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N° 783

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Laure MILLER, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. David AMIEL, M. Éric BOTHOREL, M. Vincent CAURE, M. Yannick CHENEVARD, Mme Sophie DELORME DURET, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, M. Philippe FAIT, M. Moerani FRÉBAULT, Mme Brigitte KLINKERT, M. Michel LAUZZANA, Mme Constance LE GRIP, Mme Nicole LE PEIH, Mme Pauline LEVASSEUR, M. Christophe MARION, M. Nicolas METZDORF, Mme Sophie PANONACLE, M. Charles SITZENSTUHL, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Annie VIDAL, M. Stéphane VOJETTA, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Thibault BAZIN, Mme Valérie BAZIN-MALGRAS, M. Karim BENBRAHIM, Mme Anne BERGANTZ, Mme Sylvie BONNET, Mme Colette CAPDEVIELLE, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, M. Philippe GOSSELIN, M. David GUERIN, Mme Ayda HADIZADEH, M. Vincent JEANBRUN, Mme Sandrine JOSSO, M. Philippe JUVIN, M. Corentin LE FUR, M. Eric LIÉGEON, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Alexandra MARTIN, M. Éric MARTINEAU, M. Laurent MAZAURY, Mme Isabelle MESNARD, Mme Louise MOREL, M. Didier PADEY, Mme Maud PETIT, Mme Isabelle RAUCH, M. Xavier ROSEREN, M. Antoine VERMOREL-MARQUES, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, Mme Lise MAGNIER, Mme Sandra MARSAUD, M. Remi PROVENDIER, Mme Danielle BRULEBOIS, M. Stéphane BUCHOU, Mme Danièle CARTERON, M. Jean-René CAZENEUVE, M. François CORMIER-BOULIGEON, Mme Julie DELPECH, M. Jean-Luc FUGIT, Mme Olivia GRÉGOIRE, Mme Emmanuelle HOFFMAN, M. Jean LAUSSUCQ, Mme Annaïg LE MEUR, Mme Christine LE NABOUR, M. Roland LESCURE, Mme Graziella MELCHIOR, M. Paul MIDY, Mme Joséphine MISSOFFE, Mme Natalia POUZYREFF, Mme Véronique RIOTTON, M. Jean-François ROUSSET, Mme Liliana TANGUY, M. Jean TERLIER, Mme Prisca THEVENOT, Mme Caroline YADAN, M. Vincent THIÉBAUT, M. Fabien DI FILIPPO, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Christophe NAEGELEN, M. Denis FÉGNÉ, Mme Océane GODARD, Mme Claudia ROUAUX, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Paul MOLAC, M. Lionel VUIBERT, M. Hubert OTT,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Après Facebook, Instagram, X et quelques autres, un nouvel acteur d’origine chinoise a émergé en 2016 dans le paysage des réseaux sociaux : TikTok. Porté par une croissance fulgurante, il a rapidement dépassé la majorité de ses prédécesseurs.

En janvier 2024, l’application comptabilise 1,562 milliard d’utilisateurs actifs à travers le monde, faisant de TikTok le 5e réseau social dont les utilisateurs sont les plus actifs. En France, ce sont près de 15 millions d’utilisateurs mensuels actifs sur la plateforme.

Malgré des similarités avec ses concurrents, TikTok est un réseau social à part et ce pour au moins deux raisons.

Tout d’abord, malgré de constantes dénégations de la plateforme, ses liens avec les autorités chinoises font peser des risques en matière de souveraineté, d’influence étrangère ou de protection des données personnelles.

Ensuite, et c’est précisément ce point qui retient notre attention dans cette proposition de résolution, se posent d’importants enjeux de santé publique, en particulier sur les effets psychologiques de la plateforme. Avec un algorithme de recommandation extrêmement performant, TikTok parvient à maintenir des heures durant ses utilisateurs, dont beaucoup sont des adolescents voire des enfants, devant leur écran. Cette captation de l’attention poussée à l’extrême s’accompagne d’une mise en avant et d’un enfermement des utilisateurs dans des contenus dangereux ou hyper‑sexualisés.

Au début du mois de novembre 2024, sept familles regroupées au sein du collectif Algos Victima ont déposé plainte contre TikTok devant la justice française. Parmi les sept adolescentes concernées, deux ont mis fin à leurs jours. Charlize et Marie étaient alors âgées de 15 ans. Aujourd’hui, le collectif accuse la plateforme de « provocation au suicide », « nonassistance à personne en péril » et propagande ou publicité des moyens de se donner la mort ».

Ces événements font écho au rapport de l’organisation non gouvernementale Amnesty International, Poussé.e.s vers les Ténèbres, Comment le fil « Pour toi » de TikTok encourage l’automutilation et les idées suicidaires ([1]) publié en novembre 2023, qui accusait la plateforme de pousser les mineurs vers du contenu dangereux, et acte une certaine conscientisation des risques que représente ce réseau social pour nos jeunes. Aujourd’hui, 70 % des utilisateurs de TikTok en France ont moins de 24 ans, et 40 % des jeunes qui ont entre 16 et 25 ans utilisent TikTok quotidiennement. De plus, les enfants de 4 à 18 ans passent en moyenne 1h47 sur TikTok par jour ([2]). Ce dernier chiffre doit nous interpeller dans la mesure où l’application est interdite en France aux enfants de moins de 13 ans.

Dans les faits, c’est un tiers des enfants britanniques entre 5 et 7 ans qui utiliseraient TikTok d’après l’autorité de régulation britannique et selon les déclarations de leurs parents, 45 % des jeunes Français de 11 à 12 ans et 63 % de 12 ans qui seraient inscrits sur l’application.

Une plateforme particulièrement « captivante » …

Si l’utilisation de TikTok par nos jeunes s’inscrit plus largement dans leur pratique des réseaux sociaux, nous ne devons pas négliger les spécificités de cette plateforme, qui, avec ses vidéos courtes et un algorithme très performant cerne très rapidement les centres d’intérêts des utilisateurs.

Cette captation de l’attention est telle que certains scientifiques et psychologues parlent d’ « additivité » ou du moins d’ » abrutissement » pour désigner la méthode utilisée par TikTok et ses effets psychologiques. Pour répondre à ces critiques, TikTok a mis en place un signalement automatique au bout de 60 minutes et un deuxième après 100 minutes d’utilisation mais ce dispositif semble peu efficace. Chez les plus jeunes qui n’ont souvent pas la raison d’un adulte, l’attractivité de l’application prévaut souvent sur la décision volontaire de stopper le « scrolling ».

Ainsi, la présence importante d’enfants sur la plateforme est très préoccupante.

… aux effets psychologiques nombreux

L’exposition des mineurs aux écrans, et plus encore l’utilisation des réseaux sociaux comme TikTok, peut avoir de nombreux effets néfastes. TikTok, en particulier, utilise un algorithme qui tend à enfermer ses utilisateurs dans des « bulles de filtre ».

Outre les effets addictifs de la plateforme provoquant un déficit de sommeil, des troubles de l’attention, une sédentarité… la « bulle de filtre » peut avoir des conséquences encore plus dangereuses : harcèlement, risque de dépression, anxiété… Ainsi, de nombreux cliniciens confirment que TikTok tend à exacerber les fragilités psychologiques des personnes les plus vulnérables.

Une étude publiée en décembre 2022 par le Center for Countering Digital Hate ([3]) a révélé que l’application tend à diffuser un volume accru de contenus dangereux aux individus vulnérables. Ainsi, comparativement à des profils standards, les utilisateurs manifestant un intérêt pour les questions de santé mentale peuvent se voir proposer dans leur fil 12 fois plus de vidéos traitant du suicide.

L’enfermement psychologique engendré par certaines pratiques numériques représente un danger majeur pour les adolescents, particulièrement à une étape cruciale de leur construction, à l’âge charnière entre l’enfance et la vie adulte. À cet égard, les filtres proposés par TikTok, tel que le controversé « Bold Glamour » ([4]), font l’objet de vives critiques dans le développement de certains jeunes.

Il devient ainsi urgent que nous prenions des mesures pour endiguer les effets de TikTok sur l’état psychologique de nos jeunes.

C’est la raison pour laquelle nous proposons la mise en place de cette commission d’enquête. Les conséquences et les effets de cette plateforme sur la santé des enfants et des adolescents doivent être sérieusement évalués. Si les professionnels sont assez unanimes sur son caractère néfaste, il s’agit de prendre acte de leurs constats et de leurs recommandations. Cette commission d’enquête pourra ainsi permettre de proposer des dispositifs concrets et de grande envergure pour protéger nos jeunes, dans la lignée de ceux proposés par la commission du Sénat précitée. Cependant, il apparaît nécessaire de se concentrer sur les effets de TikTok sur la santé des enfants et adolescents.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée :

1° d’étudier les dispositifs de captation de l’attention utilisés par TikTok, ainsi que leurs effets psychologiques, en particulier sur les mineurs ;

2° d’examiner les risques liés à l’exposition des jeunes utilisateurs aux contenus dangereux et à l’addiction numérique sur la plateforme ;

3° de proposer des mesures concrètes visant à protéger les mineurs, notamment en matière de régulation des contenus, de sécurité numérique et de modération des pratiques de la plateforme.

 

 


([1]) Poussé.e.s vers les Ténèbres, Comment le fil « Pour toi » de TikTok encourage l’automutilation et les idées suicidaires, Amnesty International, 7 novembre 2023, https ://www.amnesty.org/fr/documents/pol40/7350/2023/fr/)

([2]) Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence - Rapport de la commission d’enquête n° 831 (2022‑2023), tome I, déposé le 4 juillet 2023 de Claude Malhuret (https ://www.senat.fr/rap/r228311/r2283111.pdf)

([3]) Deadly by design, TikTok pushes harmful content promoting eating disorders and selfharm into users’ feed, Center for Countering Digital Hate, 15 décembre 2022, (https ://counterhate.com/wpcontent/uploads/2022/12/CCDHDeadlybyDesign_120922.pdf)

([4]) Filtre proposé par le réseau social TikTok promettant un visage parfait et les traits lissés grâce à l’intelligence artificielle.