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N° 2377

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mars 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative à l’école rurale,

 

présentée par

M. Roger CHUDEAU, M. Franck ALLISIO, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Philippe BALLARD, M. Christophe BARTHÈS, M. Romain BAUBRY, M. José BEAURAIN, M. Christophe BENTZ, M. Bruno BILDE, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, M. Frédéric BOCCALETTI, Mme Pascale BORDES, M. Jorys BOVET, M. Jérôme BUISSON, M. Frédéric CABROLIER, M. Victor CATTEAU, M. Sébastien CHENU, Mme Caroline COLOMBIER, Mme Annick COUSIN, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, M. Jocelyn DESSIGNY, Mme Edwige DIAZ, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, Mme Christine ENGRAND, M. Frédéric FALCON, M. Grégoire DE FOURNAS, M. Thibaut FRANÇOIS, M. Thierry FRAPPÉ, Mme Stéphanie GALZY, M. Frank GILETTI, M. Yoann GILLET, M. Christian GIRARD, M. José GONZALEZ, Mme Florence GOULET, Mme Géraldine GRANGIER, M. Daniel GRENON, M. Michel GUINIOT, M. Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, M. Timothée HOUSSIN, M. Laurent JACOBELLI, Mme Catherine JAOUEN, M. Alexis JOLLY, Mme Hélène LAPORTE, Mme Laure LAVALETTE, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Gisèle LELOUIS, M. Hervé DE LÉPINAU, Mme Katiana LEVAVASSEUR, Mme Christine LOIR, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. Alexandre LOUBET, M. Matthieu MARCHIO, Mme Michèle MARTINEZ, Mme Alexandra MASSON, M. Bryan MASSON, M. Kévin MAUVIEUX, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Joëlle MÉLIN, Mme Yaël MENACHE, M. Thomas MÉNAGÉ, M. Pierre MEURIN, M. Serge MULLER, M. Julien ODOUL, Mme Mathilde PARIS, Mme Caroline PARMENTIER, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, Mme Béatrice ROULLAUD, Mme Anaïs SABATINI, M. Alexandre SABATOU, M. Emeric SALMON, M. Philippe SCHRECK, M. Michaël TAVERNE, M. Lionel TIVOLI, M. Antoine VILLEDIEU, M. Jean-Philippe TANGUY, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Pierrick BERTELOOT,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’école primaire est, depuis ses origines, un service public de proximité. Depuis Victor Duruy, qui préconisait, en 1833, que chaque commune se dotât d’une « maison d’école », l’école communale s’identifie à son village, son bourg, sa communauté de communes. L’école est littéralement – plus que l’église désormais – au « centre du village ». Elle accueille à proximité du domicile familial les enfants de 3 à 11 ans qui poursuivent ensuite leurs études au collège du chef-lieu de canton.

L’école est considérée par les habitants des zones rurales de notre pays comme un service public essentiel. Les élus apportent, du reste, beaucoup de soin à ce que « leur école » offre les meilleures conditions d’accueil et la meilleure restauration scolaire. Les communes investissent aussi dans les installations sportives, le mobilier et le matériel pédagogique, assurent le renouvellement des collections de la bibliothèque scolaire, l’achat de tableaux ou de tablettes numériques.

Or, depuis quelques décennies, deux phénomènes ont fragilisé le tissu de nos écoles rurales. D’une part, les métropoles et de leur périphérie, pourvoyeuses d’emplois ont attiré les habitants les plus instruits et les mieux formés des zones rurales et accentué leur désertification. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas uniquement de nature démographique, il est aussi, ainsi que le montre M. Christophe Guilluy, de nature sociale et économique : « Ce sont, en effet, les territoires de la France périphérique qui cumulent fragilités sociales et économiques et où se répartit désormais du fait des logiques économiques et foncières la majorité des nouvelles classes populaires » ([1]).

D’autre part, la déprise démographique générale constatée dans notre pays et qui voit se creuser la base de la pyramide des âges.

Les gouvernements successifs ont néanmoins opté, depuis quatre décennies, s’agissant du traitement de l’école rurale, pour une logique principalement budgétaire qui consiste à répercuter la baisse de la démographie scolaire sur le nombre d’emplois de professeurs des écoles affectés dans ces écoles.

 

 

Les autorités académiques ont donc procédé à une réduction drastique du nombre des structures scolaires en milieu rural.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1960

1970

1980

1990

2000

2010

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Nombre de classes uniques (public)

19010

17973

11433

7657

5606

3774

3823

3657

3581

3483

3454

3401

Nombre de classes uniques (privé)

575

748

343

215

169

136

241

290

66

61

59

57

Total

19585

18721

11776

7872

5775

3910

4064

3947

3647

3544

3513

3458

Proportion de classes uniques en %

21,5

25,1

17,3

12,5

10,0

7,2

8,0

7,8

7,3

7,1

7,2

7,2

Nombre d'écoles au total

90982

74552

67880

62981

57968

54280

50877

50492

50128

49965

48577

48220

Tableau 1 : Évolution du nombre de classes uniques entre 1960 et 2022 (Source : DEPP, Repères et références statistiques)

Les regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) ont été encouragés, soit sous forme « dispersée » au sein d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou d’un syndicat intercommunal à vocation scolaire (SIVOS), soit plus rarement sous forme concentrée par une école de centre-bourg regroupant les élèves des villages avoisinants.

Si la création de RPI se poursuit désormais au gré des opportunités, l’école rurale continue d’être affectée, année après année, par des suppressions d’emploi de professeurs des écoles, c’est-à-dire par des fermetures de classe.

Certes, les gouvernements affirment que le ministère ne retire pas de postes aux écoles rurales de postes à due proportion de la baisse démographique et qu’il s’ensuit donc mécaniquement que le taux d’encadrement moyen du premier degré s’améliore.

Mais cet argument pro domo, s’il est techniquement exact, n’est pas soutenable en matière de politique éducative.

Car l’école ne doit pas être regardée comme une source de dépenses qu’il conviendrait de contenir, voire de réduire au nom d’une saine gestion des deniers publics, mais plutôt comme un investissement d’avenir en termes de construction du lien social, de transmission des connaissances et des valeurs, conditions sine qua non de la pérennité de notre modèle civilisationnel et de notre rang dans le concert des nations.

On le voit, ce n’est pas exactement la même perspective ni le même point de vue. La présente proposition de résolution a donc pour ambition de revenir au sens et aux enjeux du maintien d’une école rurale et de dessiner les voies d’une administration de celle-ci qui soit conforme aux objectifs de l’action éducatrice de l’État, tout en s’inscrivant dans un accompagnement de la dynamique propre aux territoires ruraux.

La gestion nationale et académique des emplois de professeur des écoles doit donc tenir compte des fragilités énumérées par M. Christophe Guilluy : démographique, sociale, économique, qui ont évidemment des répercutions sur le niveau culturel et scolaire des enfants. Si l’État a été en mesure de mettre en œuvre, depuis quarante ans, une politique d’« éducation prioritaire » en direction et au bénéfice des populations des quartiers prioritaire de la ville, il doit, par simple souci d’équité, rendre non moins prioritaires les zones rurales et leurs écoles.

Une classe qui ferme, une structure scolaire menacée, voilà qui est redoutable pour l’attractivité des petites communes qui consentent de gros efforts et d’importants investissements – y compris fonciers – pour attirer de nouveaux habitants. Pourtant, il n’est pas rare que des emplois soient retirés dans des communes qui ont récemment investi dans la modernisation et la mise aux dernières normes environnementales de leur école. Enfin, les fermetures de classe sont vécues par les élus et nos concitoyens comme de nouveaux et désolants épisodes du retrait général des services publics des zones rurales.

Tenir compte des fragilités revient à peser au trébuchet les répercutions qu’entrainent, pour une petite structure scolaire rurale, un retrait d’emploi : l’équipe pédagogique s’en trouve déstabilisée, tout comme le projet d’école et souvent une suppression d’emploi en maternelle se traduit de plus par une suppression d’emploi d’ATSEM. En outre, l’inclusion scolaire en est contrariée, car la scolarisation d’enfants souffrant de handicaps demande un encadrement renforcé. Il est donc nécessaire de ne plus faire peser en permanence sur ces petites structures l’épée de Damoclès de la « carte scolaire ».

 

 


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proposition de DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article D. 211‑9 du code de l’éducation,

Vu la circulaire n° 2003‑104 du 3 juillet 2003 relative à la préparation de la carte scolaire du premier degré,

Considérant que l’école, service public de proximité, est un élément essentiel aux conditions de vie des habitants des petites communes rurales ;

Considérant les fragilités inhérentes au milieu rural et propres aux petites structures scolaires ;

1. Demande au Gouvernement de faire de l’école rurale l’objet d’un traitement spécifique en matière d’allocation des moyens d’enseignement public ;

2. Invite le Gouvernement à garantir aux écoles rurales une stabilité propice à la bonne organisation de l’enseignement, en réalisant les opérations de carte scolaire du premier degré selon un rythme tri‑annuel ;

3. Invite le Gouvernement à organiser une conférence départementale de l’école rurale, sous l’autorité du préfet et du directeur académique des services de l’Éducation nationale, réunissant les maires, le président du Conseil départemental, les présidents départementaux de l’Association des maires de France et de l’Association des maires ruraux de France et les présidents des établissements publics de coopération intercommunale, au moins une fois par année scolaire, visant à établir un état des lieux et une étude prospective de la situation des écoles rurales ;

4. Invite le Gouvernement à créer une conférence nationale de l’école en milieu rural réunissant autour du ministre de l’Éducation nationale, du ministre de l’Intérieur, des représentants de l’Assemblée des départements de France, de l’Association des maires de France et de l’Association des maires ruraux de France, consultée annuellement, notamment sur les sujets suivants : suivi de l’évolution du tissu des écoles rurales, suivi du fonctionnement des conférences départementales de l’école rurale, étude prospective de l’évolution du tissu des écoles rurales, suivi de la gestion des emplois de professeurs des écoles affectés dans les écoles rurales, suivi des investissements réalisés par les communes et intercommunalités au bénéfice des écoles rurales, examen pour avis des critères de gestion des emplois de professeurs des écoles affectés en milieu rural.

5. Invite le Gouvernement à rendre compte tous les ans au Parlement de l’état du service public de l’enseignement en milieu rural.

 

 


([1])  Christophe GUILLUY, La France périphérique, Paris, Flammarion, 2014.