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N° 467
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à créer un corps européen civil de secours et de sauvetage en mer et à mettre en place une opération « Mare Nostrum II »,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
M. Gabriel AMARD, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’année 2024 est l’une des années les plus meurtrières pour les exilés qui tentent de rejoindre les côtes britanniques depuis le nord de la France. Déjà 51 personnes sont mortes. Depuis 2014, le bilan du nombre de personnes décédées dans la Manche s’élève à plus de 285 ([1]).
Du côté de la mer Méditerranée, le bilan n’est pas plus reluisant. D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 26 000 exilés y sont morts depuis 2014.
Ces naufrages ne s’expliquent pas par une “crise migratoire” sans précédent qui aurait rendu les systèmes d’accueil et d’asile des pays européens inefficaces. Ce discours officiel est un mythe. La politique migratoire de l’Union européenne était dissuasive et répressive depuis les années 1990. Entre 2000 et 2015, l’OIM dénombre déjà la mort de 22 000 exilés dans la Méditerranée (Geisser, 2015). Concernant la Manche, la France et le Royaume‑Uni reproduisent le même schéma répressif en signant le traité du Touquet en 2003 puis le traité de Sandhurst en 2018. Ces derniers prévoient de bloquer les exilés dans le nord de la France en les empêchant d’atteindre les côtes britanniques. Loin d’assurer des voies de passages sécurisées pour les exilés, ces derniers sont plongés dans des conditions de vie déplorables
L’Union européenne et les pays qui la composent ont donc sciemment mené depuis des décennies maintenant des politiques qui entraînent la mort de personnes exilées dans la mer Méditerranée. C’est le choix d’une logique dite « sécuritaire » et de « militarisation des frontières extérieures » de l’Union qui est à l’œuvre. Elle s’illustre par exemple en 2004 avec la création de l’Agence européenne de garde‑frontières et de garde‑côtes plus communément appelé Frontex. Ses ressources budgétaires ont été constamment augmentées depuis, passant de 6 millions d’euros en 2005 à 845 millions d’euros en 2023.
Seule exception notable, l’opération Mare Nostrum conduite par l’Italie entre octobre 2013 et octobre 2014. Cette opération aura permis de sauver 200 000 exilés selon William Lacy, directeur de l’OIM de 2008 à 2018. Néanmoins, l’Italie a dû stopper l’opération au bout d’une année faute de soutien de la part de l’Union et des autres pays européens. Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) et l’OIM s’étaient dès 2015 alarmés de la fin de cette opération et avaient appelé à son rétablissement. Le Haut‑Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme de l’époque, Zeid Ra’ad al‑Hussein dénonçait l’Europe qui « tourne le dos à certains des migrants les plus vulnérables dans le monde, et risque de transformer la Méditerranée en un vaste cimetière ». L’opération Triton, mise en place par l’Union européenne après l’arrêt de Mare Nostrum est également dénoncée par les mêmes instances internationales comme étant « insuffisante » et bien plus centrée sur des logiques sécuritaires que de sauvetage en mer. De plus, le budget initial de l’opération était de 2,9 millions d’euros par mois… soit trois fois moins que l’opération Mare Nostrum qui était financée seulement par l’Italie. L’opération Thémis ayant succédé à Triton en 2018 a complètement abandonné les sauvetages en mer et a permis à Frontex de laisser faire des refoulements illégaux de bateaux d’exilés sous la direction de Monsieur Fabrice Leggeri comme le rapporte l’Office européenne de lutte anti‑fraude (OLAF) en 2022.
Par conséquent, ce désastre humanitaire n’est pas une surprise mais bien le résultat logique découlant de choix politiques européens. La focalisation du discours européen et des États membres contre les réseaux de passeurs permet à la fois de relativiser leur propre responsabilité dans ces drames, mais aussi d’ignorer les causes des départs des exilés. L’exil est toujours un départ forcé, il est le le résultat de la multiplication des conflits armés, de la destruction des économies locales par la mondialisation ou encore le réchauffement climatique. C’est une déchirure profonde pour quiconque se trouve arraché à sa terre en raison de la guerre, de la misère, de problèmes environnementaux liés à l’eau, au sol, aux troubles sociaux, à l’absence de droits fondamentaux.
Là encore, l’Union européenne et les États qui la composent ne sont pas exempts de tout reproche :
– En Libye en 2011 par exemple, la France, le Royaume‑Uni et de nombreux pays de l’OTAN ont décidé d’une intervention militaire d’ampleur qui a détruit toutes les structures étatiques et plongé le pays dans une nouvelle guerre civile. Le Président Emmanuel Macron déclarait lui‑même devant l’Assemblée des représentants du peuple en Tunisie le premier février 2018 que « l’Europe, les États‑Unis et quelques autres ont une responsabilité dans la situation actuelle en Libye » et que « Nous avons collectivement plongé la Libye, depuis ces années, dans l’anomie, sans pouvoir régler la situation » ([2]). Le 14 septembre 2016, le Parlement britannique publiait un rapport de commission des affaires étrangères dressant le bilan de cette intervention militaire en Libye. D’après eux, ce sont les ambitions impérialistes de la France qui constituent les vraies raisons de l’intervention militaire : « Le souhait d’obtenir une plus grande part de la production de pétrole libyenne, accroître l’influence française en Afrique du Nord, permettre aux armées françaises de réaffirmer leur position dans le monde, répondre aux projets de Kadhafi de supplanter la France en Afrique francophone, améliorer sa situation politique en France. Quatre de ces cinq facteurs correspondaient à l’intérêt de la France. Le cinquième représentait l’intérêt politique personnel du président Sarkozy ». La Libye a ensuite plongé dans une nouvelle guerre civile de 2014 à 2020, contexte dans lequel ont pu prospérer des groupes criminels rétablissant l’esclavage et la traite d’êtres humains comme le dénonce les Nations unies à de multiples reprises comme dans le rapport de la Mission d’enquête indépendante des Nations Unies sur la Libye paru en 2023. Cable News Network (CNN) avait déjà diffusé en 2017 des enregistrements où des exilés étaient vendus en tant qu’esclave en Libye ([3]). Pourtant, cela n’a pas empêché l’Italie de signer un accord d’entente sur les migrations en 2017 avec la Libye qui revient à condamner les exilés à subir des traitements inhumains, ni à l’Union européenne de déléguer à la Libye une zone de recherche et de sauvetage en mer (Search and Rescue – SAR).
– La politique économique et commerciale de l’Union européenne et des institutions internationales vis‑à‑vis des pays africains constitue également une cause majeure des déplacements de population et des migrations internationales. En effet, le libre‑échange et les accords commerciaux négociés par l’Union européenne appauvrissent les pays en développement et leurs appareils productifs agricole et industriel.
D’abord, les programmes d’ajustements structurels décidés par les organismes internationaux comme la Banque mondiale dans les années 1980 ont imposé l’austérité budgétaire aux populations de nombreux pays africains ainsi que la mise en place d’un modèle d’agriculture intensive destinée à l’exportation. Ce modèle intensif a marginalisé les productions paysannes et vivrières de céréales comme le sorgho.
Par ailleurs, le développement de modèles agricoles destinés aux exportations dans plusieurs pays simultanément a conduit à baisser le prix de vente de ces denrées, et donc les entrées de devises pour les pays africains. Par exemple, l’augmentation des quantités de café produites par plusieurs pays de manière intensive entraîne la baisse du prix de vente pour le plus grand bonheur des consommateurs européens, mais au détriment des conditions de vie des populations africaines. Le développement de ce modèle a conduit à la hausse des importations de céréales européennes pour nourrir les populations africaines, accentuant la dépendance de ces pays aux importations européennes.
Les « Accords de partenariat économiques » (APE) que l’Union européenne a conclus avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique accentuent encore davantage le déséquilibre entre les économies européennes et africaines et affaiblissent ces dernières.
Succédant aux accords de Cotonou de 2000, ces APE prévoient l’ouverture des marchés des pays des régions Afrique Caraïbes et Pacifique (ACP) aux marchandises provenant de l’Union européenne pour satisfaire les intérêts du capitalisme européen. Les économies africaines sont ainsi en concurrence avec les firmes européennes et ne peuvent faire face, entraînant le délitement des capacités de production des pays ACP. De plus, la baisse voire l’abolition complète des tarifs douaniers conduit à diminuer les recettes fiscales de ces pays, ce qui contribue également négativement à la mise en place de politiques publiques favorables à l’ensemble de la population. Les difficultés induites par ces dispositions économiques inégales et injustes conduisent les populations africaines à l’exode rural puis à la migration internationale.
Ainsi, l’Union européenne et ses États membres, notamment la France, ont une responsabilité majeure dans l’exil des populations qui n’ont d’autres choix que de traverser la mer Méditerranée au péril de leur vie. La mort de plus de 50 000 personnes en mer Méditerranée depuis l’an 2000 est directement liée aux politiques européennes et de celles de ses États membres de militarisation des frontières au détriment du sauvetage des exilés. Par conséquent, afin d’assurer un minimum de réparation légitime des dommages causés par les politiques précitées, cette proposition de résolution européenne prévoit :
– La création d’un corps européen civil de secours et de sauvetage en mer.
– La mise en place d’une opération « Mare Nostrum II » à l’échelle européenne dédiée exclusivement au sauvetage en mer. En attendant le dénouement du processus de discussion européen, ces opérations seront menées unilatéralement par la France, et par tous les États qui voudront la rejoindre sans attendre de décisions européennes.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution de la République française,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’article 67 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu l’accord de Schengen du 14 juin 1985,
Vu la convention de Schengen du 19 juin 1990,
Vu les articles 18, 58 et 98 de la convention des Nations unies sur le de droit de la mer de 1982,
Vu la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes du 27 avril 1979
Vu le chapitre 2 de la convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer du 1er novembre 1974,
Considérant que l’Union européenne et ses États membres ont une responsabilité majeure dans la condamnation à l’exil des populations qui n’ont d’autres choix que de traverser la mer Méditerranée et la Manche par n’importe quels moyens ;
Considérant que l’agence européenne de garde‑frontières et de garde‑côtes (Frontex) et que les opérations successives Triton et Thémis sont incapables de mener des opérations de sauvetage en mer ;
Considérant que l’opération Mare Nostrum menée par l’Italie entre octobre 2013 et octobre à 2014 est un modèle à reproduire et à améliorer pour sauver la vie des exilés ;
1. Appelle le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne et le Parlement européen à créer un corps européen civil de secours et de sauvetage en mer ;
2. Appelle le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne et le Parlement européen à mettre en œuvre une vaste opération de sauvetage en mer sur le modèle de l’opération « Mare Nostrum » menée par l’Italie entre octobre 2013 et octobre 2014 ;.
3. Appelle le gouvernement français à mener une opération « Mare Nostrum II » sur le modèle de l’opération « Mare Nostrum » menée par l’Italie entre octobre 2013 et octobre 2014, et ce sans attendre la fin du processus de discussion européen ;
4. Appelle le gouvernement français à associer tous les États qui le souhaitent à l’opération « Mare Nostrum II », sans attendre la fin du processus de discussion européen ;
5. Invite le gouvernement français à suspendre le traité du Touquet et le traité de Sandhurst.
([1]) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/09/06/la-manche-une-frontiere-toujours-aussi-meurtriere-pour-les-migrants_6305695_3210.html