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N° 2167

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à interdire la production, la fabrication, l’utilisation, l’importation et l’exportation de substances per et polyfluoroalkylées
et faire respecter le principe pollueurpayeur en France
et à l’échelle européenne,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Gabriel AMARD, Clémence GUETTÉ, Idir BOUMERTIT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, JeanFrançois COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACHTERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

Députées et Députés.

 

 

 


 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 13 janvier 2023, le Danemark, l’Allemagne les Pays‑Bas, la Norvège et la Suède déposaient à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) une proposition de restriction ciblant la fabrication, la mise sur le marché et l’utilisation des PFAS (substances per et polyfluoroalkylées). Plus communément appelés « polluants éternels », ces substances constituent des risques sanitaires majeurs. Si cette initiative européenne est la bienvenue et envisage l’interdiction globale de tous les PFAS, elle n’aboutira pas avant 2028 et risque d’être dévoyée en une version moins contraignante.

L’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a indiqué en 2020 que l’exposition aux polluants éternels avait un lien direct avec des taux élevés de cholestérol, une diminution du poids à la naissance, des perturbations du fonctionnement du foie et une moins bonne réponse aux vaccins pour les enfants. L’agence européenne pour l’environnement affirme quant à elle que les polluants éternels peuvent entraîner « des problèmes de santé tels que des lésions hépatiques, des maladies thyroïdiennes, de l’obésité, des problèmes de fertilité et des cancers ».

La présence de ces substances dans les organismes vivants ne s’explique que par des motifs industriels. En effet, les polluants éternels se caractérisent par une liaison moléculaire contenant plus d’une liaison carbone‑fluor, ce qui n’existe pas dans la nature. Ces composés chimiques sont fabriqués en masse à partir des années 1940 en raison de leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et de résistance aux fortes chaleurs. L’ECHA dénombre pas moins de 10 000 composés chimiques différents dans la famille des polluants éternels. Ils sont largement utilisés dans divers domaines industriels et produits de consommation courante : textiles, emballages alimentaires, mousse anti‑incendie, revêtements anti adhésifs, cosmétiques ou encore dans les produits phytosanitaires.

La particularité de ces liaisons carbone‑fluor est leur solidité. Les PFAS ne se dégradent pas dans l’environnement mais à l’inverse, persistent et s’accumulent. C’est pourquoi on retrouve ces substances dans absolument tous les milieux : air, eau, sol et dans la chaîne alimentaire.

L’enquête journalistique du Forever Pollution Project, parue en février 2023, a mesuré et cartographié l’ampleur de la pollution en Europe. Ainsi, rien qu’en France, plus de 900 sites sont contaminés, un chiffre qui sous‑estime d’après eux très largement la réalité. Parmi ces sites, 108 sont des « hot spots » de contamination, c’est‑à‑dire des lieux où la concentration de PFAS dépasse les 100ng/litre, soit le seuil de dangerosité reconnue par la directive‑cadre européenne sur l’eau de 2020. Au niveau européen, plus de 17 000 sites sont contaminés, dont 2 100 hot spots.

La contamination aux polluants éternels est ainsi généralisée. Pourtant, le problème n’est pas nouveau. Les entreprises de chimie américaines DuPont et 3M étaient conscients de la dangerosité de leurs produits dès les années 1960 comme le rapporte les travaux d’une équipe de scientifiques de l’université de Californie à San Francisco, publiée le 1er juin 2023 dans la revue Annals of global health qui a eu accès aux documents internes de ces deux entreprises. Les industriels parviennent à cacher ces informations jusqu’aux années 1990. C’est alors qu’éclate le scandale du PFOA, également appelé C8 et rejeté dans l’eau, l’un des polluants éternels les plus dangereux pour la santé, grâce à une série de batailles judiciaires menées par M. Robert Bilott, avocat américain.

Le PFOA, qui ne représente qu’une seule substance parmi la famille des polluants éternels composée de milliers de PFAS, n’a été interdit par l’Union européenne qu’en 2020. Il n’a rejoint la liste des agents cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer que le premier décembre 2023, après plus de quatre années sur la liste des « agents cancérogènes possibles ». La collecte de données sur la dangerosité de ces substances est largement insuffisante alors que la directive européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine de 2020 n’a listé que 20 PFAS pour déterminer les teneurs maximales à respecter pour l’eau potable. Le principe de précaution, mentionné à l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, doit primer et protéger les populations des risques des polluants éternels. Nous ne pouvons nous permettre d’attendre 20 ans afin qu’une substance soit interdite, ni attendre d’analyser toutes les espèces de PFAS. Qui plus est, chaque restriction ou interdiction amène les producteurs industriels de polluants éternels à modifier la composition de ces substances en faisant varier le nombre d’atomes de carbone et de fluor et donc de contourner les réglementations. Le lobbying intense de l’industrie chimique est contre productif et contribue à la lenteur et l’incomplétude de la prise de décisions contre la production de polluants éternels au détriment des enjeux de santé publique.

C’est pourquoi les réglementations actuellement en vigueur, essentiellement européennes à l’image du règlement REACH, ou bien la convention de Stockholm de 2001, sont insuffisantes. Pour lutter contre cette pollution, il est indispensable d’avoir une approche globale du sujet et donc d’interdire la production, la fabrication, l’utilisation, l’importation, l’exportation et le rejet de toutes les substances per et polyfluoroalkylées.

Nous appelons également au respect du principe pollueurpayeur conformément à la Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. Ce principe stipule que les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle‑ci doivent être supportés par le pollueur. En effet, les industries chimiques qui sont largement responsables de la pollution généralisée doivent être mises à contribution et non les populations victimes de la pollution.

Des alternatives à ces substances existent et sont déjà utilisées dans plusieurs pays européens à l’image de la Suède ou du Danemark. À ce titre, des alternatives sans PFAS sont disponibles pour les revêtements antiadhésifs, tels que les revêtements en céramique ou en silicone. Elles offrent des propriétés antiadhésives similaires, sans utiliser de PFAS. Des technologies alternatives existent également en matière de traitement d’imperméabilité des textiles, d’emballages alimentaires ou de produits de nettoyage.

La France doit également être à la hauteur de l’enjeu et prendre des initiatives fortes pour montrer la voie en Europe et dans le monde. La France peut activer la clause de sauvegarde à l’article 129 du règlement REACH afin d’interdire les produits contenants des PFAS et relancer une réflexion européenne ambitieuse dans les plus brefs délais.

Notre proposition se fonde sur les auditions conduites par M. Gabriel Amard le 9 juin 2023 à Brindas auxquelles Anne Grosperrin, vice‑présidente de la Métropole de Lyon déléguée au cycle de l’eau et représentante de l’autorité organisatrice des services de l’eau et de l’assainissement sur la Métropole de Lyon, Louis Delon, chimiste et maraîcher, membre du collectif Ozon l’Eau Saine et Marc Besseas, arboriculteur à Messimy ont participé ainsi que sur l’audition de Pauline Cervan, toxicologue et membre de l’association Générations Futures, le 29 novembre 2023.


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants du 22 mai 2001,

Vu le règlement (UE) 2019/1021 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant les polluants organiques persistants,

Vu le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux emballages et aux déchets d’emballages, modifiant le règlement (UE) 2019/1020 et la directive (UE) 2019/904, et abrogeant la directive 94/62/CE en cours de révision,

Vu la directive n° 2010/75/UE du 24/11/10 relative aux émissions industrielles en cours de révision,

Vu la directive cadre sur l’eau (2000/60/CE, DCE) et la directive 2008/105/CE établissant des normes de qualité environnementales,

Vu la directive 2006/118/CE sur la protection des eaux souterraines contre la pollution et la détérioration,

Vu la directive 2020/2184 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine,

Vu le règlement 1881/2006 portant fixation de teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrées alimentaires,

Vu la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux,

Considérant que la persistance et l’accumulation des substances per et polyfluoroalkylées dans l’environnement impactent tous les milieux naturels et que la contamination à ces substances est généralisée et qu’elles constituent des risques majeurs pour la santé humaine comme établit par l’Autorité européenne de sécurité des aliments et l’Agence européenne pour l’envirionnement ;

Considérant que la persistance et l’accumulation des substances polyfluoroalkylées ou polluants éternels dans l’environnement a des effets néfastes pour la santé humaine et pour l’environnement, ainsi que le démontrent les études de l’autorité européenne de sécurité des alimentset l’agence européenne de l’environnement ;

Considérant la nécessité d’agir sur l’intégralité des composés chimiques de la famille des PFAS et non seulement sur quelques‑uns ;

1) Appelle le gouvernement français à recourir à la clause 129 du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 selon laquelle la France est fondée à estimer qu’une action d’urgence est indispensable pour protéger la santé humaine et l’environnement à l’égard de l’ensemble des substances per et polyfluoroalkylées. Elle peut ainsi prendre des mesures provisoires appropriées d’interdiction de production, de fabrication, d’utilisation, d’importation et d’exportation de tout produit textile, mousses incendies, emballages alimentaires et tout produit destiné à entrer en contact direct avec toutes les denrées alimentaires, produits phytosanitaires et cosmétiques contenant des substances per et polyfluoroalkylées. En cas d’absence de solutions alternatives, l’interdiction ne s’applique pas aux seuls matériels médicaux et de santé, ni aux seuls vêtements de protection des professionnels de sécurité et de la sécurité civile ;

2) Appelle la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen à adopter dans les plus brefs délais un règlement ou une directive européenne relative à l’interdiction de la production, la fabrication, l’utilisation, l’importation et l’exportation de l’ensemble des substances per et polyfluoroalkylées et souligne qu’en cas d’absence de solutions alternatives, l’interdiction ne s’applique pas aux seuls matériels médicaux et de santé, ni aux seuls vêtements de protection des professionnels de sécurité et de la sécurité civile ;

3) Soutient le respect du principe pollueur‑payeur conformément à la directive 2004/35/CE sur la prévention et la réparation des dommages environnementaux afin que les industries responsables de la pollution aux substances per et polyfluoroalkylées paient pour les dommages occasionnés, le financement de la dépollution, la prévention et l’aide aux victimes à travers la création d’un « Fonds PFAS européen » à la charge des industriels.