N° 2422

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 avril 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête visant à déterminer les causes du déclin de l’apiculture française,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Sylvie FERRER, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Loïc PRUD’HOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. André CHASSAIGNE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Joël GIRAUD, Mme Sandrine JOSSO, M. Sébastien JUMEL, Mme Sandrine LE FEUR, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, Mme Mathilde PANOT, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Marie POCHON, M. Richard RAMOS, M. François RUFFIN,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui en France, 66 % du miel consommé est importé, majoritairement de Chine, d’Amérique centrale et du sud, et d’Ukraine, alors même que les apiculteurs français n’arrivent pas à écouler leur production. C’est près de 20 000 tonnes de miel français qui restent invendues tous les ans.

Le miel étranger lui, est importé à très bas prix par les conditionneurs français, en moyenne 2,3 euros par kilogramme depuis 2022, notamment parce qu’il n’est pas soumis aux mêmes normes environnementales et sociales que le miel français, qui a un coût de revient aux alentours de 10 euros par kilogramme. C’est donc une concurrence particulièrement déloyale que la filière apicole française doit affronter.

S’ajoute à cette concurrence déloyale un problème de fraude massive : en décembre 2023, un rapport de l’Office européen anti-fraude (OLAF) estimait que 46 % du miel de pays tiers importé dans le marché unique était soupçonné de ne pas être conforme à la législation de l’Union européenne (UE). On note par exemple un recours massif au sirop de glucose ce qui est particulièrement difficile à identifier même avec des analyses poussées, ainsi que des fraudes sur l’origine des miels, tout aussi difficile à prouver. Les méthodes de détection actuelles ne permettent donc pas de détecter tous les abus.

Si des avancées récentes liées à la « directive miel » envisagent la mise en place d’un laboratoire de référence de l’UE, rien n’est encore mis en place et cela ne pourrait exclure la nécessité de renforcer les contrôles au niveau national.

Pour cela la question de la place de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et des moyens qui lui sont alloués à cette fin mérite d’être posée si l’on veut garantir une transparence totale au consommateur et une protection effective aux apiculteurs français.

Par ailleurs l’efficacité des sanctions prévues en cas de fraude pose également question quant à sa capacité dissuasive.

Tout comme pour d’autres produits agricoles, des clauses de sauvegarde économiques et sanitaires aux frontières pourraient permettre d’arrêter l’import de miels en dessous du prix de revient du miel français, ainsi que l’import de “faux miels”.

Actuellement les efforts financiers accordés à la filière sous forme de subventions pour promouvoir le miel français ne semblent pas porter leurs fruits et l’efficience des investissements publics pourraient sans doute être évalués et réorientés, notamment au regard de la situation économique actuelle dans laquelle se trouvent la plupart des apiculteurs français, avec des problèmes récurrents de trésorerie, des recours aux emprunts fréquents, etc. La représentation nationale doit déterminer les solutions possibles pour sortir de cette situation que les apiculteurs français ne pourront plus supporter longtemps.

En outre, le taux de mortalité des cheptels apicoles sur un an a atteint ces dernières années les 30 % ([1]). On estime que 300 000 ruches meurent chaque année. Si les pertes évaluées trouvent leurs causes dans une pluralité de facteurs (changement climatique, recrudescence des attaques de frelon, propagation du varroa, etc.), l’augmentation relativement récente des dégâts concorde avec le développement des produits phytosanitaires dans d’autres filières agricoles.

De même, la situation des pollinisateurs en élevage et hors‑élevage reste hautement préoccupante du fait de l’émergence régulière de nouvelles menaces apportées par un pan de la recherche agronomique. Dernièrement, les sérieuses inquiétudes affichées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) au sujet de l’usage de nouvelles techniques génomiques alertent quant à l’évolution constante des risques technologiques qui pèsent sur les élevages apicoles.

De plus, de profondes lacunes demeurent quant à l’évaluation de la toxicité des pesticides et herbicides mis en vente en France. Le processus actuel d’autorisation de mise sur le marché implique le recours à l’Autorité européenne de sécurité des aliments et à l’Anses pour l’émission d’un avis quant aux conséquences de l’usage de tels produits. Toutefois, des failles dans les méthodes d’évaluation ont pu être révélées sans que la représentation nationale n’ait eu l’opportunité d’appréhender l’ampleur des risques induits.

Par ailleurs, le remplacement de l’indicateur Nodu par le HRI‑1 pour le suivi du plan Ecophyto alerte les éleveurs apicoles, ainsi que de nombreux scientifiques. Cette problématique qui se pose aussi comme un choix d’avenir pour notre agriculture et notre modèle environnemental doit aujourd’hui pouvoir trouver des éléments de réponses claires apportées par les députés français, sur la base de travaux scientifiques et d’une légitimité conférée par leur mandat.

Les abeilles en plus de nous fournir du miel sont à l’origine de la pollinisation de nombreuses espèces végétales cultivées comme les fruits, les légumes et les fruits à coques. Dans un rapport de l’Intergovernmental science-policy platform on biodiversity and ecosystem services([2]) publié en 2016 le consortium de scientifiques indiquait que 5 % à 8 % de la production agricole mondiale étaient directement attribuables à l’action des insectes pollinisateurs.

En France, selon le rapport de l’Évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (EFESE), ce sont 72 % des espèces végétales cultivées pour l’alimentation humaine qui sont dépendantes des insectes pollinisateurs. Cela représente entre 5 % et 12 % de la valeur totale de la production végétale française.

La situation des ruches françaises est révélatrice de l’état de santé de l’ensemble des insectes pollinisateurs, en particulier les populations sauvages. En plus des bénéfices économiques de l’activité apicole, veiller à la bonne santé des insectes pollinisateurs est donc un avantage stratégique et économique pour la France, notamment dans le cadre d’une volonté de souveraineté alimentaire.

Et pourtant près de 80 % ([3])° des insectes ont disparu en Europe ces trente dernières années. Les causes sont multiples : dégradation des habitats et lieux de niche causés par l’artificialisation des sols ; intensification des cultures et particulièrement de la monoculture céréalière qui n’alimente pas les insectes pollinisateurs ; augmentation continue de l’utilisation de pesticides. Il est donc nécessaire de maintenir des jachères pour toutes les exploitations agricoles, tant pour conserver la biodiversité sur l’ensemble du territoire que pour garantir une rentabilité agricole, notamment en cas de roulement de culture.

Enfin, l’avenir même de la filière semble compromis dans le renouvellement de ses acteurs : les formations existantes pour les apiculteurs ou les ouvriers apicoles sont insuffisantes, ce qui amène certains d’entre eux mal formés à avoir des pratiques néfastes. Une réflexion globale sur la formation aux métiers de l’apiculture est plus qu’urgente pour restructurer la filière.

Prenant acte de ces éléments sur la situation actuelle de la filière apicole française, il apparaît pertinent de s’interroger sur les causes du déclin de cette filière. Tel est l’objet de la présente résolution.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres, chargée d’étudier et d’évaluer les causes du déclin de l’apiculture française. Elle déterminera notamment la part de l’usage des pesticides, de l’artificialisation des sols, à une échelle nationale, et de la concurrence internationale déloyale du fait de normes environnementales inférieures ainsi que de la sous‑qualité du miel, à une échelle internationale.

 

 


([1])  Bicego, Q. , Boucher, S. , Carles S. , Chaume J. , Forfait, C. , Giraud, F. ,  Laurent, M. , Meziani, F. , Nozières, E. , Orlowski, M. , Sourdeau, C. , Vallon, J. , Wendling, S. (2023). Enquête nationale de mortalité hivernale des colonies d'abeilles de l’hexagone durant l’hiver 2022-2023. Plateforme ESA.

([2]) https://www.notre-environnement.gouv.fr/actualites/breves/article/les-insectes-pollinisateurs-acteurs-essentiels-de-la-production-de-notre-6278

([3])  https://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2017/10/18/en-trente-ans-pres-de-80-des-insectes-auraient-disparu-en-europe_5202939_1652692.html