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N° 1743

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Aurélien SAINTOUL, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« […] soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider CocaCola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible.

Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’estàdire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. »

Patrick Le Lay, dirigeant du groupe TF1 de 1988 à 2008.

Actuellement, la télévision numérique terrestre (TNT) est composée de trente chaînes, dont chacune s’est vue attribuer une fréquence, ainsi qu’un numéro de chaîne correspondant, par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), tel que le prévoit la loi ([1]). Ces autorisations de diffusion sont accordées pour une durée déterminée et quinze d’entre elles arrivent à échéance en 2025, un dossier inédit pour l’institution de l’aveu même du président de l’Arcom, Monsieur Roch‑Olivier Maistre ([2]). Il s’agit de la plus importante vague d’attribution de fréquences depuis le lancement de la TNT au début des années 2000. Les chaînes concernées sont Canal+, Canal+ Sport, Canal+ Cinéma, Planète+, TFX, TMC, NRJ 12, C8, CNews, CStar, W9, Gulli, Paris Première, LCI et BFMTV.

L’Arcom lancera au cours de l’année 2024 le processus d’attribution de ces quinze fréquences par voie d’appel aux candidatures. Les chaînes actuelles devront convaincre l’Arcom de renouveler leur fréquence et donc leur autorisation de diffuser sur le bouquet TV gratuit, tandis que d’autres concurrents pourront aussi tenter de se positionner pour récupérer ces fréquences.

Une telle transformation du paysage audiovisuel est l’occasion pour la représentation nationale de se saisir de ces enjeux et de s’assurer que la communication audiovisuelle ne se contente pas de vendre du temps de cerveau disponible à la consommation, comme l’expliquait Patrick Le Lay, dirigeant du groupe TF1 de 1988 à 2008.

En premier lieu, il s’agit donc de faire toute la lumière sur la procédure d’attribution au sein de l’Arcom. Comment sont établis les cahiers des charges et les contrats ? Quels sont les critères de l’attribution ? Les conventions sont‑elles pensées en termes d’obligations à l’égard du public ?

Le constat que pose année après année l’Arcom dans son rapport annuel au Parlement sur la représentation de la société française dans les médias est sans appel : les chaines représentent très mal la diversité de la société française. L’Arcom note, entre autres, qu’il existe une sous‑représentation des plus âgés et des plus jeunes (6 % et 10 % alors qu’ils représentent respectivement 21 % et 24 % de la population française) ; que les catégories socioprofessionnelles supérieures sont surreprésentées (74 % contre 28 % de la population française) ; que la présence des populations ultramarines à l’écran continue de baisser (pour s’établir à 1 % en 2022) et qu’ils sont surreprésentés parmi les rôles secondaires à connotation négative ; enfin que la représentation du handicap n’atteint que pour la première fois en 2022 la barre symbolique des 1 %.([3])

Le président de l’Arcom l’a rappelé : une révolution des acteurs du paysage audiovisuel est en cours. Des opérations de consolidation des groupes toujours plus importantes concentrent les grandes chaines dans les mains de quelques milliardaires. Les chaines de télévision ne peuvent pas être de simples actifs dans les portefeuilles de magnats tels que Messieurs Martin Bouygues, Patrick Drahi ou Vincent Bolloré. Le manque de diversité des programmes proposés et la récurrence de dérapages racistes et sexistes ne sont pas un hasard, mais plutôt l’effet direct de cette concentration financière voulue par ces propriétaires, dont certains ne se cachent même pas de mener à bien une entreprise idéologique.

Ces constats, qui se répètent d’une année sur l’autre, sont autant d’entorses à la loi.

Pourtant, la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dispose que l’Arcom :

« […] veille à ce que la diversité de la société française soit représentée dans les programmes des services de communication audiovisuelle et que cette représentation soit exempte de préjugés. Elle s’assure que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte à ces principes. »

En outre, l’Arcom doit également contribuer « aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle. » et veiller « au respect de la dignité de toutes les personnes et à l’image des femmes qui apparaissent dans ces émissions publicitaires. ».

Dans un deuxième temps, l’objectif de cette commission d’enquête est ainsi de contrôler le respect des engagements contractuels initiaux par les chaines, notamment celles dont les contrats arrivent à échéance. De nombreuses questions se posent. Entre autres, quelles étaient leurs obligations en matière d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information et des programmes ? Quels sont leurs engagements en matière de soutien à la création et à l’originalité, quelle est la part de contenus violents autorisée, ainsi que la part de la publicité et du placement de produit, quelles obligations en termes de protection du jeune public ? Par ailleurs, quelles sont les obligations RSE pour ces chaines ainsi que les obligations en matière de recrutement et de droits des salariés ?

Si la loi prévoit que l’Arcom doit veiller à tous ces aspects de la représentation de la société française, elle ne lui offre que peu de moyens pour y parvenir ni a fortiori pour faire respecter aux chaines leurs engagements et obligations. Quel poids peut bien avoir cette autorité face aux empires médiatiques qu’elle est censée contrôler et face à des chaines dont le modèle économique repose en partie sur les performances de chroniqueurs payés pour enfreindre la loi ? Dans la pratique, le rôle de l’Arcom se limite à celui d’analyste du marché des communications audiovisuelles. Quel est donc le degré d’autonomie et d’indépendance que possède réellement l’Arcom dans l’exercice de ses fonctions ? Quelle place est faite, ou devrait être faite, aux téléspectateurs dans l’évaluation du paysage audiovisuel ? Quelle est la part de saisines des particuliers qui se soldent en sanctions ou mises en demeure contre certaines chaines ou leurs émissions ? Combien faut‑il de mises en demeure avant que soit prononcée une sanction ? Celles‑ci sont‑elles de nature à dissuader la récidive ? Les chaines ont‑elles veillé à se mettre durablement en conformité suite aux diverses mises en demeure de l’Arcom ?

Le troisième et dernier objectif de la commission d’enquête est donc de constater et d’évaluer les moyens à la disposition de l’Arcom pour contrôler le respect des engagements pris par les chaines. Quels moyens sont actuellement mis à la disposition de l’Arcom pour lui permettre une telle veille ? Quels moyens l’Arcom a‑t‑elle choisie de déployer pour contrôler, et faire respecter, les engagements pris par les chaînes ?

En vue notamment de l’attribution prochaine de quinze fréquences en 2025, la commission d’enquête se donne ainsi un triple objectif de contrôler les procédures d’attribution des fréquences TNT, le contenu et le respect des engagements pris par les chaines bénéficiaires de ces fréquences, et enfin le contrôle mis en œuvre par l’Arcom du respect de ces obligations contractuelles.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête, de trente membres, chargée de faire toute la lumière sur les procédures d’attribution des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre , sur le respect des engagements pris par ces services de télévision et enfin sur les moyens de contrôle du respect de ces engagements mis en œuvre par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

 


([1]) Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

([2]) Propos tenus lors de l’audition du président de l’Arcom devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale le mardi 3 octobre 2023.

([3]) Arcom, « La représentation de la société française dans les médias, Exercice 2022, Actions 2023 », Juillet 2023