N° 2055

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 janvier 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête chargée d’évaluer l’action des personnes chargées de prévenir les risques et d’atténuer les conséquences des inondations dans les Hauts-de-France,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christine ENGRAND,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Entre octobre et novembre 2023, il s’est abattu près de 300 millimètres d’eau en l’espace d’un mois sur le Pas‑de‑Calais. Ce record historique n’a cependant pas de quoi réjouir. Le préjudice est d’ores et déjà estimé à 550 millions d’euros par la Caisse Centrale de Réassurance avec 262 communes touchées et 5 000 habitations sinistrées, auquel s’ajoute, à hauteur de 1,3 milliards d’euros selon France Assureurs, celui causé par les tempêtes Ciaran et Domingos ayant aussi frappées le département.

À cet égard le cas du polder des Flandres maritimes, un territoire à la géomorphologie peu marquée, à cheval entre Saint‑omer, Dunkerque et Calais, est un cas d’école. Et pour cause, ce territoire dépend d’un vaste réseau de drainage, dont l’origine remonte à l’antiquité, permettant l’asséchement des zones marécageuses. Ce réseau, unique en France, est, depuis 1977, géré par l’institution intercommunal des Wateringues (IIW).

Celle‑ci regroupe 6 intercommunalités : la communauté urbaine de Dunkerque (CUD), Grand Calais Terre et Mer (GCTM), la Communauté d’Agglomération du Pays de Saint‑Omer (CAPSO), la Communauté de Commune de la Région d’Audruicq (CCRA), la Communauté de Communes des Hauts de Flandre (CCHF), la Communauté de Communes Pays d’Opale (CCPO). Lesquelles ont transmis à l’IIW leurs compétences en matière de gestion, d’exploitation, et d’entretien des ouvrages hydrauliques présents sur leur territoire, ainsi que les recettes de la taxe relative à la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI).

Entre autres choses, l’IIW est ainsi la garante de la gestion du niveau de l’eau des canaux, des fossés (aussi appelés watergangs) et du delta de l’Aa sur le polder des Flandres maritime. Pour y parvenir elle pilote plusieurs entités, chacune responsables d’un type d’ouvrage. De fait, le territoire est maillé de sections de Wateringues chargées de l’entretien des watergangs et de leurs ouvrages, les Voies Navigables de France (VNF) sont quant à elles responsables des canaux navigables et de certains ouvrages s’y trouvant, tandis que la Société d’Exploitation des Ports du Détroit (SEPD), qui regroupe les ports de Dunkerque, Calais et Boulogne‑sur‑Mer, est mandatée par l’IIW pour l’exploitation des grands ouvrages d’évacuation des eaux à la mer.

Cette organisation plurielle est structurée par des protocoles écrits, approuvés par le préfet, encadrant strictement les actions de chaque acteur. Pourtant le site internet de l’IIW note, en date du 06/11/2023, qu’ » À l’avenir, les protocoles de gestion seront complétés pour préciser les mesures à prendre en situation exceptionnelle. ». Au lendemain de débordements conséquents des canaux, des watergangs et des cours d’eaux en toute part du littoral, suite au passage des tempêtes Ciaran et Domingos et aux précipitations intenses ayant suivies, ces mots résonnent comme un aveu.

La multiplicité des acteurs en cause doit toutefois nous prémunir de toute conclusion hâtive. Les éléments rapportés par la presse et les témoignages obtenus d’élus, de riverains, voire d’agents des services compétents colorent tous différemment les sinistres observés. Les premiers, notamment autour du canal de Calais, dénoncent un manque d’entretien des berges par les VNF ; les seconds rapportent n’avoir pas souvenir du passage d’une section de Wateringues, parfois depuis plusieurs décennies ; ces dernières ont quant à elles exprimer leur désarroi en expliquant que le transfert de l’eau des watergangs vers le canal a été rapidement compromis en raison du niveau élevé de l’eau dans ce dernier, or l’entretien et l’exploitation des ouvrages d’évacuation des eaux vers la mer sont délégués à la SEPD et à la Région par l’Institution Intercommunale des Wateringues…

Toutefois, les inondations également constatées en d’autres points du département du Pas‑de‑Calais, dans le Montreuillois par exemple, où les Wateringues n’existent pas, laissent à penser que les inondations survenues dans les Flandres maritimes sont moins dues à une entité en particulier qu’à des pratiques dysfonctionnelles généralisées. Sans trancher par avance la question de la responsabilité, il apparaît dès lors nécessaire d’identifier le rôle joué par chacun des opérateurs de cette trame complexe dans la prévention et l’atténuation des risques d’inondations à l’échelle régionale afin de tenir compte du parcours de l’eau dans son ensemble, celui‑ci ne coïncidant pas toujours avec nos circonscriptions politiques ou administratives, ne serait‑ce que dans un but prospectif afin d’éviter que de tels évènements ne se reproduisent au même endroit ou ailleurs sur le territoire, ce qui ne peut aujourd’hui plus être écarté.

Il faut également garder à l’esprit que l’évacuation des eaux est en grande partie tributaire du niveau de la mer et de l’amplitude du marnage. En l’occurrence au plus fort de la tempête Ciaran, dans la nuit du mercredi premier novembre au jeudi deux novembre, la marée était de vive‑eau, avec un coefficient des marées s’élevant à 84, ce qui devait permettre une évacuation continue des précipitations transférées dans les canaux vers la mer. En revanche, la poursuite des précipitations sur plusieurs jours, conjuguée notamment avec le passage de la tempête Domingos, alors que l’amplitude maritime diminuait progressivement, a pu faire obstacle à l’évacuation efficace des précipitations. En effet, le coefficient des marées en fin de journée, vendredi 3 novembre et samedi 4 décembre, avait chuté respectivement à 56 puis 42 points avant de s’échouer à 31 points en fin de journée dimanche 5 novembre ; en effet, dans ces conditions de morte‑eau, l’évacuation des eaux vers la mer est considérablement restreinte puisque le niveau de la mer diminue moins à marée basse.

L’on ne saurait donc évaluer la gestion des opérateurs sans prendre en considération le contexte maritime et par extension la question du changement climatique. Il est notoire que le niveau de la mer augmente, notamment par dilatation thermique et que par conséquent l’évacuation gravitaire des eaux vers la mer, lorsque l’eau s’évacue naturellement car le niveau de la mer est inférieur à celui du réseau, est rendue plus difficile et implique d’employer les moyens techniques à disposition dans un cadre qui reste limité.

Si la responsabilité des acteurs compétents ne saurait s’effacer derrière la seule donnée climatique, il apparaît urgent de donner aux opérateurs les moyens de s’adapter. Cette adaptation ne saurait s’effectuer sans une collaboration étroite à plusieurs échelles, aussi il convient de se pencher également sur les actions et les moyens mis à disposition des syndicats mixtes des bassins versants qui mettent en œuvre des projets de ralentissement des eaux.

Ainsi, en son article unique cette commission d’enquête ne se limite pas aux seules évaluations de la gestion et de la prévention des risques d’inondations mais également à un questionnement plus large sur l’efficacité de la législation et de la fiscalité ainsi que sa transparence, notamment celles de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI), que l’expérience ne permet pas de constater aujourd’hui sur le terrain, ceci afin de permettre à terme l’adaptation des ouvrages aux conséquences du changement climatique, ce qui ne pourra pas se faire sans le soutien de l’État.

 

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de 30 membres chargée :

– D’évaluer l’action des personnes compétentes en matière d’investissement, de gestion, d’entretien et d’exploitation d’ouvrages de ralentissement, de canalisation, de drainage et d’évacuation des eaux, notamment vers la mer, dans les Hauts-de-France, pour prévenir et atténuer les risques d’inondations et ses conséquences sur l’ampleur des dégâts causés par les tempêtes Ciaran et Domingos et les précipitations subséquentes.

– D’évaluer l’efficacité de la législation et de la fiscalité relative à la prévention des risques d’inondations et à la gestion de l’eau ainsi que la transparence de l’utilisation de ses recettes.

– D’identifier et d’évaluer les besoins humains, matériels et financiers nécessaires à l’adaptation des ouvrages et des opérations d’entretien et de prévention des risques d’inondations, aux conséquences du changement climatique, dans la région Hauts-de-France.