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N° 1548

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

demandant l’annulation de la décision de nomination d’une ressortissante américaine comme économiste en chef de la direction générale de la concurrence de la commission européenne,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLouis THIÉRIOT, Annie GENEVARD, Stéphane VIRY, Émilie BONNIVARD, Jérôme NURY, Pierre VATIN, Marc LE FUR, AnneLaure BLIN, Patrick HETZEL, Mansour KAMARDINE, Josiane CORNELOUP, Véronique LOUWAGIE, Hubert BRIGAND, Nicolas RAY, Xavier BRETON,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La nomination d’une experte américaine le 11 juillet dernier à la fonction d’économiste en chef de la direction générale de la concurrence de la commission européenne a suscité - à raison - de vives critiques et une indignation générale sur tout l’échiquier politique.

En effet, la nationalité américaine de cette économiste et ses fonctions passées au sein du « department of Justice » américain, spécifiquement à la division antitrust qui a condamné nombre d’entreprises françaises et européennes et largement épargné les entreprises américaines la placent irrésistiblement dans un conflit de loyauté entre sa patrie et l’Union européenne.

Un tel choix met en péril le succès d’une volonté politique de souveraineté européenne et d’autonomie stratégique face aux États‑Unis.

Cette nomination est d’autant plus grave que cette ressortissante américaine a travaillé comme consultante de grandes entreprises technologiques américaines et assume une philosophie consistant à laisser les GAFAM édicter leurs propres règles. Il existe évidemment un risque de conflit d’intérêts majeur. Comment espérer sans s’aveugler qu’une telle personnalité puisse mettre en œuvre le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act) qui doit précisément réguler les entreprises qu’elle a conseillées ?

Au niveau européen, les présidents des groupes « Parti populaire européen », « Renew Europe », « Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates », « Verts/Alliance libre européenne » ont exhorté la Vice‑présidente exécutive de la Commission européenne dans un courrier commun le 14 juillet 2023 à revenir sur la nomination de cette personnalité américaine.

Les membres du Gouvernement se sont joints à cette levée de boucliers à commencer par le Ministre de l’Europe et des affaires étrangères qui a fait part de son étonnement devant cette nomination rappelant que « la régulation du numérique est un enjeu capital pour la France et pour l’Europe » et considérant que « cette nomination mérit[ait] d’être reconsidérée par la Commission européenne ».

La Secrétaire d’État chargée de l’Europe et le ministre en charge du Numérique ont également invité la commission européenne « à l’heure où l’Europe s’engage dans la régulation numérique la plus ambitieuse du monde » à « réexaminer son choix » afin que « les nominations soient cohérentes avec nos ambitions européennes ».

Le Président de la République lui‑même est sorti de son silence se disant « dubitatif » sur cette nomination.

Il s’agit donc d’une proposition de résolution européenne de concorde qui demande au collège de la commission européenne de revenir sur la nomination de cette ressortissante américaine à la fonction d’économiste en chef de la direction de la concurrence de la commission européenne.

Plus largement, la présente proposition s’attache à réclamer une révision des règles de recrutement des hauts fonctionnaires et agents européens afin de réserver les fonctions stratégiques à des ressortissants de l’Union.

proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le règlement n° 31 (c.e.e) 11 (c.e.e.a.) fixant le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, notamment ses articles 11 et 11 bis d’une part et ses articles 28 et 29.2 d’autre part,

Vu le règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (règlement sur les marchés numériques), dit « Digital Market Act »,

Vu le guide sur les obligations des fonctionnaires et agents du Parlement européen dit « code de bonne conduite » adopté par le bureau le 7 juillet 2008,

Vu l’annonce publiée sur le site de la commission européenne de la décision du collège en date du 11 juillet 2023 de nommer une ressortissante américaine comme économiste en chef de la direction générale de la concurrence de la commission,

Vu le courrier commun en date du 14 juillet 2023 des présidents des groupes « Parti populaire européen », « Renew Europe », « Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates », « Verts/Alliance libre européenne » demandant à la vice‑présidente exécutive de la Commission européenne de revenir sur la nomination de cette ressortissante américaine,

Considérant que dans le contexte de compétition économique mondiale, les objectifs de souveraineté et d’autonomie stratégique de l’Union européenne sont d’une importance essentielle pour son avenir ;

Considérant que la fonction d’économiste en chef de la direction générale de la concurrence de la commission européenne est une fonction hautement stratégique pour atteindre ces objectifs, en particulier dans le secteur du numérique ;

Considérant en effet que l’une des principales missions de la direction générale de la concurrence pour les prochaines années sera la mise en œuvre du règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act) entré en vigueur en mai 2023, que celle‑ci suppose une volonté infaillible de défendre la souveraineté numérique de l’UE face aux États‑Unis et implique une ferme détermination à réguler l’action des GAFAM ;

Considérant que les États‑Unis sont certes des alliés et des amis mais aussi des compétiteurs économiques et des concurrents sur le marché mondial ; que dans ces conditions, la nomination comme économiste en chef de la direction générale de la concurrence de la commission européenne d’une ressortissante américaine va à l’encontre du bon sens ;

Considérant en effet que la nomination d’une ressortissante américaine à ce poste la positionne de facto dans une situation de conflit de loyauté entre ses obligations de citoyenne américaine fidèle à son drapeau d’une part et son devoir de loyauté envers l’Union d’autre part qui lui impose de « s’acquitter de ses fonctions et régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts de l’Union » (article 11 du statut des fonctionnaires européens) ;

Considérant de surcroît que la ressortissante américaine en question a travaillé pour le « department of justice » américain, précisément à la division antitrust, qui s’appuyant sur le principe contestable de l’extra‑territorialité du droit américain, a condamné des entreprises européennes et françaises tout en épargnant largement les entreprises américaines ;

Considérant que ses précédentes fonctions de consultante pour de grandes entreprises technologiques ainsi que sa philosophie, – assumée publiquement – qui consiste à laisser les GAFAM édicter les règles, constituent un conflit d’intérêts entre la défense des intérêts de l’Union d’une part et ceux des GAFAM d’autre part ;

Considérant l’incompréhension et l’indignation générale que la nomination d’une telle personnalité comme économiste en chef de la direction générale de la concurrence de la commission européenne a suscitées ;

Considérant en particulier le courrier commun en date du 14 juillet 2023 des présidents des groupes « Parti populaire européen », « Renew Europe », « Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates », « Verts/Alliance libre européenne » demandant à la vice‑présidente exécutive de la Commission européenne de revenir sur la nomination de cette personnalité ;

Considérant que la nomination d’une personnalité de nationalité étrangère à l’Union ayant exprimé des opinions contraires aux intérêts de l’Union et travaillé dans le sens opposé à ces intérêts met en péril le succès des politiques menées par l’Union ; qu’elle discrédite ses institutions, en particulier la commission européenne qui succombe à une forme de naïveté ou de légèreté coupable s’agissant de la sauvegarde de la souveraineté et de l’autonomie stratégique de l’Union européenne ;

Considérant que cette nomination, sous le feu des critiques, envoie un signal négatif aux citoyens européens et ne peut que nourrir un sentiment anti‑européen et alimenter la montée des populismes ;

1. Apporte son soutien à l’opposition exprimée par la France à la nomination en tant qu’économiste en chef de la direction générale de concurrence de la commission européenne d’une personnalité de nationalité américaine ayant assumé des fonctions au department of justice américain et spécifiquement à la division antitrust ainsi que comme consultante de GAFAM que la direction générale de la concurrence a pour ambition de réguler et l’appelle à prendre toute mesure nécessaire pour faire annuler cette nomination ;

2. Demande solennellement au collège des commissaires de la commission européenne de revenir sur la nomination d’une personnalité de nationalité américaine ayant assumé des fonctions au department of justice américain à la division antitrust ainsi que comme consultante de GAFAM, et de nommer à la fonction de chef économiste de la direction générale de la concurrence une personnalité ressortissante de l’Union européenne ayant fait la démonstration de sa volonté de défendre la souveraineté et l’autonomie stratégique de l’Union ;

3. Demande aux institutions de l’Union européenne de modifier les règles de nomination des hauts fonctionnaires européens afin de réserver les postes de « personnel d’encadrement supérieur » exclusivement à des ressortissants de l’Union, notamment en supprimant pour ces fonctions stratégiques la faculté de dérogation à la condition de nationalité laissée par l’article 28 du statut des fonctionnaires européens.