N° 2617

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à protéger le modèle d’assurance chômage et soutenir l’emploi des séniors,

 

présentée par

Mme Martine FROGER, M. Benjamin SAINT-HUILE, M. Laurent PANIFOUS, M. Jean-Louis BRICOUT, M. David TAUPIAC, M. Stéphane LENORMAND,

députée et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En avril 2024, le ministère du travail a dit « regretter » l’échec des négociations entre les partenaires sociaux sur la vie au travail et l’emploi des seniors, et annoncé qu’il fixera lui‑même les nouvelles règles d’assurance chômage qui s’appliqueront à partir du 1er juillet 2024.

Les trois organisations patronales ainsi que trois des organisations syndicales représentatives (CFDT, FO, CFTC) étaient pourtant parvenues à un accord le 10 novembre 2023 sur de nouvelles règles d’indemnisation. Le Gouvernement ne l’avait pas agréé pour cause d’incertitudes sur les économies attendues.

Cette reprise en main par l’État est devenue la règle depuis 2017, portant un coup au paritarisme pourtant originellement au cœur de notre modèle d’assurance chômage. L’une des raisons de ce recul : l’introduction d’un document de cadrage par la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018. Le Gouvernement remet désormais aux organisations d’employeurs et de salariés représentatives une lettre qui définit au préalable le délai pour aboutir à une convention d’assurance‑chômage, ainsi que les objectifs de la négociation, dont une « trajectoire financière ».

Toutes les organisations s’accordent à dire que ce document de cadrage contraint fortement leurs négociations, et explique en partie leurs échecs.

Une nouvelle réforme d’assurance chômage sera donc entérinée par décret de carence d’ici à juillet prochain, alors que les trois précédentes réformes qui se sont succédées n’ont fait l’objet d’aucune évaluation sérieuse.

Ces dernières ont durci à chaque fois les conditions d’accès à l’assurance chômage en jouant notamment sur la durée d’affiliation, la durée d’indemnisation, la formule de calcul. La dernière nouveauté a été d’introduire la notion de « contracyclicité » qui module la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi en fonction de l’état de santé du marché de l’emploi. Si le taux de chômage est inférieur à 9 %, et ne progresse pas de plus de 0,8 point sur un trimestre, la durée d’indemnisation est réduite de 25 %.

Par conséquent, actuellement, la durée d’indemnisation maximale est fixée à 18 mois pour le droit commun, contre 24 mois auparavant. Pour les personnes âgées de plus de 55 ans, elle est de 27 mois, contre 36.

Le rapport intermédiaire de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) nous donne un premier aperçu des conséquences de la réforme de 2019 : celle‑ci a fait diminuer le montant moyen des allocations de 17 % par rapport à 2019 et la durée d’indemnisation de 25 %. Désormais, seuls 36 % des inscrits à France Travail sont indemnisés, niveau qui n’a jamais été aussi faible. 45 % des allocataires sont passés sous le seuil de pauvreté.

La diminution du nombre d’entrées est particulièrement marquée parmi les personnes en intérim et en fin de contrat à durée déterminée (CDD) qui sont les plus impactées. Quant à la reprise d’emploi, elle aboutit rarement à un contrat de long terme, notamment chez les jeunes.

En parallèle, le Gouvernement s’est lancé dans une réforme de Pôle Emploi devenu France Travail, sans donner les moyens financiers et humains à l’institution de réaliser un vrai accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi.

Aujourd’hui, les pistes mises sur la table par le Gouvernement vont dans le sens d’un nouveau durcissement : diminution de la durée d’indemnisation (jusqu’à 12 mois), alignement de la durée d’indemnisation des seniors sur celle du droit commun, nouvelle augmentation de la durée d’affiliation pour prétendre à l’indemnisation, ou encore diminution du niveau d’indemnisation. Pourtant, il est important de rappeler que le principe de l’assurance chômage est celui d’une assurance contributive où les prestations perçues dépendent en partie des cotisations prélevées.

Concernant les seniors, il convient de reconnaître que la dernière réforme des retraites n’a pas été précédée d’un plan pour l’emploi des seniors, et que toutes les mesures les concernant ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Pourtant, ils sont un public vulnérable. Le taux d’emploi des 55‑64 ans se situe à 56 %, et le taux de chômage augmente au fur et à mesure que les seniors prennent de l’âge. Un an après la promulgation de la réforme, et alors que les partenaires sociaux ont échoué à s’accorder sur ce point, il est à craindre qu’aucun plan d’ampleur ne soit envisagé.

Il faut enfin rappeler qu’en parallèle, le Premier ministre a annoncé la suppression de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) avec le risque de basculement d’un grand nombre de personnes au revenu de solidarité active (RSA).

Si le système d’assurance chômage doit être juste et efficace, il ne peut être envisagé comme le seul instrument de la politique de l’emploi, et encore moins comme une variable d’ajustement budgétaire. Il est avant tout un filet de sécurité, en cas d’accident de parcours. Le chômage est un risque qui peut concerner tous les actifs, un jour ou l’autre. L’assurance chômage doit permettre aux personnes qui en bénéficient de retrouver un emploi, le plus rapidement possible, en adéquation avec leurs compétences et volontés.

La condition doit rester celle du caractère incitatif à la reprise d’emploi : ce qui est le cas aujourd’hui. D’ailleurs, il faut rappeler que plus d’un demandeur d’emploi sur deux n’est pas indemnisé.

En parallèle, il faut continuer à lever les freins à l’emploi qui sont nombreux : qu’il s’agisse de la formation, de la mobilité, de la garde d’enfants… L’accompagnement vers l’emploi doit être mieux investi.

Aujourd’hui, notre modèle d’assurance chômage doit être conforté et protégé afin d’éviter un basculement dans la pauvreté, qui éloigne nécessairement du marché du travail, à rebours de l’objectif poursuivi.

Tel est l’objet de cette proposition de résolution, qui vise à préserver notre modèle d’assurance chômage, à soutenir l’emploi des séniors, et à s’appuyer – pour ce faire – sur le paritarisme.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article L. 1 du code du travail,

Vu les articles L. 5422‑1 à L. 5422‑25 du code du travail,

Considérant que notre modèle d’assurance chômage repose sur le dialogue social et le paritarisme ;

Considérant que toutes les réformes d’assurance chômage depuis 2019 ont été entérinées par décrets de carence, affaiblissant ainsi le dialogue social ;

Considérant que le Gouvernement a annoncé sa volonté de déterminer les nouvelles règles d’assurance chômage par un nouveau décret de carence, en dépit d’un premier accord des partenaires sociaux en novembre 2023 ;

Considérant que les réformes d’assurance chômage menées depuis 2019 n’ont pas fait l’objet d’une évaluation complète et précise sur leurs conséquences sur les assurés et sur le marché du travail ;

Considérant qu’un premier rapport intermédiaire de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques indique que les règles d’indemnisation introduites en 2019 ont fait diminuer le montant moyen des allocations de 17 % et la durée d’indemnisation de 25 % ;

Considérant que le modèle d’assurance chômage est celui d’une assurance contributive où les prestations perçues dépendent des cotisations prélevées ;

Considérant qu’aucune mesure ambitieuse en faveur de l’emploi des séniors n’a été prise en dépit de l’entrée en vigueur de la réforme des retraites de 2023 ;

1. Invite le Gouvernement à respecter le principe assurantiel selon lequel la durée d’indemnisation est égale à la durée d’affiliation, et à ne pas porter la durée d’indemnisation maximale à un seuil inférieur au seuil existant, soit cinq cent quarante‑huit jours calendaires ;

2. Invite le Gouvernement à maintenir, a minima, les durées d’affiliation actuelles soit cent‑trente jours ou neuf‑cent‑dix heures au cours des vingt‑quatre derniers mois ;

3. Invite le Gouvernement à maintenir les règles spécifiques actuelles pour les travailleurs âgés de cinquante‑trois ans et plus ;

4. Invite le Gouvernement à ne pas introduire de règles conduisant à diminuer le niveau d’indemnisation actuel ;

5. Suggère au Gouvernement de mener une évaluation précise et complète des effets des réformes d’assurance chômage depuis 2019, avant de modifier les règles d’indemnisation ;

6. Invite le Gouvernement à s’appuyer sur les organisations syndicales et patronales représentatives pour déterminer les nouvelles règles d’assurance chômage, dans le cadre d’une nouvelle négociation ;

7. Invite le Gouvernement à mettre en œuvre des mesures pour favoriser l’accès à l’emploi des actifs de plus de cinquante‑cinq ans ;

8. Suggère au Gouvernement d’introduire une négociation obligatoire sur le maintien en emploi des travailleurs seniors pour toutes les entreprises de trois‑cents salariés et plus.