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N° 2530

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 avril 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

pour une juste reconnaissance du travail des infirmières libérales,

 

présentée par

M. Damien MAUDET, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER, M. Mickaël BOULOUX, Mme Karine LEBON, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Stéphane LENORMAND, Mme Marie POCHON, Mme Véronique BESSE, Mme Claudia ROUAUX, M. Jean-Claude RAUX, M. Paul MOLAC, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Charles FOURNIER, M. Christophe NAEGELEN,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

13 avril 2020, M. Emmanuel Macron : « Notre pays, tient tout entier, sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. »

Depuis la Covid, rien ne semble changer pour les rémunérations des infirmières.

« J’aime mon métier, j’ai toujours voulu faire ça, mais la situation me pousse à réfléchir. » - Sophie, infirmière à Limoges.

« Je fais entre 150 et 200 kilomètres par jour. L’essence j’y mets 80 euros tous les 3 jours. Elle a beaucoup augmenté et on ne nous a rien donné. Si, 25 centimes ! Et ne valoriser que l’indemnité kilométrique c’est encore plus dégradant : c’est l’acte de soin, le cœur de notre travail, qu’on veut voir augmenter. La piqûre est toujours à 4,50 euros, une prise de sang, un pansement simple c’est toujours moins de 10 euros. Ce n’est plus possible. » – Sylvie, infirmière à Toulouse.

« Ma génération et les suivantes, on aime notre métier, mais nous ne sommes pas d’accord pour travailler autant et sans compter. »  Sarah, infirmière à Limoges.

« J’ai l’impression de passer ma vie à me battre avec les administrations. » – Anne, infirmière à Peyrat‑le‑Château.

« C’est difficile de trouver des infirmières ici. Venir pour faire des toilettes, peu payées, avec beaucoup de kilomètres… Ça ne fait pas envie, je peux comprendre. » – Valérie, fille d’une patiente à Champnétery.

De janvier à décembre, des jours fériés aux vacances, de Peyrat‑le‑Château au centre de Toulouse, en passant par la périphérie de Lyon ou d’une autre préfecture, sous‑préfecture, du Nord au Sud, partout en France, du matin jusqu’à tard le soir, nos concitoyens peuvent compter sur nos infirmières libérales pour leurs soins. Elles sont 135 000 dans tout le pays à venir jusque dans notre salon, notre chambre pour soigner les plaies, faire la prise de sang ou donner les médicaments, accompagner nos proches jusqu’à la fin de leur vie. Sans elles, il n’y aurait pas de continuité des soins. Elles prennent le relais de leurs consœurs dans les hôpitaux. Elles sont le trait d’union entre les structures de soin et le domicile. Durant la Covid, les infirmières libérales étaient évidemment en première ligne, risquant parfois leur vie pour soigner à domicile et dans les centres de vaccination, pour protéger la population, souvent les plus fragiles.

C’est un métier essentiel. Mais depuis quelques années, un mal‑être traverse la profession. Des collectifs ont émergé dans toute la France sous le nom « Infirmiers libéraux en colère ». Il semblerait même que certaines et certains décrochent leur plaque. Plus de la moitié des professionnels envisagent de cesser leur activité dans les cinq prochaines années. Les infirmières sont 92 % à affirmer connaître au moins une personne de leur entourage ayant arrêté le métier, soit à cause d’un burn out, de la fatigue ou du découragement, soit à cause du manque de reconnaissance ou de la rémunération insuffisante.

Soins non revalorisés, des kilomètres peu compensés.

« Depuis 2009, l’acte médical infirmier pour lequel nous sommes payés n’a pas été revalorisé. Il plafonne à 3,15 euros face à une inflation de 20 %. Il est clair que notre pouvoir d’achat a chuté. »  Vincent, infirmier à Limoges.

Les infirmières libérales aiment leur métier, mais ne se sentent pas reconnues. Elles ont sans doute raison. Selon une étude, parmi les infirmières qui envisagent de changer de métier, une des raisons fortes est le revenu, pour 68 % des sondées. Les actes infirmiers n’ont pas été revalorisés  2009 ! Le coût de la vie, lui, a considérablement augmenté, qui plus est dans cette période de très forte inflation. Durant ces quinze années sans réévaluation, les infirmières libérales ont perdu l’équivalent de 25 % de pouvoir d’achat. Et la nomenclature n’inclut toujours pas des soins pourtant souvent prodigués : mise des bas de contention, collyre, surveillance de sonde urinaire. Les infirmières sont aussi coincées dans des absurdités qui ne sont plus en phase avec leur métier. C’est notamment le cas de la dégressivité du tarif des actes. Lorsqu’une infirmière intervient pour trois actes sur une même personne, le premier est payé 100 %, mais le second que 50 %, et pire, dès le troisième : 0 % ! Cela n’a aucune logique : du travail gratuit. Autre incohérence, les heures de nuit et les dimanches qui ne sont que très peu majorés. Si une infirmière intervient avant 8 heures ou un dimanche, pour que l’acte soit majoré, il faut prouver que l’intervention médicale nécessitait d’être réalisée ce jour ou cette heure. Seulement, comme l’explique Sophie de Limoges, c’est en totale contradiction avec la réalité du terrain : « Il est 6 heures 30, mais je suis payée sur des horaires de jour. Parce qu’il faudrait que je justifie médicalement pourquoi je ne passe pas avant 8 heures. Mais si je commence ma tournée à 8 h ce n’est pas tenable… Et même ma patiente, elle doit partir au travail. » Autre exemple, mais pas des moindres : les frais kilométriques. En plus du très faible taux de remboursement (2,75 euros le trajet), bien en deçà des hausses du carburant, passé 300 kilomètres les frais ne sont remboursés qu’à 50 %, puis 0 % après 400 kilomètres. Dans un contexte de désertification médicale, c’est un non‑sens et cela pousse des infirmières à refuser les actes trop éloignés de leur trajet. Après les déserts médicaux, voici l’arrivée des déserts paramédicaux, fragilisant l’accès aux soins de nos concitoyens. Le maillage territorial est aujourd’hui assuré par les infirmières libérales.

Une pénibilité non reconnue.

« Le matin, je peux me retrouver à 6 heures 30 à quatre pattes par terre pour enfiler des chaussures ou ne seraitce que des bas de contention. Donc ce sont des corps à soulever, à manipuler, des postures qui peuvent être pénibles. Moi, j’ai de l’arthrose au niveau des mains. Et bien sûr, plus vous vieillissez, plus ces douleurs s’installent » – Mélina.

Selon les enquêtes, 94 % des infirmières libérales estiment que les conditions de travail se sont dégradées. La pénibilité non reconnue est d’ailleurs unes des raisons de leur dernière mobilisation. Le métier est dur physiquement. Une étude de convergence infirmière de 2023, nous explique : 45 % des infirmières parcourent entre 50 et 100 kilomètres chaque jour pour aller travailler, presque 40 % ont des trajets quotidiens entre 100 et 200 kilomètres. 50 % montent et descendent de leur véhicule entre 50 et 100 fois par jour. Les marches d’escalier : entre 100 à 500 chaque jour. Enfin, le plus clair peut‑être : plus de 66 % des infirmières soignent entre 20 et 40 patients par jour. Les corps sont usés. Selon le collectif infirmiers libéraux en colère, 65 % déclarent avoir des troubles du sommeil, 55 % des problèmes ostéo articulaires dans les membres supérieurs. Résultat, elles ont rapidement le corps usé. De fait, leur espérance de vie est même inférieure de sept années par rapport à la moyenne nationale. Pourtant, elles ne peuvent partir à la retraite à taux plein qu’à 67 ans.

Pourraton encore se soigner ?

« On n’en peut plus, des cabinets ferment partout. Alors que l’État pousse les patients à rester chez eux car ils coûtent trop cher à l’hôpital. On a des personnes de 90 ans qui ne sont pas stabilisées, qui auraient dû rester 3 jours de plus à l’hôpital, et on est là pour elles. On pallie le manque d’effectifs à l’hôpital. » – Sylvie, infirmière à Toulouse.

Le « virage ambulatoire » ! Depuis des années, voilà ce qui a fait fermer des milliers de lits d’hôpitaux. Maintenant, que les lits sont fermés, que l’on pousse les gens à se faire soigner chez eux… on se rend compte que les soignants à domicile veulent changer de métier ! Nous sommes face à un nouveau péril. À l’hôpital, les infirmières partent, le nombre de postes vacants est passé de 7 500 à 60 000 depuis la Covid. Il y a urgence à faire en sorte que les infirmières libérales n’empruntent pas le même chemin. De plus, dans un contexte de désertification médicale, les infirmières vont avoir un rôle majeur à jouer. Et elles y sont prêtes, sans aucun doute. Seulement, il faut que l’État, la Sécurité sociale, soient à la hauteur de leurs engagements. C’est une nécessité absolue pour les infirmières, pour nos concitoyens.

Si cet exposé des motifs est conjugué au féminin, c’est bien parce qu’il s’agit d’un métier essentiellement exercé par des femmes, puisqu’elles représentent 89 % de la profession. Une fois de plus, il s’agit d’un métier du soin, un métier du lien, un métier féminin, non reconnu à sa juste valeur. Il est plus que temps de corriger l’erreur.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant la déclaration du président de la République datant d’avril 2020, selon laquelle « Notre pays, tient tout entier, sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal » ;

Considérant que les actes n’ont pas été revalorisés depuis 2009 ;

Considérant l’inflation qui touche de plein fouet la profession ;

Considérant que le virage ambulatoire repose sur la continuité des soins assurée en grande partie par les infirmières libérales ;

Considérant que 1,6 millions de personnes renoncent à se soigner chaque année car vivant dans un désert médical ;

Considérant que plus de la moitié des infirmières libérales envisagent de changer de métier dans les cinq prochaines années ;

Considérant que l’espérance de vie des infirmières libérales est de sept années inférieures à la moyenne nationale, alors que leur retraite à taux plein n’est accessible qu’à 67 ans ;

Considérant que sans revalorisation des actes et une prise en charge sérieuse des frais kilométriques, les infirmières libérales sont dans l’incapacité de prendre de nouveaux patients, ce qui risque de dégrader encore plus l’offre de soin ;

Considérant que la population française nécessite de plus en plus de soins à domicile ;

Invite les parlementaires à se prononcer pour une revalorisation des actes infirmiers et des frais kilométriques, une mise à jour de la nomenclature, ainsi que sur une amélioration substantielle des conditions de travail pour les infirmières libérales.