N° 1942

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à adapter et mutualiser nos politiques publiques au changement climatique,  notamment à destination des villes côtières et insulaires,

 

présentée par

M. Marcellin NADEAU, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. Steve CHAILLOUX, M. André CHASSAIGNE, M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Elsa FAUCILLON, M. Sébastien JUMEL, Mme Emeline K/BIDI, M. Tematai LE GAYIC, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Yannick MONNET, M. Stéphane PEU, M. Davy RIMANE, M. Fabien ROUSSEL, M. Nicolas SANSU, M. Jean-Marc TELLIER, M. Jiovanny WILLIAM, M. Hubert WULFRANC,

députées et députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans un article de mars 2022, le média Tahiti‑infos relate les propos d’une habitante de Hao, atoll des Tuamotu en Polynésie française : « J’habite en bord de mer, j’ai connu des montées de lagons, des fortes houles ou des vents forts, c’est normal une ou deux fois par an… Mais depuis quelques années ça s’est accéléré, tous les deux mois environ, on a une montée de la mer. Du coup, le sable de la plage n’a pas le temps de revenir, la mer prend toute la place et creuse sous les racines des arbres ». Les effets des changements climatiques, notamment pour les villes côtières et insulaires, ne sont donc plus une fiction mais bien une réalité qu’il s’agirait de traiter urgemment.

De même, dans le magazine GoodPlanet Mag du 26 juin 2022, un pêcheur de la commune du Prêcheur en Martinique, Jean‑Guy Gabriel, soupire à la vue du recul moyen du trait de côte de 60 mètres en cinquante années (et parfois beaucoup plus !) : « Peutêtre qu’à la prochaine houle, ces genslà seront obligés de laisser leur maison ». C’est un fait : dans moins de vingt années la Martinique aura perdu près de 10 % de son territoire par rapport au seul phénomène de l’élévation du niveau de la mer, avec l’apparition également d’ondes de tempêtes qui vont exacerber la force de pénétration de la mer à l’intérieur des terres. Sans compter qu’aujourd’hui le changement climatique multiplie les survenances de risques qui se produisent même désormais de façon concomitantes.

Face à ces nouveaux enjeux un nouveau paradigme d’intervention publique est nécessaire.

Pourtant, l’adaptation au changement climatique, contrairement à la politique de prévention des risques naturels, ne fait pas l’objet d’un programme dédié dans le budget de l’État. Il est proposé de remédier à cette absence au vu des évolutions climatiques actuels qui sont particulièrement perceptibles dans les milieux insulaires dans les dits outre‑mer, mais aussi dans nombre de villes côtières de la France continentale.

Certes, de nombreuses actions des programmes inscrits dans la loi de finances du budget de l’État concourent déjà indirectement en matière d’aménagement du territoire et de préservation des espaces naturels, comme le fonds vert ou le plan France 2030.

Mais au‑delà de ces actions ponctuelles, la question de la prise en compte des conséquences du changement climatique et de l’adaptation au changement climatique doit désormais faire l’objet d’une priorité qui traverse toutes les politiques publiques. De ce point de vue, il apparaît souhaitable de créer un cadre juridique national de l’adaptation ancré dans les politiques publiques.

En effet, et le sujet du recul du trait de côte le montre éloquemment, le changement climatique joue essentiellement comme un facteur multiplicateur d’aggravation des risques. Il favorise aussi la survenance de risques multiples qui aggrave les aléas qui ne sont pas tous d’origine climatique, et peuvent être naturels, technologiques, sociaux ou économiques.

Météo‑France ainsi, dans le cadre du projet initié en 2016 par le Fonds européen de développement régional (FEDER) appelé C3AF ou « Changement climatique et conséquences sur les Antilles françaises », a mis en évidence le fait que l’évolution des précipitations ou encore de la montée du niveau de la mer, a des conséquences sur des diminutions de ressource en eau, des séquences de sécheresse plus longues et plus intenses, sur l’agriculture et la stabilité des sols, les risques de submersion ou d’inondation, l’accélération de la dégradation du bâti et la destruction des littoraux.

En Polynésie, la montée des eaux et l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes est déjà une réalité, notamment pour les atolls bas des Tuamotu, et notamment à Hao, où l’altitude maximale de l’île ne dépasse pas les trois mètres.

En réponse à ces phénomènes, des abris temporaires en béton armé sont construits et deux portions de digues ont été érigées. Certains habitants construisent leurs propres digues ou remblaient eux‑mêmes le littoral.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qualifie ces installations de « solutions de court terme inadaptées », qui créerait un faux sentiment de sécurité.

Une récente convention signée entre la commune de Hao et l’Office français de la biodiversité (OFB) prévoit la mise en place d’un projet de restauration du littoral. Dans ce cadre, des plantes endémiques et naturellement protectrices sont plantées le long des digues et du littoral afin de protéger l’atoll des vagues, mais aussi de limiter la pénétration de l’air salin qui perturbe la biodiversité à l’intérieur des terres.

En Martinique, l’expérimentation, primée au niveau international, de relocalisation urbaine et de « refondation utopique » de la vie de la commune du Prêcheur, emprisonnée entre les flancs du volcan de la Montagne Pelée, les coulées de lahars et la submersion marine de la côte lors des ouragans et tempêtes, montre qu’il est possible de s’adapter intelligemment au changement climatique à condition de redéfinir nos politiques publiques et de mutualiser les moyens financiers.

Les changements risquent également d’avoir des effets sociaux et économiques. Ainsi, la perliculture constitue la deuxième ressource économique de la Polynésie française. Or, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a montré que l’augmentation de la température et de l’acidité de l’eau de mer affectent les huîtres perlières. En cas de ralentissement ou d’arrêt de la production de perles, l’économie polynésienne en serait durement affectée.

De plus, les collectivités territoriales manquent souvent de ressources financières, techniques et de ressources humaines afin de mettre en place des politiques d’adaptation au changement climatique de façon efficace. La création d’un fond d’érosion côtière et la mutualisation des connaissances et de la gestion pourraient permettre de remédier à ce phénomène. L’an dernier, en 2022, notre proposition d’amendement à la mission budgétaire Outre‑mer, avait été votée par l’Assemblée nationale, avant que la réécriture du texte provoquée par le recours à l’article 49.3 de la Constitution ne revienne sur cette utile mesure, par ailleurs souhaité par l’Association nationale des élus littoraux (ANEL).

Au niveau national, plusieurs initiatives en termes de recherche fondamentale et de recherche appliquée ont vu le jour ces dernières années, notamment dans le cadre du programme prioritaire de recherche appelé Irima pour « gestion intégrée des risques pour des sociétés plus résilientes à l’ère des changements globaux » piloté par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’université Grenoble Alpes. De même, l’Université de médecine de Créteil‑Henri‑Mondor vient d’ouvrir un département de recherche sur la résilience, notamment psychologique et médicale, aux risques naturels. De même encore, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) a conduit une mission en 2019 qui l’a amenée à recentrer son implication autour des risques naturels sur des thématiques liées aux risques « Natech » ou risque « naturel‑technologique » et leur lien avec le changement climatique. Elle a ainsi mis en évidence comme facteur d’accélération et d’aggravation des risques technologiques la survenue d’un simple risque naturel, en l’occurrence une inondation et son impact sur des sites industriels. Il semble nécessaire de mettre a minima ces démarches en synergie pour leur donner plus d’efficacité et d’impact.

De fait, l’adaptation aux effets des changements climatiques concerne de multiple secteurs. Or l’absence de mutualisation de la gestion des risques est aussi un facteur d’accélération et de multiplication des risques. Il est donc nécessaire de systématiser l’analyse des enjeux d’adaptation des projets et des planifications territoriales. Le gouvernement a par exemple récemment intégré nos amendements visant à adapter la construction et la rénovation du patrimoine judiciaire et pénitentiaire aux spécificités climatiques des outre‑mer (rapport annexé, projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023‑2027). La prise en compte des spécificités climatiques et des effets des changements climatiques devrait être systématisé dans les textes de loi.

D’ailleurs, le manque de données scientifiques relatives à l’évolution du climat dans ces régions limite la conception de politiques publiques adaptées. Il est donc essentiel de procéder à une collecte périodique des données sur le climat, comme les températures, les vagues de chaleur, les précipitations et les événements climatiques.

Des simulations climatiques des prochaines décennies doivent également être réalisées, afin d’anticiper les évolutions futures du climat et les impacts économiques et sociaux qui en résulteront. À cet égard, il serait intéressant de s’inspirer du dispositif climat du Pacifique, savoirs locaux et stratégies d’adaptation piloté par l’Agence française de développement dans le Pacifique Sud. Ce projet, qui couvre les zones géographique de la Nouvelle‑Calédonie, la Polynésie française, Wallis‑et‑Futuna et le Vanuatu, vise à développer des données scientifiques inédites sur le climat future dans cette région pour faciliter la formulation de stratégies d’adaptation au changement climatique.

Enfin, en fin 2023, un accord historique a été conclu entre l’Australie et les îles Tuvalu afin de fixer le sort des Tuvalais qui voient leur archipel disparaître face à la montée des eaux. Selon les termes de cet accord, les 11 000 Tuvalais, au rythme de 280 par an, se verront offrir un visa spécial leur permettant de vivre, étudier et travailler en Australie, accédant ainsi au système éducatif, à la santé et aux aides sociales de l’île‑continent. La France pourrait s’inspirer de cette démarche afin de fixer les mesures à adopter en cas de submersion d’une île ou d’une partie du territoire français. Qu’adviendra‑t‑il de ses habitants ? Des aides leur seront‑elles accordées afin de se relocaliser ?

Ainsi est‑il proposé une vision intégrée des différents risques sur un même territoire et la définition d’une vision de long terme avec une politique publique qui intègre totalement les collectivités territoriales, en commençant par la question ciblée du recul du trait de côte.

En effet, la question du recul du trait de côte est symptomatique. Si les projections de montée du niveau de la mer recèlent de nombreuses incertitudes et de variations à travers le monde, il est certain que ce phénomène est irréversible et se poursuivra sur les siècles et millénaires à venir.

Partout dans le monde, les villes côtières et insulaires, en première ligne face à l’assaut croissant des vagues, cherchent des solutions d’adaptation.

Face à ce constat, il est urgent de soutenir les villes côtières et insulaires menacées par la montée du niveau marin en facilitant la conception et la mise en œuvre de stratégies d’adaptation.

 


proposition de loi

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le projet de loi de finances pour 2024,

Vu les différents rapports publiés par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat depuis sa création en 1988,

Vu la recommandation sur la prise en compte de l’élévation du niveau de la mer publiée par l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique en 2010,

Vu les principes économiques pour la réalisation d’une stratégie d’adaptation publiés par le Conseil économique pour le développement durable en 2010,

Vu l’étude de cadrage « Quels choix, pour s’adapter au changement climatique ? » publiée par l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique en 2011,

Vu le guide d’accompagnement des territoires pour l’analyse de sa vulnérabilité socioéconomique au changement climatique publié par le Commissariat général au développement durable en 2011,

Vu les rapports sur le déficit de l’adaptation au climat publiés chaque année par le Programme des Nations unies pour l’environnement depuis 2014,

Vu le rapport de la Commission globale pour l’adaptation en 2018,

Vu le livre blanc « Adaptation au changement climatique : vers un cadre d’action européen » publié par la Commission des communautés européennes en 2009,

Vu le plan d’adaptation au changement climatique mis en place par la France en 2011,

Vu les ressources mises à disposition sur le site de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie afin d’assister les collectivités dans la réalisation de leurs plans climat‑énergie territoriaux,

Vu les travaux préparatoires à la COP28 qui se réunit à Dubaï en cette fin d’année 2023,

Considérant en premier lieu que s’adapter signifie changer notre approche vers davantage de planification à long terme, d’être capable d’anticiper sur la base de différents scénarios d’élévation du niveau de la mer, tout en restant flexible face aux éventuels changements environnementaux et sociétaux. ; et que cela suppose en conséquence de combiner et de planifier différentes solutions, protections dures et douces, adaptation basée sur les écosystèmes, solutions hybrides, accommodation, recomposition spatiale, dans le temps et l’espace ;

Considérant que les politiques d’adaptation peuvent être susceptibles d’aggraver les inégalités, et qu’il est donc primordial de placer les enjeux de justice sociale au cœur de toute décision ;

Considérant que l’engagement significatif des communautés est en effet essentiel et implique de consacrer du temps et des ressources à leur consultation et participation, en prêtant une attention particulière aux groupes qui ont été traditionnellement exclus de la prise de décision ;

Considérant qu’accroître la collecte de données d’observations nationales et locales est essentiel, et que cela nécessite notamment de développer des programmes de recherche pluridisciplinaires et d’impliquer les détenteurs de connaissances locales et autochtones ;

Considérant que dans le même temps, pour mieux informer la prise de décision, il est crucial de proposer des analyses de faisabilité et des méthodes de suivi d’impacts des solutions ;

Considérant que les villes côtières ne peuvent assumer seules le coût de l’adaptation et doivent compter sur un modèle de financement fondé sur la solidarité impliquant l’ensemble des acteurs impactés directement ou indirectement par le retrait du trait de côte, y compris les territoires intérieurs et le secteur privé ;

Considérant que les populations des villes côtières et insulaires ont une connaissance fine de leur environnement et que leurs savoir‑faire locaux devraient être pris en compte dans la formulation des politiques publiques en matière d’adaptation aux changements climatiques ;

Considérant qu’en parallèle, renforcer l’ingénierie financière locale, et à ce titre, encourager la coopération territoriale et soutenir les intermédiaires locaux, tels que les banques de développement locales, peut permettre aux villes d’accéder à des ressources supplémentaires tout en favorisant des stratégies intégrées à l’échelle des territoires ;

Considérant que la question de la relocalisation des réfugiés climatiques est désormais une réalité à laquelle le Gouvernement français devrait s’atteler en urgence ;

Invite le Gouvernement, dans le cadre de la définition d’une politique publique globale sur les villes côtières et insulaires confrontées au changement climatique et à l’élévation du niveau de la mer, à mettre en œuvre les priorités d’action suivantes :

– Planifier sur le long terme des réponses adaptées au contexte local, notamment en inscrivant le plan national d’adaptation au changement climatique dans un chapitre dédié dans la prochaine loi de programmation énergie climat, qui comprenne également une trajectoire pluriannuelle des finances publiques pour la transition écologique ;

– Favoriser la transdisciplinarité dans la recherche et la formulation des politiques publiques visant l’adaptation aux changements climatiques ;

– Préciser dans le code de l’environnement et le code de l’urbanisme la nécessité d’un volet « adaptation au changement climatique » dans les processus d’évaluation environnementale des projets, plans et programmes, ainsi que dans les documents d’urbanisme, notamment en élaborant un guide méthodologique pour la prise en compte des enjeux d’adaptation ou de changement climatique ;

– Placer les impératifs sociaux au cœur des politiques d’adaptation ;

– Développer de nouvelles façons de produire et partager des connaissances opérationnelles pour l’adaptation, en prenant en compte les savoirs des populations locales ;

– S’appuyer sur les recherches existantes et prévoir de nouveaux travaux de recherche afin de consolider un socle de connaissances scientifiques permettant d’informer les politiques publiques ;

– Construire un modèle financier solidaire et adapté aux villes côtières par la création d’un fond d’érosion côtière ;

– Recueillir des données scientifiques et mener des simulations climatiques afin d’être en mesure d’élaborer des politiques publiques adaptées ;

– Mettre en place une stratégie nationale sur les déplacements de populations victimes des effets des changements climatiques, dont la montée des eaux et la perte de biodiversité.