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N° 2054

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 janvier 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à dénoncer le nettoyage ethnique des populations arméniennes du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan et à exiger le respect de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Anne-Laurence PETEL, Damien ABAD, David AMIEL, Bertrand BOUYX, Vincent BRU, Anne BRUGNERA, Mireille CLAPOT, François CORMIER-BOULIGEON, Mickael COSSON, Ingrid DORDAIN, Anne GENETET, Guillaume KASBARIAN, Virginie LANLO, Mohamed LAQHILA, Mathieu LEFEVRE, Constance LE GRIP, Emmanuel MANDON, Astrid PANOSYAN-BOUVET, Didier PARAKIAN, Thomas RUDIGOZ, Sarah TANZILLI,

députés.

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Trois ans après la guerre des quarante-quatre jours dont le cessez-le-feu a été signé le 9 novembre 2020, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a lancé une opération militaire d’ampleur contre les Arméniens du Haut-Karabakh le 19 septembre dernier.

Le déséquilibre écrasant des forces, conjugué aux conséquences du blocus de neuf mois imposé à ce territoire, a conduit dès le lendemain à la reddition de l’armée de défense de la République autoproclamée d’Artsakh et à une victoire militaire totale de l’Azerbaïdjan.

La conséquence de cette opération militaire a été immédiate : le nettoyage ethnique de ce territoire peuplé d’Arméniens depuis plusieurs millénaires. Fuyant les bombes et l’avancée des troupes azerbaïdjanaises, contraints par les menaces explicites transmises par messagerie et vidéos, plus de cent-mille Arméniens du Haut-Karabakh ont ainsi fui en quelques jours vers la République d’Arménie voisine.

Ce processus de nettoyage ethnique, déjà entamé lors de la guerre de 2020, relève d’une stratégie délibérée d’éradication de la présence arménienne au Haut-Karabakh, que cette proposition de résolution européenne vise à dénoncer. Il se traduit non seulement par le départ forcé des populations, mais aussi par la dégradation et la destruction du patrimoine culturel et religieux arménien dans les territoires passés sous contrôle de l’Azerbaïdjan.

La volonté expansionniste d’Ilham Aliyev ne se limite cependant pas au seul territoire du Haut-Karabakh. À la suite d’opérations militaires menées à partir de mai 2022, et qui ont culminé les 12, 13 et 14 septembre 2022, l’Azerbaïdjan occupe près de deux cents kilomètres carrés du territoire souverain de la République d’Arménie. Cette occupation, dans les régions du Gegharkunik, du Vayots Dzor et du Syunik, est précisément documentée par la mission civile de l’Union européenne présente en Arménie depuis le début de l’année 2023.

L’ambition expansionniste du régime azerbaïdjanais se matérialise par la revendication d’un corridor extraterritorial dans le sud de l’Arménie pour relier l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan, au travers du territoire souverain de la République d’Arménie. Cette revendication, à laquelle s’ajoute les propos bellicistes et anti-arméniens dont Ilham Aliyev est coutumier, font désormais craindre une opération militaire de l’Azerbaïdjan pour imposer l’ouverture de ce « corridor du Zanguezour » et s’emparer de tout ou partie du sud de l’Arménie.

Face à cette situation, la France n’est pas restée sans réaction. En premier lieu, notre pays a été le premier à dépêcher une aide humanitaire pour la prise en charge des blessés du Haut-Karabakh transférés en Arménie et pour permettre l’accueil des réfugiés, ainsi qu’à mettre en œuvre un renforcement de cette aide à plus long terme, à la fois à titre bilatéral et par l’intermédiaire des agences des Nations unies et de la Croix-Rouge.

La France a également été initiatrice des efforts diplomatiques déployés afin d’amener ses partenaires à condamner plus fermement le recours à la force et ses conséquences, à défendre le principe de l’intégrité territoriale de l’Arménie et à œuvrer en faveur d’une paix durable.

Afin d’aider la République d’Arménie à défendre son intégrité territoriale, la France a renforcé sa coopération militaire avec l’Arménie. Lors d’une visite à Erevan le 3 octobre 2023, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a ainsi indiqué que « la France [avait] donné son accord à la conclusion de contrats futurs forgés avec l'Arménie qui permettront la livraison de matériel militaire », afin de donner à l’Arménie les moyens d’assurer sa défense. Cet accord de coopération militaire a été officiellement signé le 23 octobre dernier par le ministre des Armées M. Sébastien Lecornu et par M. Suren Papikyan, ministre de la défense de la République d’Arménie.

Cette décision fait de la France le premier pays occidental à s’engager concrètement pour le renforcement des capacités de défense de la République d’Arménie, dans un contexte où la Fédération de Russie, partenaire de défense historique de l’Arménie, a failli à ses obligations.

La présente proposition de résolution européenne appelle l’Europe à intensifier son soutien humanitaire et à développer sa coopération avec la République d’Arménie. Elle encourage les efforts visant à préserver le patrimoine arménien du Haut-Karabakh et à permettre le droit au retour des populations déplacées. Elle vise enfin à appeler l’Europe à prendre les mesures nécessaires pour garantir l’intégrité territoriale de la République d’Arménie, en envisageant des sanctions contre les dirigeants azerbaïdjanais en cas de violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie, et en développant les coopérations de défense avec la République d’Arménie.


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 2 et l’article 3, paragraphes 3 et 5, du traité sur l’Union européenne,

Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, notamment ses articles 13 et 17,

Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,

Vu la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950, telle qu’amendée par les Protocoles n° 11, 14 et 15, complétée par le Protocole additionnel et les Protocoles n° 4, 6, 7, 12,13 et 16

Vu la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 4 janvier 1969,

Vu la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel du 16 novembre 1972,

Vu la Déclaration d’Alma‑Ata du 21 décembre 1991,

Vu la résolution 60/1 de l’Assemblée générale des Nations unies du 16 septembre 2005 sur la responsabilité de protéger,

Vu l’accord de cessez‑le‑feu du 9 novembre 2020,

Vu les ordonnances n° 180 du 22 février 2023 et du 6 juillet 2023 de la Cour internationale de Justice,

Vu l’ordonnance du 17 novembre 2023 de la Cour internationale de justice, sur l’application de la convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan),

Vu la résolution n° 520 sur la protection du peuple arménien et des communautés chrétiennes d’Europe et d’Orient, adoptée par l’Assemblée nationale le 3 décembre 2020,

Vu la résolution n° 37 visant à exiger la fin de l’agression de l’Azerbaïdjan à l’encontre de l’Arménie et à établir une paix durable dans le Caucase du Sud, adoptée par l’Assemblée nationale le 30 novembre 2022,

Vu la résolution du Parlement européen 2022/2582 du 10 mars 2022 sur la destruction du patrimoine culturel au Haut‑Karabakh,

Vu la résolution du Parlement européen 2023/0393 du 5 octobre 2023 sur la situation dans le Haut‑Karabakh après l’attaque menée par l’Azerbaïdjan et la persistance des menaces contre l’Arménie,

Vu la décision 2023/162 du Conseil du 23 janvier 2023 relative à une mission de l’Union européenne en Arménie,

Vu la décision 2023/386 du Conseil du 20 février 2023 relative au lancement de la mission de l’Union européenne en Arménie et modifiant la décision 2023/162,

Vu le dépôt par l’Arménie de son instrument de ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale le 14 novembre 2023.

Vu la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne du 13 novembre 2023,

Considérant que le blocus imposé par l’Azerbaïdjan aux populations arméniennes du Haut‑Karabakh depuis le 12 décembre 2022 constitue une violation de l’accord de cessez‑le‑feu du 9 novembre 2020, et a causé la mort de civils en raison de l’insuffisance des vivres et des médicaments, et de l’absence de soins médicaux appropriés,

Considérant que l’Azerbaïdjan a refusé de se soumettre aux ordonnances de la Cour internationale de Justice du 22 février 2023 et du 6 juillet 2023 lui imposant de garantir la circulation libre et ininterrompue de toutes personnes, de tous véhicules et de toutes marchandises le long du corridor de Latchine, dans les deux sens,

Considérant que l’opération militaire menée par l’Azerbaïdjan au Haut‑Karabakh les 19 et 20 septembre 2023 constitue également une violation de l’accord de cessez‑le‑feu du 9 novembre 2020,

Considérant que la Fédération de Russie n’a pas assuré le respect du cessez‑le‑feu du 9 novembre 2020 ni la protection des populations arméniennes du Haut‑Karabakh, dont elle était pourtant la garante ;

Considérant que les témoignages font état d’infractions répétées au droit international humanitaire commises par des soldats azerbaïdjanais sur des civils et militaires arméniens du Haut‑Karabakh ;

Considérant l’exode forcé de 100 000 Arméniens du Haut‑Karabakh en l’absence de toute garantie de sécurité de la part de l’Azerbaïdjan ;

Considérant que des témoignages et des vidéos font état de dégradations et de destructions du patrimoine culturel et religieux arménien, dans les territoires passés sous contrôle de l’Azerbaïdjan depuis l’accord de cessez‑le‑feu du 9 novembre 2020, et l’opération militaire du 19 septembre 2023 ;

Considérant la menace qui pèse sur l’intégrité territoriale des frontières souveraines de la République d’Arménie et sur la sécurité des populations des régions du sud et de l’est de la République d’Arménie, entretenue par des discours belliqueux et une incitation à la haine de la part des autorités azerbaïdjanaises ;

Considérant les efforts déployés depuis 1994 par la France et son souci constant, dans le cadre du groupe de Minsk dont elle assure la coprésidence aux côtés des États‑Unis et de la Fédération de Russie, de parvenir à une résolution pacifique, durable et concertée du conflit dans le respect du droit international ;

Constatant cependant la difficulté pour le groupe de Minsk à remplir en concertation sa mission, à la suite de l’impact du conflit ukrainien déclenché par la Fédération de Russie et du rejet de son action par l’Azerbaïdjan ;

Considérant les discussions menées à Prague en marge de la réunion du 6 octobre 2022 de la Communauté politique européenne ;

Considérant les efforts diplomatiques en vue de la nécessaire mise en œuvre des mesures provisoires prescrites par la Cour internationale de Justice dans son ordonnance du 17 novembre 2023 relative à la situation au Haut‑Karabagh, imposant à l’Azerbaïdjan de « veiller à ce que toute personne qui aurait quitté le HautKarabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait y retourner soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement » ;

Considérant les risques géopolitiques majeurs qu’une escalade incontrôlable du conflit ferait courir à l’ensemble de la région du Caucase du Sud ;

Rappelant le contenu de la déclaration d’Alma‑Ata de 1991, par laquelle la République d’Arménie et l’Azerbaïdjan reconnaissent mutuellement leur intégrité territoriale et leur souveraineté ;

Considérant le soutien inconditionnel, entier et constant de la France envers l’Arménie, ainsi que l’a exprimé le Président de la République, M. Emmanuel Macron, le 24 septembre 2023 ;

1. Condamne avec la plus grande vigueur l’opération militaire menée par l’Azerbaïdjan au Haut‑Karabakh depuis le 19 septembre 2023 ;

2. Condamne fermement les exactions commises par les forces armées de la République d’Azerbaïdjan, ayant entraîné la mort de plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles des civils et notamment des enfants ;

3. Déplore l’exode forcé ayant conduit plus de 100 000 Arméniens du Haut‑Karabakh, soit la quasi‑totalité de la population de ce territoire, à quitter leurs terres ancestrales ;

4. Considère que ce processus de nettoyage ethnique au Haut‑Karabakh relève d’une stratégie délibérée d’éradication de la présence arménienne dans ce territoire ;

5. Déplore la dégradation et la destruction du patrimoine culturel et religieux arménien dans les territoires passés sous contrôle de l’Azerbaïdjan, d’une part à l’issue de l’accord de cessez‑le‑feu du 9 novembre 2020, et d’autre part à la suite de l’opération militaire menée par l’Azerbaïdjan au Haut‑Karabakh depuis le 19 septembre 2023 ;

6. Condamne les arrestations illégales de plusieurs responsables politiques et militaires de la République d’Artsakh et leur détention en Azerbaïdjan et appelle la France et l’Union européenne à se mobiliser pour leur libération ;

7. Condamne les déclarations de M. Ilham Aliyev, Président de la République d’Azerbaïdjan, et des responsables azerbaïdjanais, tendant à remettre en cause l’intégrité territoriale de la République d’Arménie ;

8. Estime urgent que le Gouvernement français et l’Union européenne fournissent toute l’aide matérielle et humaine nécessaire au Gouvernement et à la société civile de la République d’Arménie pour l’accueil, le relogement et la satisfaction des besoins fondamentaux des populations déplacées ;

9. Demande en conséquence au Gouvernement français et à la Commission européenne de mettre à la disposition des institutions et des organisations non gouvernementales arméniennes et européennes une aide humanitaire d’ampleur ;

10. Appelle la France et l’Union européenne à agir afin que les organisations internationales compétentes, en particulier le Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, mettent en œuvre les moyens humains et matériels indispensables pour venir en aide aux populations déplacées ;

11. Appelle la France et l’Union européenne à agir auprès des organisations internationales compétentes afin de créer les conditions d’un possible retour des populations arméniennes du Haut‑Karabakh sur leurs terres dans des conditions qui permettent de garantir leur liberté et droits fondamentaux ;

12. Appelle également la France et l’Union européenne à agir afin que l’Organisation des Nations unies pour l’éducation la science et la culture mette en place une mission d’experts au Haut‑Karabakh visant à faire un inventaire des biens culturels arméniens, y compris religieux, et à empêcher leur destruction ;

13. Considère cependant que, au‑delà d’une assistance humanitaire, il est indispensable de soutenir le développement économique de l’Arménie, notamment via le développement de ses échanges avec l’Union européenne ;

14. Demande en conséquence au Gouvernement français et à l’Union européenne d’accélérer les projets de coopération économique existants et de favoriser l’émergence de nouvelles coopérations, notamment dans les domaines de l’énergie et des infrastructures ;

15. Considère également que, au‑delà des mesures visant à aider les populations déplacées et les victimes d’exactions de la part de l’Azerbaïdjan, les responsables de ces exactions doivent faire l’objet de poursuites judiciaires et de sanctions afin que de telles pratiques ne soient pas répétées lors de conflits futurs ;

16. Demande en conséquence au Gouvernement français et à l’Union européenne de fournir l’aide matérielle et humaine requise aux autorités judiciaires internationales afin que les responsables de ces agissements soient identifiés et traduits en justice pour répondre de leurs actes ;

17. Appelle le Gouvernement français et l’Union européenne à envisager des sanctions économiques à l’encontre les dirigeants de la République d’Azerbaïdjan, notamment le gel de leurs avoirs dans l’Union européenne, en cas de violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie ;

18. Demande à l’Union européenne de dénoncer l’accord avec la République d’Azerbaïdjan visant à faciliter la délivrance de visas ;

19. Considère cependant que le risque d’une nouvelle opération militaire de l’Azerbaïdjan sur le territoire souverain de la République d’Arménie, notamment dans la région du Syunik, constitue une menace réelle et sérieuse ;

20. Appelle l’Union européenne à pérenniser sa mission en Arménie au‑delà de son mandat initial de deux ans, à élargir ses prérogatives, et à poursuivre le renforcement significatif des moyens humains et matériels qui lui sont accordés ;

21. Invite l’Union européenne à rendre publics les rapports et les cartes produits par la Mission civile de l’Union européenne en Arménie, documentant l’occupation d’une partie du territoire de la République d’Arménie par l’Azerbaïdjan depuis les opérations militaires initiées en mai 2022 ;

22. Invite l’Union européenne à reconsidérer ses accords gaziers et pétroliers avec l’Azerbaïdjan, et à prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que ces accords ne contribuent pas au contournement des sanctions prises par l’Union européenne en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie ;

23. Invite l’Union européenne à accorder un soutien militaire à la République d’Arménie, notamment par l’envoi d’équipements militaires et d’armes défensives dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix, conformément aux annonces faites le 13 novembre 2023 par le Haut–représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.