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N° 2456

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 avril 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’indécence du logement social dans les départements et régions d’outre-mer,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Karine LEBON, Mme Emeline K/BIDI, M. Frédéric MAILLOT, M. Jean-Victor CASTOR, M. Marcellin NADEAU, M. Davy RIMANE, M. Jiovanny WILLIAM, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Steve CHAILLOUX, M. André CHASSAIGNE, M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Elsa FAUCILLON, M. Sébastien JUMEL, M. Tematai LE GAYIC, M. Jean-Paul LECOQ, M. Yannick MONNET, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Fabien ROUSSEL, M. Nicolas SANSU, M. Jean-Marc TELLIER, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. William MARTINET, Mme Marie POCHON, Mme Eva SAS, M. Aurélien TACHÉ, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. François RUFFIN, Mme Sandra REGOL, M. Maxime LAISNEY, Mme Caroline FIAT, Mme Rachel KEKE, M. Matthias TAVEL, M. Louis BOYARD, Mme Ersilia SOUDAIS, M. Thomas PORTES, M. Perceval GAILLARD, Mme Catherine COUTURIER, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Frédéric MATHIEU, M. Léo WALTER, Mme Ségolène AMIOT, M. Jean-Hugues RATENON, Mme Lisa BELLUCO, M. Gabriel AMARD, M. Emmanuel FERNANDES, M. Laurent ALEXANDRE, M. Éric COQUEREL, Mme Clémence GUETTÉ, Mme Marianne MAXIMI, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE, M. Paul MOLAC, M. Paul CHRISTOPHE,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Tout comme la vie chère, la problématique de l’accès au logement, et notamment au logement social, est structurelle dans les départements ultramarins et la situation se dégrade d’année en année. 

Les conséquences peuvent être terribles pour les habitants. De nombreuses personnes se retrouvent contraintes de séjourner chez leurs proches, créant souvent des tensions et des problématiques de suroccupation. D’autres sont obligées de dormir chaque nuit dans la rue ou dans leur voiture en attendant une réponse à leur demande qui prend plusieurs années. Les personnes les plus touchées par ces problèmes sont les femmes, souvent mères célibataires, désespérées à l’idée de ne pouvoir offrir un toit décent à leurs enfants.

Force est de constater que tous les acteurs impliqués dans la livraison et l’attribution des logements sociaux rencontrent des difficultés à leur échelle respective : entreprises du bâtiment, bailleurs sociaux, collectivités et préfecture.  

La conjoncture économique, l’impossibilité d’emprunter, la faiblesse des dotations et les personnels en sous‑effectif ne permettent pas de répondre de manière efficace à la crise du logement social. 

Le rapport de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution est sans équivoque. Alors que 80 % des ménages ultramarins sont éligibles au logement social et 70 % au logement très social, seuls 15 % d’entre eux en moyenne résident dans le parc social, avec des disparités selon les territoires.

Les retards de livraisons se sont accumulés et les territoires ultramarins se trouvent aujourd’hui dans une situation inextricable. Plus de 10 000 demandes de logement social sont en attente en Guadeloupe, 12 000 en Guyane et 44 000 à La Réunion. Ce sont des dizaines de milliers de familles qui, du fait de leurs moyens financiers et de leur composition, sont contraintes de vivre dans des conditions inadaptées et doivent attendre généralement plusieurs années pour enfin se voir attribuer un logement.

Lorsqu’ils sont enfin livrés, les prix des logements sociaux sont inabordables pour les populations ultramarines dont le niveau de vie est bien inférieur à celui de l’Hexagone. En moyenne, le prix de location mensuel par mètre carré de surface habitable au 1er janvier 2022 s’établissait à 6,23 euros pour un logement social en Guadeloupe, 6,44 euros en Guyane, 6,22 à La Réunion, 8,76 euros à Mayotte contre 6,05 euros pour la moyenne nationale, rappelle le rapport de la commission d’enquête. Si le prix de location s’élève à 5,72 euros par mètre carré en Martinique, le taux de pauvreté deux fois supérieur à celui de l’Hexagone ne permet pas à une grande partie de la population d’accéder à un logement social adapté.

Voici le triste record auquel nos concitoyens sont confrontés et qui n’ont pas de quoi rendre fières les autorités de notre pays.

Les règles juridiques officielles ne sont pas avares de bonnes intentions concernant le droit à l’accès au logement et plus particulièrement à un logement décent. Mais qu’en est‑il réellement ? Si le droit objectif relatif au logement peut paraître exhaustif, le droit subjectif lui n’est que très peu respecté.

La pénurie de logements sociaux touche l’ensemble du territoire national et malgré la succession de différents plans, le gouvernement n’est jamais parvenu à inverser la tendance. Le Plan logement Outre‑mer est à cet égard riche d’enseignements. Les objectifs chiffrés en termes de production de logements sociaux dans les territoires ultramarins n’ont jamais été traduits sur le plan budgétaire. Car si la politique annoncée de livraison de 150 000 logements en 10 ans, soit 15 000 logements livrés par an, peut paraître ambitieuse, force est de constater que les crédits alloués à la ligne budgétaire unique n’ont quant à eux pas évolué proportionnellement.

Malgré les alertes répétées des parlementaires ultramarins ces dernières années, les besoins urgents de logements sociaux n’ont pas été pris au sérieux par le gouvernement. Pire, alors que la grande majorité des Français d’Outre‑mer sont éligibles au logement très social, le Premier ministre vient d’annoncer l’intégration du logement intermédiaire dans la part de logements sociaux obligatoires par commune.

L’État préférant se décharger de sa responsabilité sur les collectivités territoriales, l’argument d’un crédit disponible sous‑utilisé ou mal utilisé est répété à l’envi. Car oui, l’État met à disposition un budget annuel pour permettre la construction ou la rénovation de logements sociaux et cet argent public lui confère une responsabilité à la fois sur l’atteinte des objectifs mais également sur le contrôle de l’utilisation de ces fonds publics.

Le droit à un logement décent doit être d’autant plus respecté lorsque les logements sont financés par les pouvoirs publics. Or, les territoires ultramarins font face à une problématique de défauts graves de confort. Les familles n’en finissent pas de dénoncer l’état déplorable, voire dangereux, de leur logement social. Le rapport de la commission d’enquête sur la vie chère rappelle à cet égard que le parc social ultramarin a un âge moyen de 19 ans, contre 39 ans dans l’Hexagone. Ainsi, bien que plus récents, les logements sociaux construits dans ces territoires atteignent plus rapidement les limites de l’obsolescence, nécessitant une réfection profonde.

Les chiffres officiels relatifs à l’indécence du logement social sont sous‑évalués et la moitié correspond à du logement social neuf. Cette donnée interpelle et les habitants peinent à comprendre les raisons pour lesquelles leur logement neuf se dégrade beaucoup plus rapidement qu’un logement ancien. Les malfaçons sont monnaie courante et mettent en exergue un défaut de contrôle a priori et a posteriori des constructions de logements sociaux.

Les dégradations les plus courantes sont le fait d’infiltrations d’eau alors même que tout doit être mis en œuvre pour protéger les habitations de ce fléau aux conséquences importantes. Les murs se dégradent, la peinture tombe, et les habitants risquent de développer des maladies respiratoires. Des appartements entiers peuvent même se retrouver inondés. Dans des territoires soumis à l’humidité et aux intempéries, la lutte contre les infiltrations devrait pourtant être la priorité des constructeurs. Dans la majorité des cas, les réactions des bailleurs sociaux se font attendre lorsqu’un problème est signalé, laissant ainsi la situation s’envenimer jusqu’à atteindre l’insalubrité.

Différents organismes tentent tant bien que mal de faire valoir les droits des locataires et offrent un accompagnement judiciaire aux locataires de logements sociaux indécents. Leur action a notamment déjà permis d’engager un grand nombre de procédures devant le tribunal judiciaire pour logement indécent.

À la Réunion, alors que 45 % du financement des programmes de logements sociaux relèvent de subventions, contre 28 % dans l’Hexagone, les services de l’État ne contrôlent pas la qualité des matériaux utilisés et des lots livrés. En effet, une fois l’agrément accordé, le respect des normes ne semble plus être du ressort des pouvoirs publics.

Depuis plus de 10 ans, nous assistons pourtant à une dégradation importante des logements livrés. Les autorités se voient régulièrement contraintes de prendre des arrêtés de périls sur des logements neufs, obligeant parfois à la destruction de bâtiments fraîchement livrés en raison d’un risque imminent pour la sécurité des occupants.

La Confédération nationale du logement de La Réunion confirme, après signalements et inspections, que 148 immeubles neufs de moins de 10 ans présentent des signes d’indécence. Le même phénomène se produit lors des opérations de réhabilitation où l’on observe qu’un nombre plus important de problèmes apparaît après les travaux. Si la liste de ces bâtiments a été transmise au préfet le 3 octobre 2023 qui a ensuite contacté les bailleurs sociaux, cette alerte est restée lettre morte.

Ladite sous‑exécution des crédits accordés ne doit pas inciter l’État à rester passif. Entre la ligne budgétaire unique, les dépenses de la Caisse des dépôts et des consignations et l’ensemble des dispositifs de défiscalisation, ce sont des centaines de millions d’euros qui sont disponibles chaque année pour mettre à la disposition de nos concitoyens un logement social digne.

En tant que contributeur principal, l’État doit pleinement jouer son rôle de contrôle du respect des normes de construction, les missions de l’Agence nationale de contrôle du logement social ne semblant pas être suffisantes pour assurer la décence des nouveaux logements livrés. Si le manque d’effectifs est souvent mis en avant par les pouvoirs publics, l’État doit en tirer toutes les conséquences. Il en va de la dignité, de la sécurité et de la santé de nos concitoyens ultramarins.

Cette commission d’enquête que nous appelons de nos vœux devra chercher à dresser une appréciation objective, globale, détaillée et pragmatique de l’ensemble des causes contribuant directement et indirectement au désordre constaté dans le logement social neuf afin d’y apporter des réponses à court, moyen et long terme qui soient à la hauteur des enjeux et défis à relever. Elle devra notamment porter sur la répartition du budget prévisionnel des opérations financées ainsi que sur le rôle de l’État dans le contrôle de la production et de la qualité des logements sociaux.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée d’étudier et d’évaluer l’ensemble des mécanismes qui concourent à l’indécence et à l’insalubrité du logement social neuf et réhabilité dans les départements et régions d’Outre‑mer régis par l’article 73 de la Constitution.