novembre 2022 révélée par les derniers chiffres officiels de la Banque nationale du Rwanda (NBR) pour un montant de 186,3 millions de dollars et le fait que ce pays ne dispose pas de gisements suffisants pour assurer une telle production.

Le M‑23 s’est rendu coupable d’exactions d’une rare cruauté : massacres, viols de masses ou encore pillages et ce sur des populations vulnérables qui souffraient déjà bien avant ces crimes. Ce groupe a répandu l’horreur et la désolation dans la région.

Il est admis depuis longtemps que ce mouvement n’agit pas seul mais dispose de relais dans la région.

La République du Rwanda fait en particulier l’objet d’accusations de la part de plusieurs pays ou encore d’ONG. Human Rights Watch, dans son rapport publié le 25 juillet 2022, faisait ainsi référence à un soutien étranger – sans viser le Rwanda à ce stade – lequel fournirait un appui militaire substantiel aux rebelles.

Par la voix du ministère des affaires étrangères, la France a ensuite indiqué le 19 décembre 2022 qu’elle condamnait le soutien de Kigali à ce mouvement : « Le Rwanda, car il faut le nommer, doit cesser son soutien au M23. Il faut en finir avec la répétition de l’histoire dans cette région (…) le M23 doit cesser les combats, se désengager et rendre les territoires occupés ».

Parallèlement, et après un travail minutieux, les enquêteurs de l’ONU ont explicitement confirmé que la République du Rwanda apportait un soutien aux rebelles du M‑23. Les conclusions du rapport de l’ONU publié le 16 décembre 2022 reposent ainsi sur « (…) des éléments de preuves écrits, photographiques et vidéo, des images aériennes, des missions sur le terrain menées par le Groupe d’experts dans le territoire de Rutshuru et à Goma, à Bukavu et à Kinshasa (République démocratique du Congo) ainsi qu’à Kisoro et à Bunagana (Ouganda), et des entretiens avec plus de 230 sources ».

Les experts de l’ONU affirment sans détour que le Rwanda soutient le M‑23 : « La fréquence, la durée et la force des attaques menées par le Mouvement du 23 mars/Armée révolutionnaire du Congo (M23/ARC), groupe armé faisant l’objet de sanctions, se sont considérablement intensifiées et le territoire que celuici contrôle s’est agrandi de façon significative. Le Groupe d’experts a trouvé des preuves substantielles de violations de l’embargo sur les armes et du régime de sanctions, notamment a) l’intervention directe de la Force de défense rwandaise sur le territoire de la République démocratique du Congo, soit pour venir en renfort au M23/ARC (…) ».

Les experts explicitent également dans ce rapport l’aide et la participation de l’armée rwandaise à des attaques sur des militaires congolais. Sont notamment évoquées des images de drones attestant de la présence de forces rwandaises sur le territoire congolais, ou encore des arrestations de soldats rwandais en RDC.

Ce soutien de Kigali s’inscrit dans un certain contexte. Une importante communauté rwandaise réside dans l’est du Congo, notamment des suites du génocide. Dès lors, il est légitime pour la République du Rwanda de souhaiter entretenir un lien avec ces populations héritières d’une période tragique de son histoire. Mais il est inacceptable que le Rwanda transforme ce lien, légitime, avec les populations issues de son sol en appui à un groupe armé responsable d’atteintes fondamentales aux droits humains et à la souveraineté congolaise.

Ce d’autant que ce soutien au M‑23 entre en parfaite contradiction avec les accords successifs visant à permettre une résolution du conflit dans l’est congolais, ce que souligne également le rapport de l’ONU : « Le Groupe d’experts note avec inquiétude que cette mobilisation de groupes armés combattant le M23/ARC a remis en cause l’adhésion au Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation et menacé sa mise en œuvre ».

Pour mémoire l’accord‑cadre d’Addis‑Abeba posait déjà, en 2013, les bases d’un processus de paix dans la zone.

Les deux accords suivants de Nairobi et de Luanda de 2022 ont marqué deux avancées significatives.

Le premier posait un cessez‑le‑feu immédiat, prônait un désarmement des groupes armés de la zone et le déploiement d’une force armée régionale pour aider à la neutralisation de ces groupes.

Une attention particulière doit être portée au second accord, qui insistait sur la nécessité de mettre un terme au soutien étranger apporté aux groupes rebelles, ainsi qu’un appel à la stabilisation des relations diplomatiques entre les pays de la région. On comprend alors en quoi le soutien rwandais au M‑23 pose un problème fondamental au processus de paix dans la zone est‑congolaise en ce qu’il s’affranchit totalement de ces accords pourtant pertinents et salutaires.

Le peuple congolais aspire depuis longtemps à la paix sur son territoire. C’est une condition de son accession à la prospérité, comme le voulait Patrice Lumumba, figure de référence de l’indépendance congolaise qui affirmait : « Le Congo ne veut pas vivre isolé, nous voulons coopérer avec tous les pays du monde. Nous voulons que les ÉtatsUnis, la France, la Belgique, l’Angleterre, tous les pays africains, l’Union Soviétique, toutes les nations qui sont disposées à nous aider puissent nous aider pour la consolidation de notre indépendance et pour la mise en valeur des richesses de notre pays… Le Congo est un pays qui vous tend la main. Une main fraternelle ».

La France doit s’associer à cet effort. Les liens historiques qu’entretient la France avec les pays de la zone en proie aux conflits de l’est‑congolais, couplée à sa volonté de promouvoir la paix, l’obligent à agir pour mettre fin au soutien rwandais en faveur du groupe rebelle du M‑23.

En outre, la RDC est le premier pays francophone du monde. L’importance de la francophonie dans cette zone implique que la France ne se cantonne pas à une place de second plan. Un défaut de soutien français à ces populations dont nous sommes proches serait une faute.

Les liens entre la France et les pays de la région, et notamment le Rwanda, sont également déterminés par la tragédie du génocide de 1994. S’il a été établi qu’aucune participation ou complicité de l’État français au génocide ne pouvait être retenue, sa responsabilité est néanmoins établie. Les conclusions de la commission Duclert remises au Président de la République le 26 mars 2021, démontrent ainsi une lourde responsabilité du pouvoir français :

« La France estelle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. La France s’est néanmoins longtemps investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime. Elle a adopté un schéma binaire opposant d’une part l’ami hutu, incarné par le président Habyarimana, et de l’autre l’ennemi qualifié d’ « ougandotutsi » pour désigner le FPR. Au moment du génocide, elle a tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et a continué à placer la menace du FPR au sommet de ses préoccupations. Elle a réagi tardivement avec l’opération Turquoise, qui a permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsi du Rwanda, exterminés dès les premières semaines du génocide. La recherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes. » Le rapport constate également une implication de la France dans la formation militaire initiale des génocidaires, autant qu’un soutien logistique et relève l’incontestable « livraison, en quantités considérables et avec la plus grande célérité, d’armes et de munitions au régime d’Habyarimana, tout comme l’implication très grande des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises ».

Cette responsabilité a été reconnue par le Président de la République, et toutes les conséquences doivent en être tirées s’agissant de notre politique dans la région.

En revanche, cette responsabilité ne saurait en aucun cas excuser une quelconque mansuétude vis‑à‑vis des agissements du régime rwandais en RDC depuis deux décennies. La gravité de ces agissements a été incontestablement documentée par le rapport Mapping de l’ONU, défendu par le Prix Nobel de la paix congolais, le docteur Mukwege.

La France doit tirer les conséquences de ses propres constatations s’agissant du soutien rwandais au M‑23, a fortiori dès lors qu’elles ont été confortées par l’ONU.

Une résolution de l’Assemblée nationale demandant le renforcement du soutien de la France aux efforts de rétablissement de la paix en RDC, donc condamnant le soutien du Rwanda au M‑23, recevrait un grand écho au sein du peuple congolais, et renforcerait l’amitié entre nos deux pays.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

1. Réaffirme sa fraternité avec le peuple congolais et son engagement profond pour la paix et la justice en République démocratique du Congo ;

2. Condamne les exactions commises sur le territoire congolais par le groupe rebelle du 23 mars et demande un strict respect des droits humains fondamentaux, tel que consacrés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ;

3. Demande à la République du Rwanda de cesser tout soutien au groupe rebelle du 23 mars ;

4. Invite le Gouvernement français à agir sur le plan diplomatique pour faire cesser l’assistance apportée au groupe rebelle du 23 mars par la République du Rwanda ;

5. Invite le Gouvernement français à mobiliser les moyens de la diplomatie française à l’Organisation des Nations unies pour appuyer la construction de la paix dans l’est de la République Démocratique du Congo, dans le cadre, notamment, de la déclaration du 29 mars du Conseil de sécurité « condamnant les attaques du M23 et enjoignant aux "parties extérieures" de cesser leur appui à ce groupe armé ».