N° 296
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 septembre 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant la mise en place d’un scrutin à la proportionnelle intégrale des représentants des chambres d’agriculture et à une affectation des fonds publics en conformité avec ce mode de scrutin,
présentée par
Mme Murielle LEPVRAUD, M. Christophe BEX, M. Manuel BOMPARD, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Emmanuel FERNANDES, M. Jérémie IORDANOFF, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, Mme Élise LEBOUCHER, M. Sébastien PEYTAVIE, M. René PILATO, Mme Marie POCHON, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Claude RAUX, Mme Karen ERODI, M. Charles FOURNIER, Mme Marianne MAXIMI, Mme Ségolène AMIOT, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Dominique VOYNET, M. Hadrien CLOUET, M. Emmanuel DUPLESSY, Mme Catherine HERVIEU, M. Aurélien LE COQ, M. Benoît BITEAU, M. Mickaël BOULOUX, M. Damien MAUDET, M. Boris TAVERNIER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les prochaines élections professionnelles pour la représentation au sein des chambres d’agriculture auront lieu en 2025.
Les Chambres d’agriculture départementales sont composées de 33 membres, élus au suffrage direct pour une durée de 6 ans et répartis dans 10 collèges : 5 collèges individuels (totalisant 26 membres) et 5 collèges des groupements professionnels agricoles (7 membres).
Le mode de scrutin qui fixe la composition du collège 1 est déterminant. Les effectifs de ce collège réunissant les chefs d’exploitation et assimilés comptent pour 54 % des membres appelés à siéger au bureau d’une chambre d’agriculture départementale tout en n’étant pas soumis aux mêmes règles de désignation que les membres des quatre autres collèges individuels. Ceux‑ci sont élus par un scrutin à la proportionnelle intégrale tandis que les élus du collège 1 par un scrutin proportionnel à prime majoritaire.
Par ailleurs, le ministre de l’agriculture a évoqué une possible modification de la clé de répartition des financements alloués aux syndicats en donnant autant de poids au nombre d’élus qu’au nombre de voix.
Aujourd’hui la clef de répartition du financement des syndicats agricoles dépend à 75 % du nombre de voix et à 25 % du nombre de sièges. Or, ce dernier mode d’attribution, incluant une prime au gagnant, avantage donc considérablement le premier syndicat arrivé en tête au détriment des seconds.
Cette proposition ministérielle favoriserait encore davantage le syndicat majoritaire contre tout principe de représentation équitable et affaiblirait le principe démocratique.
Le choix de la proportionnelle à la plus forte moyenne, pour une conformité avec l’exigence démocratique
Le mode d’élection est basé sur cinq collèges individuels :
1 – chefs d’exploitation et assimilés (18 membres) ;
2 – propriétaires et usufruitiers (1 membre) ;
3 – salariés de la production agricole (3 membres) ;
4 – salariés des groupements professionnels agricoles (3 membres) ;
5 – anciens exploitants (1 membre).
Actuellement, le mode de scrutin des élections professionnelles agricoles pour le collège 1 des chefs d’exploitations agricoles offre 50 % des sièges à l’organisation arrivée en tête et répartit l’autre moitié des sièges à la proportionnelle des scores obtenus.
En conséquence, 95 % des chambres d’agriculture sont dirigées par deux syndicats agricoles (La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – FNSEA – et Jeunes agriculteurs – JA). Pourtant ceux‑ci ne totalisent que 55 % des voix aux dernières élections.
Ce mode de scrutin conduit à une surreprésentation des syndicats majoritaires et à une sous‑représentation des syndicats minoritaires.
Si nous prenons le cas de l’Ariège, lors des élections de 2019, un syndicat minoritaire telle la Confédération paysanne a obtenu plus de 38 % des suffrages pourtant il ne compte que 3 élus à la chambre sur les 18 du collège 1.
Dans son rapport public de 2021, la Cour des Comptes s’étonne elle‑même du manque de pluralisme et appelle à une refonte du mode d’élection : « L’évolution de la gouvernance pourrait enfin favoriser la pluralité syndicale. Elle est en effet marquée par la prédominance de longue date du syndicat majoritaire : en 2019, sur 102 chambres d’agriculture, 97 sont dirigées par la FNSEA et ses alliés alors qu’ils n’ont obtenu que 55 % des voix du collège des exploitants agricoles. Cette évolution nécessiterait une modification de l’article R. 511‑43 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit un scrutin proportionnel à prime majoritaire ([1]) ».
De la même façon, le rapport de la mission commune d’information relative aux chambres d’agriculture et à leur financement([2]), enregistré le 16 décembre 2020 par la Présidence de l’Assemblée nationale, soulève la question de la gouvernance des chambres : « le mode de scrutin limite le pluralisme ».
Peut‑on penser que ce mode de scrutin convient aux collèges des votants quand le taux de participation ne fait que baisser depuis 20 ans ?
En effet, si le taux de participation avait atteint 65,5 % en 2007 pour le collège 1, il atteint 54,3 % en 2013 et 46,22 % en 2019.
Ce fort taux d’abstention témoigne d’une crise de la représentation agricole. De plus, alors que l’on observe une diminution ininterrompue des voies obtenues par le syndicat arrivant en tête depuis quinze ans, le pluralisme ne progresse pas au sein des chambres d’agriculture. Il est donc nécessaire d’interroger les modalités d’organisation de ce scrutin.
La réflexion à teneur démocratique qui guide une possible réforme du mode de scrutin des représentants élus à l’Assemblée nationale doit aussi guider des réformes dans l’ensemble de nos institutions afin de préserver des modes plus respectueux des voix des citoyens.
Par ailleurs, dans le même rapport précité, la Cour des Comptes a soulevé des irrégularités à même d’être évitées ou prévenues en favorisant le pluralisme au sein des chambres : « des coûts injustifiés continuent d’être supportés par le réseau (des chambres d’agriculture), souvent au profit d’organisations agricoles : des chambres d’agriculture allouent des subventions destinées au fonctionnement des organisations syndicales d’exploitants agricoles ou leur accordent des avantages en nature en méconnaissance du principe de spécialité. Suivant sa jurisprudence de 2010, la Cour de discipline budgétaire et financière a ainsi condamné les présidents et anciens présidents de cinq chambres d’agriculture en 2018 et 2019 pour des soutiens irréguliers à des syndicats » ([3]).
Le scrutin proportionnel à plus forte moyenne permettrait de rétablir une équité parmi les syndicats en attribuant un nombre de sièges reflétant plus justement le nombre de voix obtenu par chaque syndicat.
Des modalités d’élection impactant les modalités de financement en dépit de toute cohérence
Ce mode d’élection dont découle le mode de financement des syndicats par les pouvoirs publics pose, par extension, une seconde problématique tout en sachant que le gouvernement souhaite favoriser encore davantage une répartition des fonds selon les résultats obtenus lors des élections.
En effet, le ministère de l’agriculture a auditionné récemment l’ensemble des syndicats agricoles pour envisager la modification du décret relatif à l’organisation des élections des membres des chambres d’agriculture, mais aussi les modalités du financement public attribué aux organisations syndicales d’exploitants agricoles.
Selon le décret n° 2013‑306 du 11 avril 2013, les crédits destinés au fonctionnement des syndicats agricoles conformément aux dispositions de l’article 124 de la loi n° 2001‑1275 sont actuellement versés selon une clé de répartition qui affecte les trois quarts des dotations proportionnellement au nombre de voix obtenues par chaque organisation syndicale et le quart restant en proportion du nombre de sièges détenus.
Les premières propositions ministérielles laissent entrevoir une modification de la clé de répartition qui serait de 50 % des soutiens en fonction du nombre de voix et de 50 % en fonction du nombre d’élus. Cette répartition envisagée aurait pour conséquence de renforcer les moyens à la disposition du syndicat national majoritaire, puisque la liste qui arrive en tête des élections bénéficie d’un nombre de sièges proportionnellement plus élevé que le nombre de suffrages obtenus. Un tel système priverait ainsi les trois autres syndicats représentatifs nationalement d’une part importante de leurs ressources de fonctionnement.
Par ailleurs, le réseau des chambres d’agriculture a une influence capitale sur les systèmes agricole et alimentaire en exerçant des missions telles que promouvoir la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, proposer un conseil stratégique, appuyer les demandes d’aides et informer les agriculteurs sur les réglementations. Il exerce aussi une mission consultative auprès des pouvoirs publics. Son influence est donc capitale et ne peut être laissé à la seule main mise d’un syndicat.
Les syndicats arrivant en tête aux élections professionnelles obtiennent également la majorité des sièges dans les interprofessions ou dans les instituts techniques agricoles.
Enfin, les prochaines élections pourraient être l’occasion de réparer une injustice faite aux travailleurs agricoles que sont les cotisants solidaires.
Affiliés à l’assurance accident du travail et maladie professionnelle des exploitants agricoles (ATEXA), ils sont reconnus comme étant des agriculteurs actifs mais ils n’ont toujours pas le droit de vote au scrutin professionnel.
Cette catégorie d’actifs, souvent composée de cotisants temporaires, des jeunes agriculteurs et des conjoints, n’est intégrée à aucun collège de votants alors qu’à titre d’exemple, ils représentent pourtant les deux tiers des installations dans le département de l’Aube.
– 1 –
proposition de DE RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu les articles R. 511‑30, R. 511‑43, R. 511‑6 et R. 511‑8 du code rural et de la pêche maritime,
Vu l’arrêté du 22 mai 2018 pris en application de l’article R. 511‑44 du code rural et de la pêche maritime et convoquant les électeurs pour l’élection des membres des chambres d’agriculture,
Vu le décret n° 2013‑306 du 11 avril 2013 modifiant le décret n° 2002‑451 du 2 avril 2002 relatif au financement des organisations syndicales d’exploitants agricoles,
Considérant la loi n° 2008‑789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, qui consacre la pluralité des syndicats et l’égalité entre eux, en fixant le financement public des organisations syndicales à partir de leur audience à un scrutin ;
Considérant le rapport annuel de la Cour des comptes de mars 2021 dans lequel celle‑ci souligne la gouvernance par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et syndicats alliés de quatre‑vingt‑dix‑sept chambres départementales d’agriculture sur les cent‑deux que compte le pays, alors qu’ils n’ont obtenu que 55 % des voix du collège des exploitants agricoles, et appelle à une modification de l’article R. 511‑43 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit un scrutin proportionnel à prime majoritaire ;
Considérant le rapport de la mission commune d’information relative aux chambres d’agriculture et à leur financement n° 3702 du 16 décembre 2020 soulevant que le mode de scrutin limite le pluralisme :
1. recommande une adaptation des règles d’élection des représentants des chambres d’agriculture, afin d’appliquer une proportionnelle à la plus forte moyenne pour l’élection des représentants des chefs d’exploitation et assimilés ;
2. propose de modifier la répartition des fonds publics au seul prorata du nombre de suffrages obtenus dans l’ensemble des départements lors des élections des chambres d’agriculture ;
3. suggère d’intégrer les cotisants solidaires affiliés à l’ATEXA dans le collège 1 afin qu’ils puissent prendre part au vote.