N° 2619

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 mai 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à préserver le bénévolat dans le modèle français des sapeurs-pompiers volontaires par rapport aux directives européennes,

 

présentée par

M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Modèle unique en France, le volontariat des sapeurs‑pompiers constitue un pilier et une fierté d’engagement civique de longue date. Citoyens engagés au service de la population, les sapeurs‑pompiers volontaires forment le socle de la sécurité civile : ils garantissent la proximité, l’équité territoriale des secours et la capacité de réponse la plus efficace et pérenne face aux gestions de crise, dans le cadre de la solidarité nationale.

Ce sont près de 200 000 volontaires qui représentent 79 % des effectifs mais surtout 67 % des interventions réalisées sur le sol français. Ces femmes et ces hommes rendent service à la Nation en mettant leurs compétences et leurs temps à disposition pour aider, accompagner, voire sauver la population.

Couvrant l’intégralité du territoire, l’action et l’intervention des sapeurs‑pompiers pallient parfois l’action publique, notamment dans les régions rurales éloignées de structures médicales, qui permettent des interventions rapides et en urgence.

Ce modèle est, depuis plusieurs années, bousculé par le niveau communautaire et notamment par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) mais aussi par plusieurs recours qui ont été déposés devant des juridictions nationales et européennes.

L’arrêt « Matzak » de la CJUE du 21 février 2018 qualifiait de travailleur au sens de la Directive européenne du temps de travail (DETT), un sapeur‑pompier volontaire belge effectuant une astreinte à domicile et contraint de se rendre en 8 minutes à son centre de secours. Cette qualification est contraire au droit français qui définit l’activité du sapeur‑pompier volontaire comme reposant sur le bénévolat, qui n’est donc pas exercée à titre professionnel, mais dans les conditions qui lui sont propres comme le dispose, entre autres, l’article L. 723‑5 du code de la sécurité intérieure.

Des saisines de juridictions nationales sont venues s’ajouter à cet arrêt. Le Tribunal administratif de Strasbourg jugeait le 24 mai 2023 que les sapeurs‑pompiers volontaires constituent des travailleurs au sens de la DETT concernant l’aménagement du temps de travail.

Le Comité européen des droits sociaux du conseil de l’Europe (CEDS) a conclu le 14 février dernier à une violation de la Charte sociale européenne par la France, en cause la différence de traitement entre les sapeurs‑pompiers volontaires et professionnels concernant la rémunération et la non‑prise en compte globale du temps de travail des sapeurs‑pompiers volontaires.

De plus, suite à la publication en décembre 2023 d’un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) formulant des recommandations visant à inciter les directeurs des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) à réduire le nombre d’heures de gardes postées et à user davantage de contrat à durée déterminée, le modèle français de la sécurité civile semble être remis en cause.

La loi n° 2011‑851 du 20 juillet 2011 que j’ai eu l’honneur de porter tendait à définir le statut juridique du sapeur‑pompier volontaire. Ceci m’avait conduit à solliciter le Conseil d’État pour avis et nous avions, au bout de 4 heures de travail avec tous les services du Conseil d’État, élaboré l’article premier de cette proposition de loi, qui prévoyait un statut sui generis. L’article en question précisait dans son alinéa 4 « L’engagement du sapeurpompier volontaire est régi par la présente loi. Le code du travail comme le statut de la fonction publique ne lui sont pas applicables, sauf dispositions législatives contraires, et notamment les articles 61 et 8 de la présente loi […] ».

Cette démarche, menée conjointement avec la Fédération nationale des sapeurs‑pompiers de France (FNSPF), avait abouti à un vote unanime de l’Assemblée et un vote conforme au Sénat. Néanmoins, le texte ne prévoyait pas une vision différente au niveau communautaire et donc de la CJUE. C’est précisement ce qu’il s’est produit avec l’arrêt dit « Matzak ».

Ainsi, la présente proposition de résolution a pour objectif d’affirmer la volonté de la France à préserver notre système unique de volontariat, basé sur des valeurs de solidarité et d’altruisme qui font la grandeur de notre pays.

Ce texte invite le gouvernement à mettre en œuvre les mesures nécessaires visant à protéger le bénévolat chez les sapeurs‑pompiers volontaires et à défendre auprès de nos instances européennes notre modèle, en respectant les choix et les fonctionnements de chaque modèle national au sein de l’Union européenne.

La présente résolution témoigne de l’indéfectible soutien de la France aux sapeurs‑pompiers volontaires, clé de voûte de la sécurité civile.

À travers l’action gouvernementale, ce texte arrive à un moment clé, qui est celui de la tenue du Beauvau de la sécurité civile, organisé par le Ministère de l’Intérieur et des Outre‑mer. Cet événement a pour vocation d’élaborer des pistes de réflexion concernant les problématiques soulevées par l’ensemble des acteurs de la sécurité civile.

 

 

 


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proposition de DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article L. 723‑5 du code de la sécurité intérieure disposant que l’activité de sapeur‑pompier volontaire repose sur le volontariat et le bénévolat et n’est pas exercée à titre professionnel, mais dans des conditions qui lui sont propres,

Vu l’article L.723‑8 du code de la sécurité intérieure disposant que l’engagement du sapeur‑pompier volontaire est régi par le présent livre ainsi que par la loi n° 96‑370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs‑pompiers,

Vu l’article premier de la loi n° 2011‑851 du 20 juillet 2011 relative à l’engagement des sapeurs‑pompiers volontaires et à son cadre juridique,

Vu la loi n° 2021‑1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs‑pompiers et les sapeurs‑pompiers professionnels,

Vu le rapport d’information déposé en application de l’article 145‑7 alinéa 1 du règlement, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la mise en application de la loi n° 2011‑851 du 20 juillet 2011 relative à l’engagement des sapeurs‑pompiers volontaires et à son cadre juridique n° 4281 déposée le 1er février 2012,

Vu l’avis n° 353155 du Conseil d’État en date du 3 mars 1993,

Vu l’avis n° 385053 du Conseil d’֤État en date du 7 avril 2011,

Considérant la nécessité de conserver et protéger notre modèle français de sécurité civile basé sur le volontariat permettant une intervention urgente et efficace ;

Considérant que les missions des sapeurs‑pompiers volontaires peuvent être amenées à pallier l’action publique ;

Considérant le large champ d’intervention des sapeurs‑pompiers volontaires, prenant en compte la lutte contre les incendies, les interventions médicales, l’aide à la personne dépendante, jusqu’à la gestion des catastrophes naturelles qui ne font qu’augmenter ;

Reconnaissant l’unicité de notre modèle, basé sur des valeurs républicaines telles que la solidarité, l’engagement citoyen, l’altruisme, l’entraide ;

Reconnaissant les potentielles brèches ouvertes suite aux différentes décisions de justice et notamment au niveau européen ;

Invite le Gouvernement à mettre en œuvre toutes les dispositions réglementaires nécessaires à la préservation et à la protection du modèle unique français des sapeurs‑pompiers basé sur le volontariat,

Invite le Gouvernement à défendre auprès des différentes instances européennes notre système tout en assurant la préservation et l’indépendance des modèles de chaque état membre,

Invite le Gouvernement à échanger avec les différentes instances européennes pour assurer la non‑prise en considération de la de la directive 2003/88 sur le temps de travail en date du 4 novembre 2003 pour l’État français,

Assure son soutien sans faille aux sapeurs‑pompiers volontaires et reconnaît leur rôle essentiel au sein de la sécurité civile et plus globalement dans la société française.