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N° 2257

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 mars 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à garantir le droit à l’avortement
dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

 (Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, Hadrien CLOUET, Aurélie TROUVÉ, Mathilde HIGNET, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Paul VANNIER, Léo WALTER.

députées et députés.

 

 


 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le lundi 4 mars 2024, la France a acté un tournant historique décisif pour les droits des femmes en inscrivant dans sa Constitution la liberté garantie aux femmes d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. Les associations féministes ont mis en avant cet espoir soulevé dans le monde entier. Sarah Durocher, présidente du Planning Familial déclarait lors d’une conférence de presse : « si le texte est adopté ce soir, ce sera une victoire collective des mouvements féministes et de parlementaires. Ce vote serait un message d’espoir pour les féministes du monde entier, une défaite pour les antichoix ». La Fondation des femmes a quant à elle salué « une victoire collective des associations féministes et un signal fort envoyé aux femmes du monde entier ».

Le droit à l’avortement a été obtenu de haute lutte en France. En 1920, la loi anti‑contraception vise « toute propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité », et interdit, y compris aux médecins, de donner aux femmes des conseils en matière de contraception. En 1942, l’avortement est considéré comme un « crime contre l’État », puni de la peine de mort. En 1971, « Le manifeste des 343 », rédigé par Simone de Beauvoir, est publié dans Le Nouvel Observateur. 343 femmes affirment qu’elles ont avorté, s’exposant par là‑même à des poursuites pénales. En 1972, au « procès de Bobigny », Marie‑Claire, une jeune femme qui a avorté après un viol, est relaxée pour la première fois. Elle était défendue par Gisèle Halimi et soutenue par des mouvements féministes. Enfin en 1975, la loi Veil est adoptée, légalisant l’IVG. Les débats ont été particulièrement difficiles et Simone Veil a été insultée par des députés. Un texte provisoire est voté pour 5 ans, le vote définitif a lieu en 1979. En 1982, la loi Roudy pour l’IVG permet son remboursement par la Sécurité Sociale. Cette loi est abrogée en 1987 pendant la cohabitation. En 1990, l’IVG médicamenteuse est autorisée à l’hôpital. En 2000, la délivrance sans ordonnance des contraceptifs d’urgence est autorisée. Elle se fait pour les mineures à titre gratuit dans les pharmacies. Les infirmières scolaires sont autorisées à administrer une contraception d’urgence dans les cas de détresse. En 2001 est adopté l’allongement de 10 à 12 semaines du délai légal pour l’avortement. Les mineures dépourvues d’autorisation parentale peuvent avoir recours à un adulte référent de leur choix. Les parents ne seront pas informés par le médecin et n’auront pas accès aux éléments du dossier médical de l’enfant pour lequel le secret a été demandé. Les femmes mineures sont donc à partir de cette date également libres de disposer de leur corps. En 2004, l’avortement médicamenteux pratiqué par les médecins dans leurs cabinets est autorisé. En 2007, il peut être délivré dans les Centres de planification et d’éducation familiale (CPEF). En 2013, l’IVG est remboursée à 100 % par la Sécurité sociale. En 2014, l’IVG devient accessible sans restriction à toutes les femmes qui ne souhaitent pas poursuivre une grossesse, c’est la loi Vallaud‑Belkacem qui modifie la loi Veil et supprime la condition de détresse avérée. Par ailleurs, si un professionnel de santé empêche une patiente d’avoir recours à l’IVG (par exemple, en ne lui délivrant pas les informations nécessaires) il s’expose désormais à des poursuites pour « délit d’entrave ». En 2016, le délit d’entrave à l’IVG est étendu aux plateformes numériques. Le remboursement du parcours d’IVG, c’est‑à‑dire l’ensemble des actes associés à l’IVG (examens de biologie, échographies, consultation de recueil du consentement…) est intégralement remboursé. En 2022, le délai légal pour avoir recours à l’avortement passe de 12 semaines à 14 semaines. Deux ans plus tard, le droit à l’avortement est inscrit dans la Constitution française.

Si cette avancée historique est issue d’un long combat en France, cet élan doit également pouvoir bénéficier aux milliards de femmes dans le monde. Le 1er février 2023, des associations féministes et plusieurs syndicats déclaraient dans une tribune du quotidien Le Monde que « Cet acte hautement politique devra être prolongé par l’inscription de ce droit dans la Charte européenne des droits fondamentaux pour que les droits des femmes, partout en Europe, soient respectés et garantis ». Plusieurs pays européens ont ainsi choisi la voie de la régression. En Pologne, la vente de la contraception d’urgence sans ordonnance a été interdite en 2017 avant que le droit à l’avortement ne soit restreint en 2020. En Pologne, l’avortement est légalisé en 1956. Il est alors également gratuit. En 1993, une première loi restreint la possibilité d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse à quelques cas uniquement (viol, inceste, malformation grave du fœtus, risque pour la vie ou la santé de la femme enceinte). Nouvelle atteinte aux droits des femmes en 2017, la vente de la contraception d’urgence sans ordonnance est interdite. Puis, le droit à l’avortement est de nouveau restreint en 2020, l’interdiction portant même dans le cas d’une malformation grave et irréversible du fœtus et d’une maladie incurable ou potentiellement mortelle. Ce critère concernait plus de 95 % des 1 000 avortements légaux pratiqués chaque année dans le pays. En Hongrie, l’avortement a été légalisé en 1953. Mais depuis 2022, les femmes sont obligées d’écouter les battements de cœur du fœtus avant mettre un terme à leur grossesse. La contraception d’urgence n’est accessible que sur ordonnance et elle n’est pas remboursée.

Dans d’autres pays européens, le droit à l’avortement est restreint dans la loi mais accessible dans les faits. En Finlande par exemple, l’IVG est autorisée en cas de difficultés économiques, sociales ou de santé. En pratique, il est possible d’y avoir recours. Au RoyaumeUni, l’IVG est interdite en vertu d’une loi de 1861. Une loi de 1967 (Abortion Act) fournit toutefois des exceptions à l’interdiction d’avorter : en cas de « probable » malformation du fœtus, en cas de menace pour la santé physique ou mentale de la mère. C’est cette raison qui est souvent interprétée de manière large et qui permet de rendre l’IVG largement accessible, dans la limite de 24 semaines. Cependant, en juin 2023, Carla Foster une Britannique de 44 ans, mère de trois enfants, a été condamnée à 28 mois de prison, dont 14 fermes après avoir recouru à des pilules abortives au‑delà du délai légal, en application de la loi de 1861. Dans d’autres pays, on observe le mouvement inverse : l’avortement est un droit mais il est impossible dans les faits. En Italie, il est légalement possible d’avorter jusqu’à 12 semaines de grossesse. Il est en réalité quasiment impossible d’y avoir accès : selon un rapport publié en 2021 par le ministère de la Santé italien, 67 % des gynécologues ont, en 2019, refusé de pratiquer l’IVG au nom de la clause de conscience. Ce chiffre monte même à 80 % dans 5 des 20 régions italiennes.

Dans les pays où l’avortement est interdit, les femmes sont condamnées à mort. En Pologne par exemple, Izabel est morte en septembre 2021 à la suite d’un choc septique après que le refus des médecins de pratiquer un avortement qui aurait pu lui éviter cette infection. Elle écrivait peu avant à sa mère un SMS expliquant que « L’enfant pèse 485 grammes. Pour l’instant, à cause de la loi sur l’avortement, je dois rester couchée. On ne peut rien faire, ils attendent qu’il décède ». Dans un autre message rendu public par la famille, elle s’inquiétait : « J’espère que je n’aurai pas de septicémie, sinon je ne m’en sortirai pas. » En janvier 2022, Agnieszka T. décède à l’hôpital. En décembre, un des jumeaux dont elle est enceinte perd la vie. Sa famille estime que le personnel médical a refusé d’extraire le premier fœtus de peur de compromettre les chances de survie du second. Agnieska doit donc atteindre que le cœur du second fœtus cesse de battre avant que les médecins n’acceptent de procéder à un avortement. Son état de santé de santé s’est considérablement dégradé tout au long de son hospitalisation et elle décède le 25 janvier. Cette année‑là, 161 avortements légaux ont été pratiqués contre 2 000 environ avant la modification de loi en 2020.

En France comme ailleurs, l’interdiction de l’IVG n’a jamais empêché les femmes d’avorter. On estimait que chaque année entre 3 000 et 5 000 Françaises se rendaient encore à l’étranger, principalement aux Pays‑Bas et en Espagne, avant l’allongement du délai pour avoir recours à l’avortement à 14 semaines en 2022. Les femmes qui n’ont pas les moyens d’avorter à l’étranger ou dans des établissements privés sont contraintes de recourir à des avortements clandestins. À Malte, les femmes risquent une peine de 18 mois à 3 ans d’emprisonnement. L’IVG est aussi proscrite dans les deux micro‑États d’Andorre et du Vatican. En Pologne encore, en mars 2023, Justyna Wydrzynska a été condamnée à effectuer huit mois de travaux d’intérêt général pour avoir envoyé, en 2020, des pilules abortives à une Polonaise, victime d’un homme violent, qui l’a dénoncée à la police. L’article 152.2 du code pénal, qui vise ce délit, prévoit jusqu’à trois ans d’incarcération. Justyna est cofondatrice du collectif «  Abortion Dream Team  ». En Andorre, le 17 janvier 2024, un tribunal d’Andorre a relaxé Vanessa Mendoza Cortés. Présidente de l’association Stop Violences (Stop Violències), elle était accusée de diffamation pour avoir exprimé ses préoccupations concernant l’interdiction totale de l’avortement en Andorre lors d’une réunion du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes visant à examiner le bilan du pays en matière de droits des femmes en 2019. En 2020, le procureur général a porté trois accusations de diffamation pénale à son encontre, deux des accusations impliquant des peines d’emprisonnement. En novembre 2023, Amnesty International a publié un rapport Un mouvement inarrêtable. Appel mondial en faveur de celles et ceux qui défendent le droit à l’avortement, qui révèle combien de professionnels de la santé, de militants, d’avocats et de personnes accompagnantes sont victimes de violations, d’arrestations, de poursuites et d’emprisonnement dans le monde entier pour avoir défendu le droit à l’avortement. 

Il est indispensable d’ouvrir ce droit à toutes les femmes en Europe. Les textes européens ne mentionnent actuellement pas le droit à l’avortement. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans son article 1er, dispose que « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée ». L’article 3 dispose que « toute personne a droit à son intégrité physique et mentale ». L’article 4 que « nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». L’article 7 dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ». L’article 20 que « toutes les personnes sont égales en droit », l’article 21 qu’ » est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. » L’article 23 que « L’égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération. » A l’article 35 qu’ » Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assurée dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union. » Tous ces droits ne peuvent être garantis sans droit à l’avortement.

La présente résolution invite le gouvernement à se mobiliser diplomatiquement auprès des États membres de l’Union et de la Commission européenne afin que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantisse le droit à l’avortement.

 

 


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 222‑22 et 222‑23 du Code Pénal,

Vu les articles 8, 9 et 10 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu l’article 82, paragraphe 2, et l’article 83, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

Vu les articles 1er, 3, 4, 7, 20, 21, 23 et 35 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu les articles 1, 3, 12 et 39 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique,

Constatant que dans de nombreux pays, notamment européens, les droits des femmes ne sont pas respectés car l’avortement y est interdit ou restreint,

Constatant les mobilisations successives des organisations non gouvernementales et des citoyens pour faire évoluer le droit à l’avortement partout où il n’est pas effectif,

Constatant que la France a constitutionalisé la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse,

Considérant que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne consacre pas le droit à l’avortement et que cela a de graves conséquences sur la liberté des femmes à disposer de leur corps et sur leur santé,

Appelle de ses vœux l’inscription du droit à avorter dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Demande au Gouvernement de se mobiliser diplomatiquement auprès des États membres de l’Union et de la Commission européenne afin que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantisse le droit à l’avortement.