N° 2007

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

pour l’avènement d’une paix durable : appel à un cessez-le-feu immédiat et à un arrêt de la colonisation israélienne,

 

présentée par

Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Christine ARRIGHI, M. Julien BAYOU, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Jérémie IORDANOFF, M. Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE, Mme Julie LAERNOES, M. Benjamin LUCAS, Mme Francesca PASQUINI, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, M. Aurélien TACHÉ, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Nicolas THIERRY,

députées et députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 6 novembre 2023, les responsables des principales agences de l’ONU déclaraient « Depuis près d’un mois, le monde observe l’évolution de la situation en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, choqué et horrifié par le nombre croissant de vies perdues et ruinées. »

Le 7 octobre 2023 a marqué un tournant tragique avec les actes terroristes aveugles perpétrés par le Hamas, qui ont coûté la vie à 1 200 personnes en Israël et ont conduit à la prise de 240 otages et l’assassinat de 40 de nos concitoyens. C’est un nouveau seuil de violence qui a été franchi nous atteignant toutes et tous dans notre humanité.

Depuis cette date, les habitants de Gaza subissent des bombardements incessants et un siège total, contraire au droit international humanitaire, les privant d’accès à la nourriture, à l’eau, aux médicaments, à l’électricité et au carburant.

Le droit international reconnaît à tout État le droit de riposter contre tout acte terroriste, de manière proportionnée et dans les limites instaurées par les conventions de Genève, dont Israël est partie contractante. La préservation de la vie des civils doit toujours être la première des obligations.

La disproportion de la réponse militaire à Gaza et les violences exacerbées des colons dans les territoires occupés de Cisjordanie nous éloigne chaque jour un peu plus d’une résolution pacifique à deux États du conflit Israélo‑Palestinien, seule à même de garantir la paix et la sécurité́ des deux peuples. A ce jour, les atteintes au droit international humanitaire sont flagrantes et constituent des crimes de guerre.

Une trêve établie entre le Hamas et Israël avait débuté le 24 novembre. Cette pause dans les combats, qui a duré sept jours et qui a permis la libération d’otages en échange de prisonniers palestiniens, a malheureusement pris fin, et l’armée israélienne intensifie depuis son déploiement dans le sud du territoire, faisant craindre un "scénario encore plus infernal" pour les civils, selon les Nations unies.

Les bombardements ont entraîné, au 18 décembre 2023, la mort de plus de 19 000 personnes, dont environ 8000 enfants. Selon les chiffres du ministère de la Santé de Gaza, ce sont 160 enfants qui sont tués chaque jour dans l’enclave palestinienne. En outre, plus de deux Gazaouis sur trois ont été déplacés selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA). Plus de 700 000 personnes se sont réfugiées dans les installations de l’UNRWA au sein de l’enclave palestinienne. L’UNRWA alerte sur une situation extrêmement difficile et des conditions d’accueils indignes : 300 000 enfants palestiniens n’ont plus d’accès à l’éducation ; les médicaments manquent de manière critique.

Oxfam a dénoncé le 26 octobre 2023 l’utilisation de la famine comme arme de guerre par le gouvernement israélien, en s’appuyant notamment sur la résolution 2417 du Conseil de sécurité de l’ONU. À cette date seulement 2 % des quantités habituelles de denrées alimentaires avaient été livrées à Gaza, suite à la suspension des importations. Depuis, des camions transportant de l’eau, de la nourriture et des médicaments ont été autorisés à entrer dans l’enclave. Ces arrivées étaient indispensables, mais elles demeurent largement insuffisantes pour répondre aux besoins des populations. Le siège a fortement mis à mal le fonctionnement des hôpitaux. Sans électricité ni groupes électrogènes, « plus aucun hôpital du nord ne peut assurer d’opération chirurgicale » selon l’ONU. Dans le sud, seuls 12 hôpitaux sur les 36 que compte Gaza restent ouverts, et ne sont que partiellement fonctionnels.

Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a adressé mercredi 6 décembre une lettre au Conseil de sécurité, dans laquelle il écrit que « Avec les bombardements constants des forces armées israéliennes, et en l’absence d’abris ou du minimum pour survivre, je m’attends à un effondrement total de l’ordre public bientôt en raison des conditions désespérées, ce qui rendrait impossible une aide humanitaire même limitée ».

En parallèle, le conflit a de lourdes répercussions en Cisjordanie, où plus de 190 palestiniens ont trouvé la mort en un mois suite à l’attaque de colons. Mme Francesca Albanese, rapporteure spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, et notamment M. Gérard Araud, ancien ambassadeur de France en Israël et ancien représentant permanent de la France auprès des Nations Unies ont alerté sur ce qui constitue un véritable nettoyage ethnique.

Face à ce désastre humanitaire, le 27 octobre 2023, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution déposée par la Jordanie demandant une « trêve humanitaire immédiate durable et soutenue pouvant mener à la cession des hostilités », soit en pratique un cessez‑le‑feu permettant d’assurer la sécurité des civils et d’initier un travail diplomatique. La France a apposé sa signature sur un texte, elle doit maintenant activement porter et défendre cette résolution.

La tragédie qui se déroule sous nos yeux n’est pas un affrontement récent, mais l’acmé d’une longue histoire de revendications territoriales. Cependant, le 7 octobre dernier le conflit israélo‑palestinien a pris un nouveau cours, suite à une attaque terroriste d’une gravité exceptionnelle. Cette terrible journée a rappelé au monde à quel point la question israélo‑palestinienne est centrale. Elle symbolise l’échec d’une communauté internationale qui s’est enfermée ces dernières années dans un déni volontaire sur la question palestinienne.

La République Française a manifesté à plusieurs reprises son soutien à la reconnaissance de l’État de Palestine, notamment par la résolution adoptée en 2014 par l’Assemblée nationale et le Sénat. Cependant, cette aspiration à la justice n’a pas encore franchi le seuil de la concrétisation par une reconnaissance formelle, à la suite de l’absence d’application de ces résolutions par les Présidents de la République successifs.

La communauté internationale ne peut plus fermer les yeux. La France est membre du conseil de sécurité des Nations unies et l’un des moteurs de l’Europe, elle porte donc une responsabilité d’agir en faveur de la paix. Nous plaidons donc que la France renoue avec le rôle qui était le sien : porter une parole juste et défendre la reprise d’un processus diplomatique permettant la fin des hostilités et traçant un chemin vers une solution à deux États, seule à même de restaurer la crédibilité de notre parole. Sans une coalition résolue pour une paix durable et la justice, l’affaissement moral de l’ordre international sera total et ouvrira la porte à des secousses imprévisibles.

Dans ce moment historique chacun doit être à la hauteur de ses responsabilités. Le Hamas doit libérer la totalité des otages sans condition. Le gouvernement israélien doit mettre un terme au siège de Gaza et aux bombardements incessants, démanteler ses colonies et mettre un terme à l’occupation du territoire palestinien tel que défini par les frontières de 1967.

Suite à la cessation des hostilités la communauté internationale devra agir activement pour réunir les conditions indispensables à la paix :

– La reconnaissance des frontières de 1967 entre les deux États, celles de la « ligne verte » de 1967 avec Jérusalem comme capitale des deux nations, ce qui implique la condamnation ferme et explicite des implantations de colonies israéliennes en Cisjordanie et de toute tentative de déplacement des populations de Gaza. Les actes de colonisation, expansions territoriales qui se perpétuent en dépit des condamnations internationales, ne sont pas de simples obstacles à la création de deux États : ils en sont les antithèses. Ils constituent une violation flagrante du droit international et un frein incontestable à l’établissement d’un État palestinien viable et souverain. Le retrait des colonies établies dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem‑Est.

– La reconnaissance d’un État de Palestine comme demandé par l’Assemblée nationale dans la résolution datant de 2014.

– La tenue d’élections libres et transparentes dans les territoires palestiniens, y compris à Jérusalem‑Est, indispensable pour garantir la démocratie en Palestine. Les élections seront le fondement d’une représentation légitime, et d’une voix à même de représenter les Palestiniens dans le concert des nations. C’est par le dialogue démocratique que la paix pourra être envisagée, et c’est par la reconnaissance mutuelle des droits et des territoires que nous pourrons espérer un avenir de concorde et de coexistence pacifique.

Nous sommes à un carrefour de l’Histoire où nos décisions et nos actions définissent l’avenir de la région et, par extension, celui de l’ordre mondial. Notre action doit aujourd’hui être guidée par la sagesse, le courage et la fermeté, pour que demain, la paix soit une réalité pour tous les enfants d’Israël et de Palestine.

 


proposition de loi

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies de 1947,

Considérant l’urgence d’un cessez‑le‑feu immédiat pour mettre fin aux souffrances humaines et permettre l’acheminement de l’aide humanitaire ;

Considérant les appels répétés de l’Organisation des nations unies pour un « accès sans entrave, sûr et sécurisé » pour l’acheminement de l’aide humanitaire ;

Considérant que les résolutions adoptées en 2014 par l’Assemblée nationale et le Sénat en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine n’ont pas été appliquées par les Présidents de la République successifs ;

Considérant la nécessité d’organiser des élections libres et transparentes dans les territoires palestiniens, y compris à Jérusalem‑Est, pour assurer une représentation légitime du peuple palestinien ;

Considérant que le retrait des colonies établies depuis 1967, y compris à Jérusalem‑Est, est essentiel pour revenir aux frontières internationalement reconnues et pour la construction d’une paix durable ;

Condamne fermement l’attaque terroriste du Hamas et appelle solennellement à la libération des otages sans condition,

Condamne fermement le siège organisé par le Gouvernement israélien et l’utilisation de la famine comme arme de guerre et toutes formes de violence et d’agressions à l’encontre des populations civiles ;

Appelle à un accès humanitaire sans entrave pour l’acheminement et la distribution de l’aide humanitaire et du carburant, afin de soulager les souffrances des populations civiles et de soutenir les infrastructures médicales dépassées par l’urgence et la gravité de la situation sanitaire ;

Appelle à une enquête sur les circuits de financement et d’armement du Hamas ;

Appelle au respect de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 27 octobre 2023 pour une trêve humanitaire soutenue et durable menant à la cessation des hostilités ;

Appelle la France à agir fortement pour que l’Union Européenne augmente les sommes allouées à l’United nations relief and works Agencypour financer les moyens exceptionnels mis en œuvre pour accueillir les Palestiniens déplacés en raison du conflit ;

Soutient la mise en place d’un mécanisme international pour surveiller et garantir le respect d’un cessez‑le‑feu durable ;

Réaffirme son soutien à la solution des deux États, avec Israël et la Palestine vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, et avec Jérusalem comme capitale partagée ;

Encourage le Gouvernement français à reconnaître officiellement l’État de Palestine, conformément aux résolutions de l’Assemblée nationale et du Sénat de 2014, et à œuvrer activement pour le retrait des colonies israéliennes établies depuis 1967 ;

Invite le Gouvernement à prendre l’initiative d’une conférence internationale pour relancer le processus de paix, avec la participation active des États de la région et des membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies.