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N° 608
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 novembre 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
invitant le Gouvernement de la République française à refuser la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
M. Arnaud LE GALL, Mme Aurélie TROUVÉ, Mme Mathilde PANOT, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Après plus de 25 années de négociations, la Commission européenne, mandatée par les États membres de l’Union européenne, et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay, Bolivie et le Venezuela, ce dernier jusqu’en 2017) sont parvenus le 28 juin 2019 à un accord de principe sur un accord de libre‑échange.
La signature définitive de cet accord de libre‑échange est présentée comme imminente par les deux parties. Pour accélérer son adoption en dépit de la montée des oppositions, la Commission envisage d’utiliser la méthode de la « dissociation » (splitting) entre la partie commerciale et les aspects non‑commerciaux de l’accord, afin de contourner la règle de l’unanimité au Conseil de l’ Union européenne pour son adoption d’une part, et la nécessité d’une ratification par les Parlements nationaux d’autre part.
Le volet commercial de l’accord forme le plus important accord de libre‑échange jamais conclu par l’Union européenne. Il concerne deux régions situées à plus de 11 000 kilomètres de distance et presque 800 millions de personnes dans le monde, couvrant entre 40 et 45 milliards d’euros d’exportations et d’importations. L’objectif affiché de l’accord est de permettre aux entreprises européennes d’exporter davantage de produits industriels et de services, tout en permettant en retour aux producteurs des pays du Mercosur de pouvoir exporter davantage de produits alimentaires et agricoles vers l’Union européenne.
De nombreuses associations, syndicats et organisations politiques ont maintenant largement fait la démonstration que les effets délétères de l’accord supplanteront les effets positifs annoncés, par ailleurs modestes et bénéficiant à une minorité d’acteurs économiques. En France, les agriculteurs dénoncent la menace que cet accord fait peser sur l’agriculture française avec l’arrivée massive de denrées alimentaires sud‑américaines. L’accord prévoit entre autres la suppression des droits de douane sur l’importation de 45 000 tonnes de miel, 60 000 tonnes de riz ou encore 180 000 tonnes de sucre. Ceci vient s’ajouter au point qui cristallise les tensions : le quota de 99 000 tonnes de viande de bœuf taxé à 7,5 %, auxquelles s’ajoutent 60 000 tonnes d’un autre type de viande bovine et 180 000 tonnes de volaille exemptées de droit de douane, en provenance d’Amérique du Sud. Les agriculteurs dénoncent une concurrence déloyale et estiment qu’il sera difficile pour eux de se montrer compétitifs face aux grandes exploitations des pays du Mercosur, plus nombreuses et soumises à moins de normes sanitaires et environnementales.
Mais cet accord est également problématique pour les populations de l’alliance Mercosur. En effet, le collectif transatlantique d’organisations Stop UE Mercosur dénonçait déjà en 2021 un accord favorisant un modèle agricole intensif voué à l’exportation, au détriment des cultures vivrières historiques. Ainsi, cet accord, s’il venait à entrer en vigueur, freinerait la diversification agricole de ces pays. Par ailleurs, l’impact écologique dans cette région du monde serait colossal. Il suffit de prendre l’exemple du Brésil, qui permet de mettre en lumière le saccage massif de la forêt amazonienne, qui sera nécessairement aggravé par cet accord. Est‑il nécessaire de rappeler que la forêt amazonienne est un bien commun de l’humanité, essentiel à la vie humaine ?
Cet accord ne pourrait que profiter aux multinationales sud‑américaines, au détriment de la masse des paysans et de la souveraineté alimentaire des pays concernés. Il en sera de même en Europe, où les accords de libre‑échange sont présentés comme étant nécessaires pour l’autonomie stratégique du continent, or ils ne font qu’aggraver la dépendance aux marchés extérieurs pour les matières premières.
En 2019, le président de la République Emmanuel Macron indiquait lors du sommet du G7 à Biarritz que la France ne pouvait soutenir cet accord. Il dénonçait son impact environnemental, notamment dans la déforestation à outrance de la forêt amazonienne. Des députés ont déposé une proposition de résolution en 2023, reprenant la position du président de la République française sur le sujet : refuser de signer l’accord tel que conclu en 2019 et conditionner tout futur accord au respect de l’Accord de Paris et au respect des normes sanitaires et environnementales de l’Union européenne pour tout produit agroalimentaire importé, principe des « clauses miroirs ».
Mais, outre qu’elles reposent sur l’idée que le modèle de l’Union européenne serait vertueux, alors que le dumping social y est de mise, ces « clauses miroirs » sont aisément contournables, après des décennies de néolibéralisme ayant notamment affaibli les services douaniers. Quand elles ne sont pas tout simplement inapplicables. Par exemple, la Direction générale de la santé de la sécurité alimentaire de la Commission européenne a elle‑même établi qu’il n’est pas possible de déterminer avec certitude l’absence d’hormones, interdites en Europe, dans la viande produite au Brésil.
Le libre‑échange est contraire à l’impératif de protection de l’environnement puisque, par définition, il vise un accroissement continu et illimité des flux internationaux. Un nouvel accord avec le Mercosur n’offrirait aucune garantie concrète en termes de protection du vivant ou de respect de droits sociaux, et consacrerait de fait des pratiques agricoles et commerciales dépassées, destructrices et antiécologiques.
L’Assemblée nationale doit se saisir de ce sujet central de notre vie politique. Cette proposition de résolution européenne invite le gouvernement français à signifier à la Commission européenne son refus de l’accord de libre‑échange entre l’Union européenne et le Mercosur, et son opposition à toute méthode d’adoption de l’accord contournant la ratification par les Parlements nationaux.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu le Traité sur l’Union européenne, notamment son article 5,
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 2, 3, 4, 7, 11, 12, 13, 206, 207 et 218,
Vu l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, particulièrement son article XX, et l’accord sur les sauvegardes qui met en œuvre son article XIX,
Vu l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires et l’accord sur les obstacles techniques au commerce entrés en vigueur en 1995,
Vu l’accord‑cadre interrégional de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et le Marché commun du Sud et ses États parties, d’autre part – Déclaration commune sur le dialogue politique entre l’Union européenne et le Mercosur – du 19 mars 1996,
Vu l’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 5 octobre 2016,
Vu le cadre mondial sur la biodiversité de Kunming‑Montréal du 18 décembre 2022,
Vu le mandat de négociation adressé par le Conseil de l’Union européenne à la Commission européenne le 17 septembre 1999,
Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 22 mai 2018 et l’accord de principe trouvé entre l’Union et les pays du Mercosur le 28 juin 2019,
Vu l’article 118 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires et abrogeant la directive 2001/82/CE,
Vu le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010,
Vu la résolution du Parlement européen du 17 janvier 2013 sur les négociations commerciales entre l’Union européenne et le Mercosur,
Vu l’avis 2/15 rendu le 16 mai 2017 par la Cour de justice de l’Union européenne sur l’accord de libre‑échange avec Singapour,
Vu l’avis du Comité économique et social européen sur le thème « Vers un accord d’association UE‑Mercosur » du 23 mai 2018,
Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 20 mai 2020 sur la stratégie « De la ferme à la table », intitulée « Pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement », COM (2020) 381 final,
Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 16 octobre 2020 approuvant la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, dans un document intitulé « L’urgence d’agir », 11829/20,
Vu la résolution de l’Assemblée nationale relative à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur du 13 juin 2023,
Considérant que le nombre d’exploitations agricoles en France est passé de 520 000 à 416 000 entre 2010 et 2020, soit une chute de 20 % ;
Considérant que la part de l’élevage décroit constamment dans la production agricole française depuis le début des années 2000 ;
Considérant que la libéralisation des échanges de produits agricoles expose les agricultrices et agriculteurs français à une concurrence internationale déloyale résultant de la prévalence de normes environnementales et sociales moins strictes hors de l’Union européenne ;
Considérant que cette concurrence crée une pression à la baisse sur les prix et accroît très nettement leur volatilité, affectant les revenus des agricultrices et agriculteurs locaux et menaçant la survie des petites exploitations ;
Considérant que l’ouverture aux importations agricoles opère au détriment de la diversité et de la qualité qui sont deux caractéristiques éminentes de l’agriculture française ;
Considérant que la libéralisation des marchés agricoles renforce la concentration et la capitalisation des fermes françaises, et favorise les modes de production ultra‑intensifs ;
Considérant que l’impact écologique en Amérique du Sud serait colossal et que cet accord est de nature à augmenter la déforestation importée ;
Considérant que l’accord Union européenne‑Mercosur, comme tout accord de libre‑échange, a pour objet même l’augmentation des flux internationaux de marchandises et que l’augmentation des émissions de gaz à effets de serre et pollutions environnementales associées est incompatible avec les objectifs climatiques de l’Union européenne et de la France ;
Considérant que le processus de ratification de l’accord conclu entre l’Union européenne et le Mercosur en 2019 s’est brusquement accéléré depuis le début de l’année 2023, et que la nouvelle Commission européenne a pour objectif de conclure l’accord le plus rapidement possible ;
Considérant que le Conseil de l’Union avait, dans ses conclusions du 22 mai 2018, indiqué que l’accord d’association conclu entre l’Union européenne et le Mercosur devait suivre la procédure de ratification d’un accord mixte, c’est‑à‑dire être soumis à l’approbation à l’unanimité des États membres au Conseil de l’Union européenne, à celle du Parlement européen et des Parlements nationaux ;
Invite le gouvernement de la République française :
1) À signifier à la Commission européenne son opposition à un accord de libre‑échange entre l’Union européenne et le Mercosur ;
2) À demander à la Commission européenne, conformément aux conclusions du Conseil du 22 mai 2018, de soumettre l’accord à un vote à l’unanimité́ des États membres au Conseil, puis à un vote au Parlement européen et à une ratification par l’ensemble des Parlements des États membres.
[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.