N° 943
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à soutenir le Groenland et le Danemark pour défendre la paix et l’environnement par la proposition d’une présence militaire européenne au Groenland,
présentée par
M. Damien GIRARD, Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Catherine HERVIEU, Mme Clémentine AUTAIN, M. Benoît BITEAU, M. Nicolas BONNET, M. Mickaël BOULOUX, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, Mme Julie OZENNE, Mme Sophie PANTEL, Mme Marie POCHON, Mme Eva SAS, M. Hervé SAULIGNAC, M. Boris TAVERNIER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le Danemark est un pays souverain, démocratique, membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1949 et de l’Union européenne depuis 1973. Le Groenland est une ancienne colonie du Danemark, depuis 1953, territoire constitutif de ce Royaume, avec un statut de semi‑autonomie depuis 1979, étendu depuis 2009 à l’ensemble des compétences sauf cinq, lesquelles restent assurées par le gouvernement du Danemark. Le Groenland a exprimé avec constance et régularité son désir d’indépendance. Toutefois, pour l’instant, l’appartenance du Groenland au territoire du Royaume du Danemark (Danish Realm) est reconnue par l’ensemble des pays membres de l’Union européenne, des pays membres de l’Espace économique européen, ainsi que par le gouvernement fédéral des États‑Unis d’Amérique par déclaration depuis 1916, dans le cadre des négociations sur le Traité des Antilles danoises (1917).
Cette reconnaissance est également entérinée en droit international par la Cour permanente internationale de justice dans son arrêt du 5 Septembre 1933 déboutant la Norvège de droits souverains sur une partie du Groenland oriental, elle‑même fondée notamment sur la reconnaissance de la souveraineté danoise par la France, la Suède et les Pays‑Bas.
Enfin, les États‑Unis d’Amérique ont de nouveau entériné la base de souveraineté danoise sur le Groenland dans le cadre de l’Accord de défense bilatéral entre les États‑Unis d’Amérique et le Royaume du Danemark de 1951, sur la base d’un précédent accord de défense entre les deux pays signé en 1941 dans lequel les États‑Unis d’Amérique accepte de « protéger » le Groenland sans pour autant en revendiquer quelque souveraineté. Cet accord de défense bilatéral a par la suite été renouvelé et approfondi en 2004.
De même, les États‑Unis d’Amérique n’ont émis aucune réserve à l’égard de la base légale de souveraineté sur le Groenland lors de la Déclaration d’Ilulissat (2008) ni lors de la soumission par le Danemark et le Groenland de la demande de validation de données scientifiques auprès la Commission des limites du plateau continental (CLPC), en 2014, concernant l’extension de droits de gestion sur le plateau continental étendu à partir des côtes du Groenland, au‑delà de la Zone économique exclusive, dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM).
Pourtant, malgré ces bases légales sans appel et cette reconnaissance constante depuis plus d’un siècle, l’actuel président des États‑Unis a déclaré le 7 janvier dernier que le Danemark devait « renoncer à ses droits légaux » sur une partie de son territoire, le Groenland, au profit des États‑Unis, avant de se demander « si le Danemark a[vait] vraiment une base légale pour cette prétention ».
Cette position est répétée plusieurs fois, en énonçant clairement que la présidence des États‑Unis n’exclut pas le recours à la force pour mettre en œuvre l’intégration du Groenland. Elle s’inscrit dans une histoire longue de constitution d’un espace d’influence américain exclusif remontant à la doctrine Monroe.
Ces menaces remettent directement en cause les principes fondamentaux du droit international, la souveraineté des États et le droit à l’autodétermination des peuples.
Elles sont d’autant plus déstabilisantes que le Groenland est un « pays et territoire d’outre‑mer » (PTOM) associé à l’Union européenne depuis 1985 et que le Danemark est un partenaire fiable de l’Union européenne. Ce pays contribue directement à la sécurité collective du continent européen, notamment au sein de l’OTAN. Ainsi, les États‑Unis disposent d’une base militaire à Pittufik, sur le territoire du Groenland, élément clef de l’architecture de défense nord‑atlantique pensée historiquement comme leur premier rideau de défense. Sa mise sous pression est donc à la fois contraire aux principes du droit international et injustifiée au regard du volontarisme du Danemark en matière de coopération stratégique et sécuritaire.
Cette présence militaire américaine commencée durant la Seconde guerre mondiale est à l’origine de dommages importants causés à l’environnement du Groenland et de déplacements forcés de populations autochtones. Ces dégâts constituent une dette environnementale, susceptible d’une réparation américaine aux habitants et autorités du territoire, au Danemark et à l’Union européenne.
L’indépendance est un horizon possible, voire probable pour le Groenland. La protection du peuple Inuit, qui représente 90 % de la population du territoire est nécessaire et serait malmenée par une intégration brutale de ce territoire aux États‑Unis. L’autodétermination groenlandaise doit être respectée et les sondages réalisés la semaine du 22 janvier 2025 indiquent clairement un rejet des velléités du Président étatsunien : 85 % des Groenlandais ne souhaitant pas d’intégration aux États‑Unis.
Cette situation est une mise à l’épreuve de la solidarité, de la cohésion et de la détermination des pays européens à défendre leur autonomie stratégique ainsi que le droit à l’autodétermination des peuples. Elle souligne d’ailleurs la nécessité d’une accélération de la construction d’une architecture de sécurité européenne davantage autonome des États‑Unis.
Dans ces circonstances, des actes concrets doivent être posés pour montrer le soutien de la France et de l’Union européenne au Groenland et au Danemark. La position exprimée par le ministre des affaires étrangères français, concernant la possibilité d’envoyer de troupes européennes au Groenland, est une proposition à étudier sérieusement. Elle permettrait d’exprimer un soutien immédiat et inconditionnel au Danemark et de renforcer la coopération sécuritaire avec ce pays.
La France a une voix incontournable quant au développement d’une force militaire européenne et son avis sera crucial si une décision est prise de renforcer la coopération entre les forces danoises et un bataillon européen.
Ce type de présence militaire est déjà mis en œuvre par la France. C’est ainsi le cas de la mission LYNX qui démontre l’engagement des forces armées françaises auprès de l’Estonie.
De la même manière, la France a une action singulière depuis près d’un siècle au travers d’un accompagnement scientifique, culturel mais aussi en matière de sécurité, du peuple groenlandais et, par extension, de notre allié danois. La France est aujourd’hui le seul État de l’Union européenne, hors Danemark, à maintenir une compétence d’intervention et de survie en milieu extrême sur la calotte groenlandaise (exercice UPPICK), ainsi qu’à conduire des exercices de sauvetage en mer et garde‑côtes dans les eaux territoriales groenlandaises (exercice ARGUS).
Une présence militaire au Groenland a pour but de démontrer la cohésion des Européens, alors que Trump souhaite nous diviser pour nous affaiblir.
Cette présence ne pourra se déployer qu’avec l’accord plein et entier du Danemark, en lien avec ses besoins et en totale coopération avec ses autorités et celles du Groenland. Alors que la question des garanties de sécurité en cas de paix se pose pour l’Ukraine dans le cadre de sa guerre défensive face à la Russie, cette présence militaire au Groenland peut être l’occasion de contribuer à renforcer la coopération militaire européenne en matière notamment de démonstration de force et de présence dissuasive conventionnelle.
La présente proposition de résolution invite le gouvernement à exprimer officiellement cette position et à la traduire par des actes concrets, déterminés, dans le cadre d’une stratégie de long terme afin de garantir la souveraineté du Groenland, du Danemark et de l’Union européenne et de défendre la paix et l’environnement.
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proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’article 2 de la Charte des Nations unies,
Vu la déclaration d’Ottawa du 19 septembre 1996,
Vu la déclaration conjointe de Bruxelles du 19 mars 2015,
Vus les articles 198 à 204 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne,
Vu la décision d’association 2021/1764 du 5 octobre 2021,
Considérant les propos répétés du Président des Etats-Unis concernant le Groenland et le Danemark ;
Considérant la demande de soutien demandée explicitement par les autorités danoises à ses partenaires européens ;
Considérant la volonté constante des autorités groenlandaises de faire respecter le droit à l’autodétermination du peuple groenlandais ;
Condamne fermement les propos du Président des États‑Unis qui remettent en cause le droit à l’autodétermination du peuple groenlandais, la souveraineté danoise sur le Groenland, qui n’excluent pas le recours à la force afin d’intégrer ce territoire à son pays, qui contreviennent aux règles du droit international, au respect de la souveraineté des États et des peuples et qui sont aussi une menace pour un territoire écologique sensible et doté en ressources fossiles et en minerais ;
Exprime son entière solidarité aux autorités groenlandaises et danoises pour la défense du droit international et de leur souveraineté ;
Exprime son souhait de participer plus étroitement aux travaux de la Conférence des parlementaires de la région Arctique en soutien aux menaces sur le droit international au respect des souverainetés de la région ;
Exprime son soutien indéfectible aux autorités groenlandaises dans le cadre de la Présidence tournante du Conseil de l’Arctique, l’organe diplomatique régional et multilatéral de référence, assurée par le Gouvernement du Groenland, pour le compte de l’ensemble du Royaume du Danemark, à partir de mai 2025 pour une durée de deux ans ;
Réaffirme que la sécurité collective de l’Union européenne et des pays et territoires d’Outre‑mer associés à l’Union européenne doit être respectée et l’engagement entier de la France auprès du Danemark et du Groenland pour le respect de leurs droits ;
Réaffirme que les élections générales au Groenland prévues pour le 11 mars 2025, les élections municipales prévues pour le 1er avril 2025, ainsi qu’un futur référendum sur l’indépendance ou la libre‑association du Groenland à l’État de leur choix, le cas échéant, doivent se dérouler librement et sans aucune interférence étrangère.
Souligne que les déclarations du Président des États‑Unis sont l’opportunité de rappeler la dette environnementale de ce pays à l’égard du Groenland, du Danemark et de l’Union européenne et d’exprimer la demande d’une réparation matérielle et financière ;
Invite le Gouvernement français à exprimer officiellement sa disponibilité pour la mise en place d’une présence militaire européenne au Groenland en totale coopération avec le Danemark et le Groenland ;
Invite le Gouvernement français à exprimer officiellement son souhait qu’une déclaration sur la préservation des souverainetés, du droit international et de l’évitement de tout conflit armé entre pays membres du Forum des forces de sécurité de l’Arctique, dont la France est membre à part entière, soit mise en débat et adoptée lors de la prochaine réunion du Forum.