N° 1867

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

pour la création d’un Institut de recherche scientifique fondamentale et industrielle sur la transition écologique,

 

présentée par

M. Philippe JUVIN, Mme Emmanuelle ANTHOINE, Mme Émilie BONNIVARD, Mme Josiane CORNELOUP, M. Vincent DESCOEUR, M. Francis DUBOIS, M. Nicolas FORISSIER, M. Philippe GOSSELIN, M. Patrick HETZEL, Mme Frédérique MEUNIER, M. Yannick NEUDER, M. Éric PAUGET, M. Vincent ROLLAND, M. Vincent SEITLINGER, M. Antoine VERMOREL-MARQUES, M. Stéphane VIRY, M. Victor HABERT-DASSAULT, M. Damien ABAD, M. Jean-Carles GRELIER, M. Romain DAUBIÉ, Mme Delphine LINGEMANN, M. Paul CHRISTOPHE, Mme Félicie GÉRARD, Mme Béatrice DESCAMPS, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, M. Christophe NAEGELEN, M. Benjamin SAINT-HUILE, Mme Annick COUSIN, Mme Hélène LAPORTE,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que les catastrophes climatiques sont de plus en plus fréquentes – incendies, inondations, canicules, sécheresses…, il est indéniable que le réchauffement climatique est une menace existentielle, qui dégrade déjà nos conditions de vie sur Terre. Limiter ce réchauffement et nous y adapter est une impérieuse nécessité et un défi qu’il nous faut collectivement relever.

Les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies soulignent la nécessité des actions concrètes au sein de l’ensemble des pays, des citoyens et des entreprises. Il est devenu impératif de réduire drastiquement les émissions de dioxyde de carbone émis par nos modes de production et nos modes de vie (consommation, chauffage, transports, etc), afin de limiter l’ampleur du réchauffement climatique et la gravité de ses impacts.

Tandis que l’évolution des émissions actuelles garantit d’ores et déjà un réchauffement de + 1,5° C d’ici à 2050, l’objectif fixé par l’Accord de Paris de limiter le réchauffement global à un niveau « significativement inférieur à 2° C » d’ici la fin du siècle apparaît plus que jamais ambitieux et nécessite des actions rapides et fortes.

Pour accélérer la lutte contre le changement climatique, la France et ses partenaires européens se sont donnés en 2020 l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, avec une baisse de 55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990.

En Europe, atteindre la neutralité carbone implique de parvenir à réduire les émissions d’environ 3,5 milliards de tonnes de CO2 par an, ce qui repose entre autres sur le remplacement de millions de véhicules thermiques, la rénovation énergétique de millions de bâtiments ou encore la décarbonation de processus industriels lourds. De toute évidence, la transition énergétique européenne devra s’accompagner d’une évolution profonde des comportements dans des pans entiers de la société. Elle devra également s’appuyer sur de nombreuses innovations technologiques et des investissements en recherche et développement très importants afin de parvenir à décarboner des applications et des secteurs pour lesquels il n’existe à ce jour pas encore de solutions satisfaisantes.

Ce nouvel objectif a permis de rehausser les engagements climatiques de la France lors de la COP 26. Il est inscrit dans la législation française par la loi relative à l’énergie et au climat et dans la législation communautaire par le paquet « Fit For 55 » négocié par la France lors de sa présidence de l’Union européenne en 2022. L’engagement de la France et de l’Europe sur cet objectif a permis que des objectifs similaires soient fixés par les autres grandes nations industrialisées, à savoir un objectif de neutralité carbone en 2050 pour les États‑Unis et en 2060 pour la Chine.

Au‑delà de cet affichage – et si en 2022 les émissions nationales de gaz à effet de serre ont diminué de 2,5 % par rapport à 2021 grâce à des facteurs conjoncturels – la France connaît un grave retard dans sa trajectoire de réduction d’émissions. Afin de respecter nos engagements internationaux sur le climat, le rythme annuel de réduction doit encore doubler pour atteindre - 4,7 % par an en moyenne entre 2022 et 2030.

Après avoir fait de l’urgence climatique une « priorité » de son second mandat, M. Emmanuel Macron vient ainsi de présenter les différentes mesures de la « planification écologique » du Gouvernement. Or, au lieu d’une stratégie d’ensemble, les mesures annoncées s’apparentent à un inventaire à la Prévert de dispositions qui s’empilent, sans financement et sans qu’aucun véhicule global législatif ne soit annoncé. Cette intervention est loin d’être à la hauteur des enjeux écologiques.

Plus que jamais, il est temps de passer de la parole aux actes et d’engager en urgence d’une action d’envergure.

C’est dans ce contexte qu’un collectif, dont le Prix Nobel de physique M. Alain Aspect et les médailles d’or du Centre national de la recherche scientifique MM. Éric Karsenti et Jean‑Marie Tarascon, plaide, dans une tribune publiée en septembre dans la presse nationale, pour la création d’un centre de recherche en lien avec l’industrie.

À l’image de l’investissement américain pour mettre au point la première bombe atomique, ce collectif appelle de ses vœux une mobilisation humaine et financière d’ampleur pour coupler avancées scientifiques rapides et transformations industrielles massives. L’exemple du projet Manhattan – aussi funeste que soit son objet, rappelle combien l’homme est capable d’une action collective rapide et efficace quand l’intérêt général l’exige. Cinq ans après son déclenchement, le projet Manhattan a été une réussite technique sans précédent, qui a embrasé la science la plus avancée de l’époque et a réalisé son industrialisation à grande échelle, impliquant plus de 130 000 hommes et femmes, des laboratoires de recherche jusqu’aux usines de raffinage. Ce modèle exemplaire doit être reproduit en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.

Dans l’agriculture, l’industrie, le transport, les énergies fossiles constituent la base même de la société moderne et industrielle. S’en passer implique une nouvelle organisation collective, et en particulier une transformation profonde de nos outils techniques, industriels et de production.

Pourtant, l’Agence internationale de l’énergie (IEA) nous alerte : 40 % des technologies nécessaires à la transition environnementale ne sont pas à un niveau de maturité suffisant. L’agence donne l’exemple de l’électrolyse de l’eau de mer pour la production d’hydrogène, des batteries au sodium, de la captation ou conversion du CO2 ou encore du stockage de la chaleur. Malheureusement, bien loin de contribuer à la transition, nombre de ces « technologies stratégiques » sont encore au stade d’expériences de laboratoire menées par quelques scientifiques aux moyens modestes.

Malgré l’urgence, la transition n’a de facto pas vraiment commencé : les émissions continuent d’augmenter. Nous sommes en train d’échouer et de condamner nos enfants.

Pour relever ce défi, cette proposition de résolution invite le Gouvernement à bâtir un Institut de recherche scientifique fondamentale et industrielle sur la transition écologique. Cet Institut sera chargé de trouver les solutions scientifiques de rupture, originales et à fort impact, manquantes à la transition écologique, jusqu’à leur industrialisation. Sous une direction unique, l’Institut rassemblera les chercheurs, ingénieurs et scientifiques d’excellence de toutes disciplines pour concourir collectivement à cet objectif, dans le cadre d’une collaboration avec l’ensemble du tissu académique et industriel européen engagé pour la recherche de solutions de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

 


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proposition de loi

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Charte de l’environnement de 2004,

Considérant le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ;

Considérant le niveau et la vitesse de dégradation des conditions de vie sur Terre causés par la crise climatique ;

Considérant les objectifs de neutralité carbone en 2050 prévus par la vingt-et-unième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ;

Considérant les engagements pris dans le cadre du paquet « Fit for 55 » adopté par les instances de l’Union européenne ;

Invite le Gouvernement à créer une fondation de coopération scientifique dénommée « Institut de recherche scientifique fondamentale et industrielle sur la transition écologique » dont l’objectif est de trouver les solutions scientifiques de rupture manquantes à la transition écologique, jusqu’à leur industrialisation, par la mobilisation de financements publics et privés ;

Invite le Gouvernement à rassembler au sein de cet institut l’ensemble des chercheurs, scientifiques et ingénieurs d’excellence de toutes disciplines pour concourir collectivement à cet objectif, dans le cadre d’une collaboration avec l’ensemble du tissu académique et industriel européen engagé pour la recherche de solutions de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Souhaite que cet institut soit chargé de coordonner les actions de recherche et développement des outils scientifiques et technologiques pour la transition écologique, en lien avec l’ensemble du secteur de l’industrie, pour une mise en œuvre de techniques dont le degré de maturité permet raisonnablement une application dans un délai de cinq à sept ans.