N° 2529

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 avril 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative à la mise en place d’un comité des métiers du secteur social et médico-social visant à organiser le pilotage de la revalorisation des personnels exclus des « accords du Ségur et Laforcade » et de l’attractivité du secteur sanitaire, social et médico-social,

 

présentée par

M. David TAUPIAC, M. Bertrand PANCHER, M. Christophe NAEGELEN, M. Guy BRICOUT, M. Jean-Louis BRICOUT, M. Michel CASTELLANI, Mme Béatrice DESCAMPS, M. Yannick FAVENNEC-BÉCOT, Mme Martine FROGER, M. Stéphane LENORMAND, M. Max MATHIASIN, M. Paul MOLAC, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, M. Laurent PANIFOUS, M. Benjamin SAINT-HUILE, M. Paul-André COLOMBANI, M. Charles DE COURSON,

députés et députées.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La conclusion des accords du « Ségur de la santé » et des accords dits « Laforcade » ont permis à une partie du personnel sanitaire, social et médico‑social depuis 2020 de bénéficier d’une augmentation salariale de 183 euros net par mois, sous la forme d’un complément de traitement indiciaire.

Ces professionnels sont présents dans tous les domaines de l’intervention sociale : le grand âge, la politique du handicap, la lutte contre les exclusions, l’enfance et la protection maternelle et infantile, la protection juridique des majeurs, le droit d’asile, la protection des femmes victimes de violences, etc. Ils sont présents dans le secteur public (hospitalier, État et collectivités territoriales) mais également dans le secteur privé, notamment associatif.

Deux années après ces accords et malgré un effort financier important du Gouvernement, nombre de ces personnels demeure encore exclu du dispositif ce qui participe à créer une forme d’incompréhension pour ces professionnels.

Tel est le constat de deux rapports présentés depuis ce début de l’année 2024 devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale : le livre blanc du Haut Conseil du travail social (décembre 2023) et l’avis du Conseil économique, social et environnemental sur les métiers de la cohésion sociale.

Constatant que la revalorisation salariale a en réalité « contribué à exacerber les tensions au sein du secteur, entre celles et ceux qui étaient éligibles et celles et ceux qui n’y avaient pas droit », ils préconisent l’extension à tous les salariés de l’augmentation des 183 euros annoncée par le gouvernement.

Une dégradation de la situation financière et sociale de certains établissements et de l’attractivité du secteur en général.

Car il y a urgence. Cette exclusion participe au déficit d’attractivité des métiers de l’action sociale et éducative constaté notamment depuis la crise de la Covid. Elle déstabilise de nombreuses structures dans leur fonctionnement et impacte leurs missions d’accompagnement, devant gérer des professionnels ayant des statuts différents face aux revalorisations.

Les disparités de traitement salarial entre les personnels provoquent des démissions des personnels préférant rejoindre des établissements leur permettant de bénéficier d’une revalorisation salariale.

Pour éviter cet exode, de nombreuses structures, notamment celles du secteur associatif déjà fortement en tension, se voient contraintes à puiser dans leurs fonds propres pour rémunérer à égalité leurs personnels et conserver un accompagnement de qualité des publics accompagnés, fragilisant des trésoreries déjà malmenées.

En décembre 2023, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) a publié les résultats d’une enquête flash réalisée auprès des responsables de structures qui dépendent de l’État comme des départements : 27 % déclarent avoir été contraints de fermer un service ou une partie de l’activité faute de moyens humains ou financiers.

Afin d’établir un état des lieux et un chiffrage précis des personnels exclus des différents accords, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) a déposé un amendement adopté dans le cadre la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, demandant au Gouvernement l’établissement d’un rapport visant d’une part à identifier les professions du soin, du médico‑social et du social qui n’ont pas bénéficié des mesures de revalorisations prises dans le cadre du « Ségur de la santé et des accords dits « Laforcade » et d’autre part, à présenter des pistes pour améliorer la rémunération des personnels exclus.

Le rapport remis en décembre par le Gouvernement au Parlement, en application de l’article 83 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2023, loin de clore le débat sur le périmètre des personnels exclus, a au contraire ajouté de la confusion à la crise.

Selon ce rapport, 120 800 professionnels ont été exclus des revalorisations salariales issues du Ségur de la santé et des accords Laforcade, dont 92 400 dans le secteur privé non lucratif exerçant dans le handicap et le social et 26 600 agents de la fonction publique.

Ainsi se retrouvent exclus :

 les professionnels exerçant des fonctions administratives ou techniques (direction, administratifs et techniques, assistants maternels ou familiaux) du secteur sanitaire, médico‑social et socio‑éducatifs ;

 les professionnels n’appartenant pas aux structures du champ délimité, à savoir les professionnels exerçant en dehors d’une structure sanitaire ou des structures sociales et médico‑sociales mentionnées à l’article L.312‑1 du code de l’action sociale et des familles.

Ce chiffrage est contesté par certains syndicats et certaines organisations professionnelles, tant sur les estimations que les écarts de chiffres et les périmètres.

Ainsi AXESS estime que cet état des lieux « ne peut servir, à ce jour, de référentiel pour mener des discussions sereines avec le gouvernement, les organisations syndicales et les parlementaires ».

De même, elle constate que le rapport présente un coût des charges qui ne correspond pas à la réalité avec « un différentiel de charges important entre le secteur public et le secteur privé non lucratif ».

Ce différentiel serait la cause d’un « sousfinancement chronique » et expliquerait le « sous calibrage des financements versés au titre du Ségur pour les personnes éligibles ».

Combinés au nonversement de certaines autorités de financement qui ne tiennent pas toujours leurs engagements, elle évalue que cela représenterait « près d’1 milliard d’euros non perçus par le secteur ».

À titre d’exemple, l’enquête de l’UNIOPSS révélait qu’un établissement d’accueil médicalisé (Occitanie) serait en attente de 80 000 euros, un foyer d’accueil médicalisé (PACA) de 350 000 euros, une maison d’enfants à caractère social (Île-de-France) de 126 000 euros…

Cette situation crée des difficultés de trésorerie dont souffre de manière importante le secteur associatif.

Quant aux résultats de l’enquête flash du GEPSo en 2023 concernant les difficultés financières des ESMS publics œuvrant dans le champ du handicap, les résultats ne sont pas moins inquiétants à savoir :

– 87 % sont en déficit fin 2023 et 52 % sont même largement déficitaires (+ de 5 % de déficit) ;

– avec une hausse moyenne des charges de +14,17 % en 2023, 80,77 % ont dû mettre en place une politique de réduction des dépenses, au détriment de la masse salariale et des activités des usagers ;

– 90 % énoncent n’avoir pas assez ou pas du tout bénéficié de compensations financières face à la hausse des coûts de l’énergie ;

– 86,67 % déclarent faire face à un manque de professionnels et 93 % énoncent que ce manque de professionnels impacte directement la qualité de l’accompagnement proposé aux personnes accompagnées.

La Fédération hospitalière de France et le GEPSo estiment que ne sont pas non plus détaillés dans le rapport les éléments qui fondent la distinction entre les établissements autonomes et les établissements rattachés, ni même ce que seraient les différences de condition d’exercice selon le statut de l’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS) pour les professionnels concernés (les filières administratives et techniques).

Surtout, le rapport ne comporte aucune analyse des conséquences de l’exclusion sur l’attractivité des métiers concernés, ni du défaut d’attractivité ou des tensions internes qui peuvent résulter de cette situation pour les établissements concernés par une éligibilité au complément de traitement indiciaire (CTI) pour une partie seulement de leurs personnels.

Pour la CFDT Santésociaux, il est « incompréhensible que personne ne puisse se mettre d’accord sur des données pourtant nécessaires au pilotage des politiques publiques. Cette absence de diagnostic clair ne permet pas de trouver de solutions concrètes et partagées par l’ensemble des parties prenantes à la situation des « exclus du Ségur ».

Une situation qui s’enlise. Des pistes d’améliorations.

C’est dans ce cadre que, côté fonction publique, suite à la demande de la Fédération hospitalière de France, le Conseil d’État a transmis le 21 décembre dernier, une question prioritaire de constitutionnalité, reprochant à la loi d’exclure du bénéfice du CTI « les agents publics des filières administrative, technique et ouvrière ainsi que ceux des services hospitaliers qualifiés exerçant leurs fonctions au sein d’un établissement social et médicosocial autonome, hors établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ».

Le Conseil Constitutionnel a considéré que le traitement différencié des personnels était valide et a rappelé que le législateur souhaitait avec ce CTI, « renforcer l’attractivité de ces fonctions eu égard aux difficultés particulières de recrutement que rencontrent ces établissements ».

Pour le secteur privé non lucratif, le Gouvernement renvoie la revalorisation sous condition pour les partenaires sociaux d’un engagement à accepter de poursuivre la négociation globale de la convention collective nationale unique étendue de la branche de l’action sanitaire et sociale (CCNUE) dans le calendrier contraint proposé. Cette négociation entamée depuis de longs mois a échoué à plusieurs reprises.

La possibilité annoncée par le Gouvernement de prendre en compte la situation des non‑bénéficiaires du Ségur dans le cadre de la nouvelle revalorisation salariale à négocier d’ici la fin juin 2024 sous condition d’un accord reste sans garantie encore une fois de résultats au regard des premières annonces des syndicats.

Aussi, face au devenir incertain du règlement de la situation des exclus du Ségur, le besoin d’une instance de dialogue et de concertation sur l’attractivité des métiers du lien et de l’accompagnement en général et sur la question des exclus du Ségur, qui associerait les financeurs, les autorités publiques, les associations et les partenaires sociaux, apparait désormais plus que nécessaire.

Cette question d’une gouvernance sur l’attractivité des métiers a déjà fait l’objet de propositions jamais suivies d’effets à ce jour comme la création d’une délégation interministérielle aux métiers du social, du médico‑social et du soin, annoncée le 17 novembre dernier parmi les mesures de la stratégie "bien vieillir".

À l’occasion de la Conférence des métiers le 18 février 2022, le Premier ministre M. Jean Castex s’était engagé à la création d’ » un Comité des métiers socioéducatifs, avec toutes les parties prenantes, pour organiser dans la durée un pilotage resserré de la bonne mise en œuvre d’un agenda ambitieux pour ces métiers ».

Celui‑ci était présenté comme devant établir enfin un diagnostic partagé sur le périmètre des personnels encore exclus et le chiffrage précis nécessaires à l’égalité de la revalorisation.

Pour lever les freins, plusieurs voix demandent aujourd’hui la mise en place de ce comité comme une des solutions de règlement de la question des exclus du Ségur afin que chacun s’engage dans des solutions pérennes pour sortir le secteur de la crise.

Tel est l’objet de cette proposition de résolution.

 


– 1 –

proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la loi n° 2023‑1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024,

Vu le rapport pris en application de l’article 83 de la loi n° 2022‑1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 sur les exclus du Ségur,

Considérant l’effort financier des « accords du Ségur et de la mission Laforcade » qui ont amorcé une revalorisation nécessaire d’un certain nombre de personnels sanitaires, sociaux et médico‑sociaux ;

Considérant que l’exclusion de ces accords d’un certain nombre de personnels listés par les rapports mentionnés déstabilisent le secteur sanitaire, social et médico‑social ;

Considérant que le rapport rendu en application de l’article 83 de la loi n° 2022‑1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 n’a pas permis un constat partagé sur le nombre et le périmètre des personnels exclus des revalorisations ni ne mentionne aucune piste pour améliorer spécifiquement la rémunération de ces professionnels ;

– invite le Gouvernement à mettre en place sans délai le comité des métiers du secteur social et médico‑social annoncé le 18 février 2022, regroupant les acteurs associatifs, les organisations professionnelles et les autorités publiques concernées ;

– demande que ce comité des métiers se saisisse en priorité de la question des personnels exclus des « accords du Ségur et Laforcade », préalable indispensable à la question de l’attractivité et organise dans la durée un pilotage resserré de la mise en œuvre de cet agenda d’attractivité ;

– propose au Gouvernement d’envisager sa déclinaison dans les territoires en fonction des besoins de la population et de l’offre médico‑sociale et sociale dans les bassins de vie ;

– propose que ce comité des métiers pose un diagnostic partagé par ses membres sur le nombre et le périmètre des professionnels encore exclus ;

– invite ce comité des métiers à avoir une réflexion particulière sur les personnels exerçant principalement des fonctions de direction, administratives ou techniques, mais aussi des assistants maternels ou familiaux et les métiers socio‑éducatifs ;

– propose que ce comité des métiers se voit confirmer les attributions initialement définies à savoir la gestion prévisionnelle des emplois et de compétences, de la rénovation de l’architecture des qualifications et des diplômes ou de la modernisation des outils de contractualisation pour améliorer la qualité du travail des professionnels et faciliter l’innovation ;

– propose qu’il accorde une attention particulière à la réflexion sur les taux et normes d’encadrement dans l’ensemble des métiers du lien ;

– demande que soit définie une programmation budgétaire destinée à donner de la visibilité aux professionnels du secteur permettant la revalorisation de l’ensemble des personnels encore exclus « des accords du Ségur et Laforcade ».