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N° 787 rectifié
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 janvier 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Alexandre LOUBET, Mme Marine LE PEN, les membres du groupe Rassemblement National [(1)],
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
« Étant le peuple français, il nous faut
ou bien accéder au rang d’un grand État industriel, ou bien nous résigner au déclin. »
Charles de Gaulle, allocution du 14 juin 1960.
Mesdames, Messieurs,
L’industrie est le moteur de la puissance d’un pays, de la prospérité de son peuple et de son progrès technologique. Pourtant, la désindustrialisation de la France se poursuit.
La France est le pays européen qui s’est le plus désindustrialisé ces quatre dernières décennies : deux millions et demi d’emplois industriels ont été supprimés (source : ministère de l’économie et des finances), la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 17 à 9 % entre 1995 et 2024 (Banque mondiale) et la balance commerciale autrefois excédentaire (+39 milliards d’euros en 1997) a atteint des records de déficits abyssaux avec ‑162 milliards d’euros en 2022, ‑100 milliards d’euros en 2023 et ‑102 milliards d’euros en 2024 (novembre 2024 sur les 12 derniers mois).
Les dépendances de notre pays révélées au gré des crises (pétrolières, financières, Covid19, guerre en Ukraine, etc.) démontrent la nécessité de renouer avec un tissu productif français. Ces dernières années, les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience de la nécessité d’agir, conduisant le Président de la République Emmanuel Macron à parler de « souveraineté industrielle » et à fixer l’objectif ambitieux de relever la part de l’industrie dans le PIB national à 15 % d’ici à 2035 afin de rattraper la moyenne européenne. Plusieurs dispositions allant dans le bon sens ont ainsi été prises à l’instar du programme d’investissements France Relance 2030 (54 milliards d’euros sur 5 ans dans plusieurs projets industriels d’avenir, dont l’automobile ou l’énergie), de la French Tech qui rassemble les acteurs français du numérique, de Choose France qui facilite les investissements étrangers sur notre sol, de la diminution de l’impôt sur les sociétés (IS), de la baisse progressive des impôts de production, du développement de l’apprentissage, du soutien à la décarbonation ou encore de mesures législatives à travers le projet de loi relatif à l’industrie verte. Ce dernier permet notamment d’accélérer certaines procédures d’urbanisme ou environnementales pour des projets industriels stratégiques, de réduire les délais d’implantation des usines, de faciliter l’accès au foncier industriel ou encore de qualifier certains projets industriels « projets d’intérêt national majeur » (PINM).
Bien que largement insuffisantes pour relever le défi de la réindustrialisation, ces mesures ont permis une stagnation éphémère du mouvement de désindustrialisation que subit notre pays avec un léger « rebond » de l’industrie en 2022 et 2023, sur lequel le gouvernement a fortement communiqué : en matière d’attractivité avec le renforcement des investissements directs étrangers (IDE) en France (72,7 milliards d’euros en 2022 et 39,1 milliards d’euros en 2023 selon la Banque de France) ; en matière d’emplois avec la création de 130 000 emplois industriels entre 2017 et 2023 (DGE) et l’augmentation du nombre de contrats d’apprentissage en cours qui concernent plus d’un million de jeunes ; en matière d’implantations industrielles avec un solde positif de créations d’usines de 49 en 2022 et 57 en 2023 (DGE).
Cette stagnation a toutefois connu un coup d’arrêt en 2024. En effet, les annonces par le gouvernement d’une prétendue réindustrialisation méritent d’être relativisées et se heurtent à la triste réalité des chiffres :
– Attractivité. Les IDE sont les bienvenus lorsqu’ils renforcent nos filières nationales, mais ils peuvent aussi traduire une autre face de la désindustrialisation : la vente de fleurons nationaux à des capitaux étrangers comme Alstom, Alcatel, Technip, Latécoère, Souriau, HGH, Exxelia ou encore Doliprane. Des ventes qui mènent trop souvent à des suppressions d’emplois, des pertes de savoir‑faire et des fuites de brevets.
– Emplois. Depuis 2019, la productivité du travail en France a baissé de ‑8,5 % (Banque de France) : cette réalité démontre que la majorité des emplois créés ces dernières années sont précaires et à faible valeur ajoutée. Ce mouvement est couplé à une fuite des cerveaux (diplômés majoritairement jeunes) qui constitue une véritable exportation des compétences et savoir‑faire français. De plus, 24 000 emplois industriels ont été supprimés en 2024 (Trendeo) ; les suppressions d’emplois vont s’accélérer fortement comme en témoignent la multiplication des annonces de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) depuis le dernier trimestre 2024 (1 254 emplois chez Michelin, 1 150 chez Valeo, 450 chez Vencorex, etc.) et le risque de près de 200 PSE en préparation selon la Confédération générale du travail (CGT), soit près de 150 000 postes pouvant être supprimés dans les prochains mois. La conjonction de ces phénomènes démontre une accélération de la désindustrialisation.
– Implantations industrielles. Les récentes créations d’usines se heurtent à la poursuite de la récession de l’activité industrielle, comme le prouvent l’indicateur des directeurs d’achat dans l’industrie (indice PMI tendanciellement inférieur à 50 depuis 2022 selon l’agence S&P Global et la Hamburg Commercial Bank) et le fait qu’en 2024, le nombre de fermetures de sites dépasse pour la première fois depuis 2016 le nombre d’ouvertures avec un solde négatif de 15 usines (cabinet Trendeo).
La crise du secteur de l’automobile est révélatrice des difficultés de l’industrie française. Depuis 20 ans, cette filière nationale vit un long déclin : plus de 150 000 emplois ont été supprimés, la production de véhicules a chuté de 59 % entre 2000 et 2022, passant de 3,3 millions à 1,4 million de véhicules, et le déficit commercial dans le secteur atteint près de 24 milliards d’euros en 2023. La filière fait face à une concurrence internationale déloyale, une explosion des coûts, une instabilité et une illisibilité des politiques de soutien à la demande et à la transition de l’offre vers l’électrique. Avec l’interdiction de la vente des véhicules à moteur thermique en 2035, ce sont près de 100 000 emplois qui risquent d’être supprimés ces 10 prochaines années dans l’industrie automobile (source PFA – Plateforme automobile), sans même prendre en compte les destructions d’emplois dans les secteurs de la distribution et des services.
Les causes de la désindustrialisation de notre pays sont conjoncturelles avec notamment la désorganisation des chaînes de valeur, due à la succession de crises internationales, et la flambée des prix de l’énergie et des matières premières. Elles sont aussi structurelles avec l’absence de stratégie industrielle nationale, les dépendances énergétiques de notre pays, la dégradation de la compétitivité, la lourdeur fiscale, le poids de la bureaucratie, l’instabilité normative, les réglementations européennes découlant en particulier du Green Deal, le manque de financements et la concurrence déloyale croissante, tant au sein de l’Union européenne que dans le reste du monde. Sur les 12 derniers mois (novembre 2023 à novembre 2024), le déficit commercial de la France avec la Chine atteint 46,9 milliards d’euros et 36 milliards d’euros avec l’ensemble des pays de l’Union européenne.
Pendant que les États‑Unis et la Chine gagnent la guerre économique en se donnant les moyens de produire pour réduire leurs dépendances et exporter, l’Europe décroche : elle se complait à importer et à réguler. En témoigne le retard inquiétant de la France et de l’Europe dans les domaines du numérique et notamment de l’intelligence artificielle, innovation disruptive qui redessine déjà l’industrie de demain.
L’industrie est garante de notre souveraineté économique nationale, en produisant pour réduire nos dépendances ; elle est indispensable à un niveau de vie élevé et un modèle social de qualité, en créant de la richesse, des emplois et des compétences ; elle est source d’innovation, en concentrant près de 75 % des dépenses en recherche et développement des entreprises ; elle est essentielle à la lutte contre le dérèglement climatique, en décarbonant ses activités et en relocalisant les productions alors même que la moitié de l’empreinte carbone de la France est liée à nos importations (Haut Conseil pour le climat).
Parce que réindustrialiser notre pays est une nécessité vitale, il est urgent de rompre avec les logiques qui ont guidé les politiques économiques de ces quatre dernières décennies. Cette proposition de résolution demande donc la création d’une commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête composée de trente députés. Cette commission d’enquête est chargée d’établir les freins à la réindustrialisation de la France.
Après avoir succinctement analysé les raisons structurelles de la désindustrialisation de notre pays ces quatre dernières décennies, les travaux de cette commission d’enquête consisteront essentiellement à établir les difficultés – et leurs causes – que rencontrent actuellement les acteurs industriels dans leurs activités existantes, leurs projets de développement et les créations d’entreprise ; ils permettront ensuite d’élaborer des propositions concrètes pour lever les freins à la réindustrialisation de la France.
[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Franck ALLISIO, M. Maxime AMBLARD, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Philippe BALLARD, Mme Anchya BAMANA, M. Christophe BARTHÈS, M. Romain BAUBRY, M. José BEAURAIN, M. Christophe BENTZ, M. Théo BERNHARDT, M. Guillaume BIGOT, M. Bruno BILDE, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, M. Frédéric BOCCALETTI, Mme Pascale BORDES, M. Anthony BOULOGNE, Mme Manon BOUQUIN, M. Jorys BOVET, M. Jérôme BUISSON, M. Eddy CASTERMAN, M. Sébastien CHENU, M. Roger CHUDEAU, M. Bruno CLAVET, Mme Caroline COLOMBIER, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, Mme Sandra DELANNOY, M. Jocelyn DESSIGNY, Mme Edwige DIAZ, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, M. Alexandre DUFOSSET, M. Gaëtan DUSSAUSAYE, M. Aurélien DUTREMBLE, M. Auguste EVRARD, M. Frédéric FALCON, M. Marc DE FLEURIAN, M. Guillaume FLORQUIN, M. Emmanuel FOUQUART, M. Thierry FRAPPÉ, M. Julien GABARRON, Mme Stéphanie GALZY, M. Jonathan GERY, M. Frank GILETTI, M. Yoann GILLET, M. Christian GIRARD, M. Antoine GOLLIOT, M. José GONZALEZ, Mme Florence GOULET, Mme Géraldine GRANGIER, Mme Monique GRISETI, M. Julien GUIBERT, M. Michel GUINIOT, M. Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, M. Timothée HOUSSIN, M. Sébastien HUMBERT, M. Laurent JACOBELLI, M. Pascal JENFT, M. Alexis JOLLY, Mme Tiffany JONCOUR, Mme Sylvie JOSSERAND, Mme Florence JOUBERT, Mme Hélène LAPORTE, Mme Laure LAVALETTE, Mme Marine LE PEN, M. Robert LE BOURGEOIS, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Nadine LECHON, Mme Gisèle LELOUIS, M. Hervé DE LÉPINAU, Mme Katiana LEVAVASSEUR, M. Julien LIMONGI, M. René LIORET, Mme Christine LOIR, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. Alexandre LOUBET, M. David MAGNIER, Mme Claire MARAIS-BEUIL, M. Matthieu MARCHIO, M. Pascal MARKOWSKY, M. Patrice MARTIN, Mme Michèle MARTINEZ, Mme Alexandra MASSON, M. Bryan MASSON, M. Kévin MAUVIEUX, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Joëlle MÉLIN, Mme Yaël MÉNACHÉ, M. Thomas MÉNAGÉ, M. Pierre MEURIN, M. Thibaut MONNIER, M. Serge MULLER, M. Julien ODOUL, Mme Caroline PARMENTIER, M. Thierry PEREZ, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, M. Matthias RENAULT, Mme Catherine RIMBERT, M. Joseph RIVIÈRE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, Mme Béatrice ROULLAUD, Mme Sophie-Laurence ROY, Mme Anaïs SABATINI, M. Alexandre SABATOU, M. Emeric SALMON, M. Philippe SCHRECK, Mme Anne SICARD, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Jean-Philippe TANGUY, M. Michaël TAVERNE, M. Thierry TESSON, M. Lionel TIVOLI, M. Romain TONUSSI, M. Antoine VILLEDIEU, M. Frédéric-Pierre VOS, M. Frédéric WEBER.