N° 858
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 janvier 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à une coopération européenne renforcée contre l’antisémitisme et la haine anti-juive,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
Mme Constance LE GRIP, M. Sylvain BERRIOS, M. Bertrand BOUYX, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, Mme Josiane CORNELOUP, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Michel HERBILLON, Mme Emmanuelle HOFFMAN, Mme Brigitte KLINKERT, M. Philippe LATOMBE, M. Jean LAUSSUCQ, M. Mathieu LEFÈVRE, Mme Delphine LINGEMANN, M. Sylvain MAILLARD, M. Laurent MAZAURY, M. Nicolas METZDORF, Mme Laure MILLER, Mme Joséphine MISSOFFE, M. Jérémie PATRIER-LEITUS, M. Éric PAUGET, Mme Isabelle RAUCH, Mme Marie-Pierre RIXAIN, M. Freddy SERTIN, Mme Prisca THEVENOT, Mme Annie VIDAL, Mme Corinne VIGNON, Mme Caroline YADAN,
députées et députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’Union européenne s’est construite en réponse aux tragédies de la Seconde Guerre mondiale, et particulièrement à la Shoah, et sur la volonté commune des États membres de garantir que de telles atrocités ne se reproduisent jamais. Les valeurs fondamentales consacrées par l’article 2 du Traité sur l’Union européenne - respect de la dignité humaine, liberté, égalité, démocratie, État de droit et droits de l’Homme - traduisent cet engagement historique contre l’antisémitisme et toutes les formes de haine. Cependant, ces principes fondateurs sont aujourd’hui gravement menacés par une résurgence des discours et crimes antisémites, rappelant tragiquement les mécanismes qui ont conduit aux persécutions du passé.
Depuis l’attaque terroriste islamiste menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, plus grand pogrom du XXIe siècle, l’Europe est confrontée à une recrudescence très alarmante de l’antisémitisme. Ce phénomène s’est manifesté encore récemment de manière frappante, le 7 novembre 2024, lors de la déplorable escalade de violence en marge d’un match de football aux Pays‑Bas, où des attaques inacceptables ont visé des supporters israéliens. Ces actes témoignent de la normalisation inquiétante des discours et comportements antisémites dans certains contextes publics, mettant directement en danger les citoyens juifs et sapant les fondements de tolérance et de respect mutuel sur lesquels repose l’Union européenne. Cette vague de haine, exacerbée par la désinformation et les discours en ligne, menace gravement la cohésion sociale et démocratique des États membres. Une enquête récente de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne révèle que 96 % des Juifs européens déclarent être confrontés à des formes d’antisémitisme, qu’il s’agisse de harcèlement, de discours haineux ou d’agressions physiques. Car c’est tous les jours, dans tous les pays européens, que se manifestent des formes diverses d’antisémitisme et la haine anti‑juive.
La lutte contre l’antisémitisme et les autres formes de haine est depuis longtemps une priorité pour l’Union européenne, qui a développé un ensemble d’outils juridiques et politiques pour y répondre. La décision‑cadre de 2008 sur la lutte contre le racisme et la xénophobie a établi un cadre commun permettant de sanctionner efficacement les manifestations graves de discrimination. Plus récemment, la stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme et de soutien à la vie juive, adoptée en 2021, constitue une avancée majeure, en particulier avec l’élaboration de plans nationaux dans 21 États membres. De même, l’entrée en vigueur du règlement sur les services numériques (DSA) en 2023 a marqué un tournant en imposant des obligations strictes aux plateformes numériques pour lutter contre les contenus haineux en ligne.
Cependant, ces mécanismes montrent leurs limites face à la complexité des défis actuels, en particulier face à la résurgence de l’antisémitisme. Les discours antisémites continuent de proliférer, alimentés par la désinformation, souvent orchestrée depuis l’étranger, et par des récits complotistes visant à stigmatiser les communautés juives. Ces discours s’accompagnent d’une hausse alarmante des agressions, qu’elles soient physiques ou verbales, ciblant directement des individus, des lieux de culte ou des institutions juives. Face à ces menaces persistantes, il est impératif que l’Union européenne intensifie ses efforts et renforce la coopération entre les États membres pour éradiquer ce fléau, qui constitue une atteinte aux valeurs fondamentales sur lesquelles elle repose.
Face à la montée alarmante de l’antisémitisme en Europe, le Gouvernement, par l’intermédiaire de M. Benjamin Haddad, Ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé de l’Europe, a multiplié les initiatives pour renforcer la coordination européenne. Le mardi 19 novembre 2024, une réunion d’urgence des ministres des affaires européennes des États‑membres a été organisée afin de répondre à la résurgence de la violence antisémite, soulignant la nécessité de renforcer les outils numériques, judiciaires et éducatifs. Le Gouvernement a également réaffirmé, par la voix de ses représentants, l’importance de protéger les citoyens juifs et de lutter fermement contre les discours de haine en ligne, en s’appuyant sur l’application rigoureuse du DSA. Ces actions traduisent une mobilisation sans faille pour faire de la lutte contre l’antisémitisme une priorité stratégique pour le Gouvernement français, en France et dans l’Union européenne, et portée avec détermination par le Ministre chargé de l’Europe.
La présente proposition de résolution européenne (PPRE) réaffirme l’engagement de l’Assemblée nationale en faveur de la lutte contre l’antisémitisme à l’échelle européenne et s’appuie sur la reconnaissance commune de la définition opérationnelle de l’antisémitisme adoptée le 26 mai 2016 par les 31 États membres de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Cette définition : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte », votée par le Parlement européen le 1er juin 2017, puis adoptée par l’Assemblée nationale le 3 décembre 2019 et par le Sénat le 5 octobre 2021, suivis par plusieurs parlements nationaux de pays membres de l’Union européenne, témoigne de la volonté partagée de renforcer la lutte contre ce fléau et d’assurer une coopération accrue entre les États membres.
Aussi, cette PPRE appelle l’Union européenne à faire de cette lutte une priorité stratégique, en renforçant la coordination entre les États membres et en agissant fermement contre l’intolérance, la discrimination et la persécution.
La PPRE met en avant la nécessité de mettre en œuvre pleinement le règlement sur les services numériques (DSA) pour réguler les discours de haine en ligne, avec un code de conduite révisé et des « signaleurs de confiance » mieux intégrés. Elle insiste également sur l’importance de combattre la désinformation en ligne, souvent orchestrée depuis l’étranger, qui alimente les discours antisémites et exacerbe les tensions.
Elle souligne le rôle central de l’éducation à la mémoire, appelant à promouvoir des initiatives européennes pour sensibiliser les citoyens à l’histoire de l’Holocauste et contrer sa négation. En parallèle, elle invite la Commission européenne à s’assurer que les États membres respectent leurs engagements dans le cadre de la stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme.
Enfin, la PPRE appelle les présidences actuelles et futures du Conseil de l’Union européenne, ainsi que le nouveau collège des commissaires, à placer la lutte contre l’antisémitisme au cœur de leurs priorités, afin de protéger les valeurs fondamentales de l’Union et de garantir un environnement de tolérance et de respect mutuel.
L’Union européenne porte dans sa mémoire collective les conséquences tragiques de la haine et de l’intolérance, en particulier l’antisémitisme, qui ont marqué le siècle dernier. La Shoah a révélé les profondeurs de la barbarie humaine et a conduit les fondateurs de l’Union européenne à inscrire dans ses bases mêmes un engagement à garantir que de telles atrocités ne se reproduisent jamais. Pourtant, aujourd’hui, alors que les tensions identitaires et les discours de haine prolifèrent, notamment envers les communautés juives, cet engagement fondateur est mis à l’épreuve. La lutte contre l’antisémitisme ne saurait être reléguée au second plan : elle doit rester une priorité absolue pour protéger nos valeurs communes de dignité, de respect et de tolérance, et pour garantir que l’Union européenne demeure un espace de paix et de sécurité pour tous ses citoyens.
– 1 –
proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies du 10 décembre 1948,
Vu la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
Vu les articles 10 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu l’article 2 du Traité sur l’Union européenne,
Vu la résolution du Parlement européen du 1er juin 2017 sur la lutte contre l’antisémitisme,
Vu la résolution de l’Assemblée nationale du 3 décembre 2019 visant à lutter contre l’antisémitisme,
Vu la résolution du Sénat du 5 octobre 2021 portant sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme,
Vu la stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme et de soutien à la vie juive adoptée le 5 octobre 2021,
Vu la décision‑cadre du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal,
Vu les conclusions du Conseil européen, notamment celles des 17 octobre 2024, 27 juin 2024 et 14‑15 décembre 2023, réaffirmant l’importance de la lutte contre l’antisémitisme,
Vu les déclarations de la Commission européenne, notamment lors des sessions plénières du Parlement européen des 7 octobre, 10 octobre et 13 novembre 2024, soulignant la nécessité d’agir fermement contre l’intolérance religieuse, les discours de haine et l’antisémitisme, en particulier en réaction à la déplorable escalade de la violence en marge d’un match de football aux Pays‑Bas et aux attaques inacceptables contre des supporters israéliens ; sur la montée préoccupante de l’intolérance religieuse en Europe ; ainsi qu’un an après les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre 2023
Vu la déclaration du Conseil du 15 octobre 2024 sur le soutien à la vie juive et la lutte contre l’antisémitisme,
Vu la résolution d’actualité du Parlement européen du 16 septembre 2024 sur l’antisémitisme et les discours de haine,
Vu l’appel du 6 décembre 2023 de la Commission et du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité pour s’unir contre toutes les formes de haine,
Vu le règlement du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif au marché unique des services numériques, entré en vigueur le 25 août 2023,
Vu la résolution du Parlement européen du 19 septembre 2019 sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe,
Considérant que l’intégration européenne est une réponse historique aux souffrances causées par les guerres mondiales et, en particulier, par l’antisémitisme qui a atteint son triste paroxysme avec l’Holocauste, tragédie sans précédent dans l’histoire de l’humanité ;
Considérant que toutes les formes d’antisémitisme doivent être condamnées avec la plus grande fermeté ;
Considérant la définition opérationnelle de l’antisémitisme adoptée par les 31 États membres de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste le 26 mai 2016, à savoir : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. » ;
Considérant que le Parlement européen a voté et adopté cette définition opérationnelle dans son intégralité le 1er juin 2017, l’Assemblée nationale le 3 décembre 2019 et le Sénat le 5 octobre 2021, suivis par plusieurs parlements nationaux de pays de l’Union européenne ;
Considérant que l’attaque terroriste islamiste menée par le Hamas le 7 octobre 2023, plus grand pogrom du XXIe siècle depuis la Shoah, a provoqué une recrudescence sans précédent de l’antisémitisme en Europe, se manifestant par des actes de violence, des discours haineux en ligne et hors ligne, et des menaces à l’encontre des communautés juives ;
Considérant que les citoyens juifs doivent pouvoir vivre en sécurité au sein de l’Union européenne, sans crainte pour leur intégrité physique ou morale ;
Considérant que les discours de haine, y compris en ligne, et les actes antisémites menacent la cohésion sociale et démocratique de l’Union européenne ;
Considérant les initiatives du gouvernement français, portées par le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, visant à renforcer la coordination européenne contre l’antisémitisme, notamment par l’organisation d’une réunion d’urgence des ministres européens des affaires européennes, doivent être soutenues par la représentation nationale ;
Considérant que la désinformation en ligne, souvent orchestrée par des acteurs extérieurs à l’Union européenne, contribue à exacerber les tensions et à propager des discours antisémites ;
Appelle l’Union européenne à considérer la lutte contre l’antisémitisme comme une priorité stratégique, en renforçant les mécanismes de coordination entre les États membres et en agissant fermement pour prévenir toute forme d’intolérance, de discrimination ou de persécution ;
Encourage la mise en œuvre complète du règlement européen sur les services numériques, en insistant sur le développement d’un code de conduite révisé pour lutter contre les discours de haine, avec une intégration renforcée des « signaleurs de confiance » ;
Invite la Commission européenne à suivre et à soutenir les États membres dans l’application des conclusions du Conseil européen relatives à la lutte contre l’antisémitisme et à l’intolérance et à continuer de sanctionner les États membres qui ne respectent pas la décision‑cadre du Conseil du 28 novembre 2008 ;
Exige de l’Union européenne qu’elle intensifie la mise en œuvre de son plan d’action contre le racisme et de sa stratégie de lutte contre l’antisémitisme, en veillant à ce que les États membres respectent pleinement leurs engagements ;
Souligne le rôle central de l’éducation à la mémoire, en appelant à promouvoir une meilleure sensibilisation à l’histoire de l’Holocauste et aux dangers des discours de haine, à travers des initiatives éducatives européennes ;
Insiste sur l’importance de lutter contre la désinformation en ligne, en renforçant les capacités européennes de surveillance et de suppression des contenus haineux propagés depuis l’étranger ;
Demande que les présidences actuelles et futures du Conseil de l’Union européenne ainsi que le nouveau collège des commissaires européens placent la lutte contre l’antisémitisme au cœur de leurs priorités.