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N° 2225

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative à l’utilisation des avoirs russes gelés au profit de l’effort de guerre et de la reconstruction de l’Ukraine,

 

présentée par

M. Julien BAYOU, M. Benjamin HADDAD, Mme Maud GATEL, M. Jean-Félix ACQUAVIVA, M. Damien ADAM, Mme Christine ARRIGHI, M. Joël AVIRAGNET, Mme Anne-Laure BABAULT, M. Erwan BALANANT, Mme Géraldine BANNIER, M. Christian BAPTISTE, Mme Delphine BATHO, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mounir BELHAMITI, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Thierry BENOIT, Mme Anne BERGANTZ, M. Denis BERNAERT, M. Philippe BERTA, M. Christophe BLANCHET, M. Philippe BOLO, M. Éric BOTHOREL, M. Mickaël BOULOUX, Mme Chantal BOULOUX, M. Jean-Louis BOURLANGES, Mme Pascale BOYER, M. Guy BRICOUT, M. Anthony BROSSE, M. Vincent BRU, Mme Anne BRUGNERA, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, Mme Eléonore CAROIT, Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Mireille CLAPOT, Mme Fabienne COLBOC, M. Mickaël COSSON, M. Laurent CROIZIER, M. Jean-Pierre CUBERTAFON, Mme Geneviève DARRIEUSSECQ, M. Alain DAVID, Mme Christine DECODTS, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Julie DELPECH, Mme Mathilde DESJONQUÈRES, Mme Ingrid DORDAIN, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, Mme Stella DUPONT, M. Inaki ECHANIZ, M. Philippe EMMANUEL, M. Laurent ESQUENET-GOXES, M. Olivier FALORNI, M. Olivier FAURE, M. Charles FOURNIER, M. Bruno FUCHS, M. Jean-Luc FUGIT, M. Guillaume GAROT, M. Joël GIRAUD, M. Jérôme GUEDJ, Mme Nadia HAI, M. Johnny HAJJAR, M. Yannick HAURY, M. Michel HERBILLON, M. Alexandre HOLROYD, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Élodie JACQUIER-LAFORGE, Mme Caroline JANVIER, Mme Sandrine JOSSO, Mme Chantal JOURDAN, M. Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, Mme Brigitte KLINKERT, Mme Julie LAERNOES, Mme Amélia LAKRAFI, M. Luc LAMIRAULT, M. Mohamed LAQHILA, M. Jean-Charles LARSONNEUR, Mme Florence LASSERRE, M. Philippe LATOMBE, M. Michel LAUZZANA, M. Didier LE GAC, M. Gilles LE GENDRE, Mme Constance LE GRIP, M. Pascal LECAMP, M. Vincent LEDOUX, M. Mathieu LEFÈVRE, M. Gérard LESEUL, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Laurence MAILLART-MÉHAIGNERIE, M. Louis MARGUERITTE, M. Christophe MARION, Mme Alexandra MARTIN (GIRONDE), M. Éric MARTINEAU, M. Jean-Paul MATTEI, Mme Lysiane MÉTAYER, Mme Sophie METTE, M. Bruno MILLIENNE, M. Paul MOLAC, Mme Louise MOREL, M. Philippe NAILLET, M. Hubert OTT, M. Jimmy PAHUN, M. Bertrand PANCHER, Mme Astrid PANOSYAN-BOUVET, M. Didier PARIS, M. Jérémie PATRIER-LEITUS, Mme Anne-Laurence PETEL, M. Bertrand PETIT, M. Frédéric PETIT, Mme Maud PETIT, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Béatrice PIRON, M. Christophe PLASSARD, Mme Marie POCHON, M. Dominique POTIER, Mme Josy POUEYTO, M. Philippe PRADAL, Mme Valérie RABAULT, M. Jean-Claude RAUX, Mme Cécile RILHAC, M. Charles RODWELL, Mme Claudia ROUAUX, M. Thomas RUDIGOZ, Mme Isabelle SANTIAGO, Mme Eva SAS, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Michèle TABAROT, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, Mme Sarah TANZILLI, Mme Sabine THILLAYE, Mme Mélanie THOMIN, Mme Huguette TIEGNA, M. Stéphane TRAVERT, M. Nicolas TURQUOIS, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT, M. Patrick VIGNAL, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Stéphane VOJETTA, M. Lionel VUIBERT, M. Christopher WEISSBERG, M. Jean-Marc ZULESI, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, M. Philippe GOSSELIN,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Huit ans après l’invasion de la Crimée, l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022 est la plus grave violation du droit international qu’a connu l’Europe depuis la Seconde Guerre Mondiale. Elle doit être condamnée avec la plus grande fermeté. 

Après deux années d’une guerre qui s’enlise et semble être destinée à durer, l’Ukraine doit plus que jamais pouvoir continuer à compter sur le soutien humanitaire, financier, militaire, économique et diplomatique de la France et de l’Union européenne. Les blocages en cours au Congrès américain comme les échéances électorales à venir en 2024 font craindre un fléchissement du soutien outre-Atlantique. L’Ukraine concerne en premier lieu la sécurité des européens, et nous devons nous donner les moyens de soutenir les ukrainiens même en cas de retrait américain. S’il faut se féliciter de l’accord sur le versement d’une nouvelle aide financière de 50 milliards d’euros à l’Ukraine obtenu lors du sommet européen du 1erfévrier 2024, cette décision est le fruit d’un bras de fer de plusieurs mois avec le gouvernement hongrois de Viktor Orban et illustre les difficultés à assurer des fonds stables et prévisibles à l’Ukraine dans son effort de guerre. 

Face à ce constat inquiétant – tant pour la souveraineté, l’intégrité et la sécurité de l’Ukraine que plus largement pour celle de l’Europe – il est urgent de doter l’Ukraine de ressources financières supplémentaires stables et prévisibles. Suite à l’invasion du 24 février 2022, les économies du G7 et de l’Union européenne ont pris la décision de geler les avoirs souverains de la Banque centrale russe sur leur sol. Il est estimé que, sur les 300 milliards d’euros gelés, près de 200 milliards sont au sein de l’Union européenne. Ces avoirs russes gelés représentent une manne financière importante qui doit être mobilisée pour le soutien et la reconstruction de l’Ukraine. L’utilisation des avoirs russes gelés, au profit de l’Ukraine, est guidée tant par le souci du pragmatisme que par celui de la justice et de la responsabilité internationale. Ce sont les responsables de cette guerre injustifiable qui doivent en payer les conséquences, et prendre en charge la reconstruction. 

Une telle utilisation soulève assurément des questions juridiques tant en droit interne qu’en droit européen et international. C’est pourquoi la présente Résolution appelle en premier lieu la France à agir dans son ordre juridique interne pour permettre et assurer la confiscation des avoirs gelés russes sur son territoire, ce qui nécessitera notamment de modifier la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi Sapin II) afin de lever l’immunité des États face aux mesures conservatoires et d’exécution. En second lieu, la Résolution appelle ensuite la France à agir pour que cette solution de pragmatisme et de justice au profit de l’Ukraine soit mise en œuvre le plus rapidement possible au niveau de l’Union européenne et dans l’ensemble des États membres, alors que d’autres États sont déjà décidés à agir en ce sens, tels que la Belgique ou le Canada. À cet égard, les auteurs de cette proposition de résolution rappellent la nécessité de ne pas s’abriter derrière des arguments juridiques et de s’engager pleinement dans l’utilisation des intérêts sur les avoirs, et à créer les conditions de la mobilisation des 200 milliards gelés sur le territoire de l’Union européenne.

 


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proposition de loi

Article unique

L’Assemblée nationale, 

Vu l’article 34‑1 de la Constitution, 

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale, 

Vu la résolution A/RES/ES‑11/1 sur l’agression contre l’Ukraine adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 2 mars 2022, 

Vu la résolution A/ES‑11/L.5 « Intégrité territoriale de l’Ukraine : défense des principes consacrés par la Charte des Nations unies » adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 12 octobre 2022, 

Vu la résolution n° 39, adoptée par l’Assemblée nationale, affirmant le soutien de l’Assemblée nationale à l’Ukraine et condamnant la guerre menée par la Fédération de Russie, 

Vu la résolution n° 202, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à défendre les démocraties face aux multiples menaces et tentatives de déstabilisation et en particulier le passage appelant le Gouvernement à poursuivre, aux côtés de ses partenaires, la défense des valeurs démocratiques et des principes de droit international en œuvrant à la réallocation des biens et avoirs russes gelés en faveur de la reconstruction de l’Ukraine, 

Considérant l’agression militaire dont fait l’objet l’Ukraine de la part de la Fédération de Russie depuis le 24 février 2022 ; 

Considérant les besoins multiples – financiers, militaires, humanitaires ou de toute autre nature – de l’Ukraine face à cette agression ; 

Considérant le coût que représente l’effort militaire mené par l’Ukraine pour assurer sa défense, son intégrité et la protection des civils ;

Considérant le coût que représente d’ores et déjà la reconstruction du pays pour l’État ukrainien ;

Considérant que la sécurité et l’intégrité de l’Europe est étroitement liée à celle de l’Ukraine et que l’agression de l’Ukraine par la Russie, si elle n’est pas repoussée, constitue une menace critique pour l’Europe ;

Considérant que l’Union européenne a créé un groupe de travail « ad hoc » chargé de travailler sur l’utilisation des actifs russes gelés et immobilisés pour soutenir la reconstruction en Ukraine ; 

Considérant que la Belgique, par la voix de son Premier ministre, s’est engagée à octroyer à l’Ukraine le montant des impôts prélevés sur les bénéfices provenant des actifs russes gelés, soit environ 1,5 milliard d’euros ;

Considérant qu’aux termes des conclusions G7 du 19 mai 2023, « les actifs souverains russes présents dans les juridictions des membres du G7 resteront immobilisés tant que la Russie n’aura pas payé le coût des dommages qu’elle a causés à l’Ukraine » ;

Considérant qu’aux termes des conclusions du Conseil européen des 26 et 27 octobre 2023, les avoirs russes immobilisés par la communauté internationale pourraient être affectés au soutien de l’Ukraine, de son rétablissement et de sa reconstruction ;

Considérant que tant que la Russie ne se plie pas à ces conditions, ces avoirs doivent être utilisés au profit de l’Ukraine ;

Considérant que la mise à contribution des avoirs russes répond à un principe de justice par laquelle l’agresseur russe est responsable et comptable des conséquences de la guerre qu’il mène ; 

Considérant qu’une telle mise à contribution est un élément supplémentaire de dissuasion et peut offrir un précédent fondateur en matière de respect du droit international ;

1. Rappelle sa condamnation, avec la plus grande fermeté, de l’attaque brutale, injustifiée et illégale lancée par la Fédération de Russie à l’encontre du peuple ukrainien le 24 février 2022 et le crime d’agression dont elle s’est rendue coupable vis‑à‑vis de l’Ukraine, en violation de la Charte des Nations unies et de toutes les dispositions du droit international ; 

2. Réaffirme son soutien indéfectible à l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ainsi que son droit légitime à se défendre contre la guerre d’agression déclenchée par la Russie ;

3. Appelle la France et l’Union européenne et la communauté internationale à ne pas faiblir dans leur soutien humanitaire, diplomatique, financier et militaire à l’Ukraine et à son peuple, et au contraire à renforcer ce soutien de manière durable, aussi longtemps qu’il le faudra ;

4. Appelle en particulier à soutenir sans délai la reconstruction écologique de l’Ukraine ;

5. Appelle à l’utilisation dès à présent des actifs russes gelés et immobilisés pour soutenir l’effort de guerre ainsi que la reconstruction en Ukraine ;

6. Invite le gouvernement français à lever, le plus rapidement possible, les obstacles juridiques internes pour que la France soit en mesure de mobiliser en faveur de l’Ukraine les actifs immobilisés russes, tant privés que publics, sur le territoire national ; 

7. Invite le gouvernement français à agir au niveau de l’Union européenne pour assurer, dans l’ensemble des États membres, qu’une mise à contribution d’urgence des intérêts des avoirs russes soit mise en œuvre, au profit de l’Ukraine, conformément aux conclusions du Conseil européen des 26 et 27 octobre 2023 ; 

8. Invite le gouvernement à mener campagne auprès de ses partenaires européens et du G7 pour une utilisation du capital immobilisé, et à créer le cadre juridique et politique nécessaire à cette utilisation au profit de l’Ukraine.