N° 968
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
relative à la mise en œuvre du Protocole de l’Organisation mondiale de la Santé pour « lutter contre le commerce illicite de tabac »,
présentée par
M. Frédéric VALLETOUX, M. Xavier LACOMBE, M. Didier LEMAIRE, Mme Lise MAGNIER, Mme Béatrice PIRON, M. Christophe PLASSARD, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, M. Xavier ROSEREN, Mme Isabelle RAUCH, M. Xavier ALBERTINI, M. Henri ALFANDARI, Mme Béatrice BELLAMY, M. Thierry BENOIT, M. Sylvain BERRIOS, M. Bertrand BOUYX, M. Jean-Michel BRARD, M. Paul CHRISTOPHE, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, Mme Félicie GÉRARD, M. François GERNIGON, M. Pierre HENRIET, M. François JOLIVET, M. Loïc KERVRAN, M. Thomas LAM, Mme Anne LE HÉNANFF, M. Jean MOULLIERE, Mme Naïma MOUTCHOU, M. Jérémie PATRIER-LEITUS, M. Jean-François PORTARRIEU, Mme Laetitia SAINT-PAUL, M. Vincent THIÉBAUT, Mme Anne-Cécile VIOLLAND,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis les années 2000 avec le lancement du plan Cancer I (2003‑2007) par le Président de la République, Jacques Chirac, la lutte contre le tabagisme s’est largement développée en France ([1]). Ce premier plan a permis de faire chuter les ventes de cigarettes de 32 % grâce à une hausse des prix de plus de 40 %.
Les plans cancer suivants ont poursuivi cet objectif. Le plan Cancer II (2009‑2013) a ainsi mis en œuvre des mesures visant à aider efficacement les fumeurs dans leur démarche d’arrêt avec l’apposition des avertissements sanitaires illustrés sur les paquets de cigarettes ([2]), le renforcement de la politique d’aide au sevrage tabagique et l’interdiction de la vente de tabac à l’ensemble des mineurs ([3]). Le plan Cancer III (2014‑2019) a favorisé l’émergence d’une action politique renforcée contre le tabac avec le lancement du Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) qui a permis la mise en place d’actions emblématiques comme le paquet neutre, les avertissements sanitaires agrandis, le droit de prescription des traitements de substitution nicotinique élargi et, enfin, le mois sans tabac.
Le Programme national de lutte contre le tabac (PNLT) 2018‑2022, défini avec le concours des associations de santé publique, s’est traduit par des résultats positifs, avec une baisse significative de la prévalence du tabagisme quotidien entre 2017 et 2022, passant de 25,1 % à 15,6 % chez les jeunes de 17 ans, et un taux qui a baissé de manière historique entre 2014 et 2019 avec près de 1,9 million de fumeurs en moins chez les adultes (18‑75 ans) ([4]).
Malgré cette politique publique de prévention volontariste, le tabac demeure la première cause de mortalité prématurée évitable en France avec 73 000 décès par an, soit 200 décès par jour. Il entraine en moyenne une perte de 10 à 12 ans d’espérance de vie et est en particulier responsable de 44 000 décès par cancer, 8 000 décès par insuffisance respiratoire et d’une grande majorité de la morbidité pneumologique actuelle, et 18 000 décès par maladies cardiovasculaires.
La consommation de tabac par les Français reste en effet relativement élevée avec 15 millions de personnes qui se déclarent fumeurs en France, dont 12 millions de fumeurs quotidiens ([5]). S’agissant des adolescents, les chiffres sont aussi alarmants puisque 200 000 commencent à fumer chaque année avec un âge d’initiation autour de 13‑14 ans ([6]).
En plus d’être un sujet sanitaire majeur, le tabac représente un coût direct pour nos finances publiques évalué à plus de 1,6 milliard d’euros par an et constitue un coût social annuel de 156 milliards d’euros ([7]).
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* *
Les politiques de santé publique visant à réduire la consommation de tabac voient leur effet limité notamment du fait du développement du marché parallèle. Bien qu’il soit difficile d’estimer l’ampleur du commerce parallèle de tabac, une tendance semble se dégager en vertu de plusieurs sources : le rapport d’information d’Eric Woerth et de Zivka Park retient qu’il représente entre 14 % et 17 % de la consommation française et entre 16 % et 20 % des volumes de vente ([8]), une étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) donne une fourchette d’achats réalisés en dehors des bureaux de tabac comprise entre 10 % et 20 % de la consommation totale ([9]) et un rapport de KPMG financé par les industriels du tabac le situe à 30 % ([10]). Cette pratique porte en outre préjudice à nos 23 000 buralistes qui constituent, dans nos villes et dans nos villages, les premiers commerçants de proximité. Il pénalise enfin l’État de recettes estimées entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an.
Face à l’ampleur inédite prise par le marché parallèle de tabac, le législateur a récemment aggravé les peines encourues en cas de trafics de tabacs, conformément aux objectifs fixés par le Plan tabac 2023‑2025, via la loi n° 2023‑610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces. La peine prévue pour la fabrication, la détention frauduleuse en vue de la vente, la vente hors du monopole, l’introduction ou l’importation frauduleuse de tabacs manufacturés a été portée d’un à trois ans de prison (dix ans contre cinq ans en cas de bande organisée). Une interdiction du territoire français pouvant aller jusqu’à dix ans a aussi été créée. Les contrôles douaniers sont également renforcés avec, en 2022, une saisie de près de 650 tonnes de tabac de contrebande, soit une hausse de près de 60 % en un an[11].
Pourtant, sur les 52 milliards de cigarettes qui sont fumées en France chaque année, près de 16 milliards proviendraient du marché parallèle, selon le rapport d’information du 29 septembre 2021 qui se fonde sur une étude réalisée en 2020 par le cabinet KPMG ([12]).
La moitié serait issue des achats frontaliers : les fabricants de tabac sur‑approvisionnent ainsi les vendeurs de tabac des pays limitrophes de la France, à savoir Andorre, Luxembourg, Suisse, Italie, Belgique ou Espagne pour alimenter les fumeurs français.
Il est ainsi indispensable de recourir à des outils juridiquement et structurellement adaptés aux buralistes pour faire face au commerce parallèle de tabac et sanctionner la duplicité des fabricants de tabac qui organisent la surproduction et le sur‑approvisionnement de leurs produits.
C’est dans cette perspective que l’OMS a élaboré le Protocole « pour lutter contre le commerce illicite de tabac », adopté le 12 novembre 2012 par la Conférence des Parties à sa cinquième session à Séoul.
Ce protocole vise à éliminer toute forme de commerce illicite des produits du tabac en exigeant des États qu’ils prennent des mesures pour contrôler efficacement la chaîne logistique des produits du tabac. Il impose des obligations ambitieuses aux États en ce qui concerne les licences, la vérification diligente, le suivi et la traçabilité, la tenue des registres, les ventes sur Internet, par télécommunication ou au moyen de toute autre technologie nouvelle, les zones franches et le transit international ainsi que les ventes en franchise de droits.
Il est entré en vigueur le 25 septembre 2018 après avoir obtenu les 40 ratifications nécessaires. À ce jour, il a été ratifié par près de 70 Parties, dont la France le 30 novembre 2015, et 19 autres États membres de l’Union européenne. L’Union européenne a également ratifié ce Protocole de l’OMS le 24 juin 2016, ouvrant ainsi la voie à la mise en œuvre d’une traçabilité des produits du tabac à l’échelle européenne.
Pour empêcher les fabricants de tabac d’alimenter le commerce parallèle de tabac comme ils le font aujourd’hui, l’application pleine et entière du Protocole de l’OMS est indispensable. Cela permettrait aux États de mettre en place des quotas de livraison de tabac par pays, fondés sur la consommation domestique. Cette quantité pourrait évoluer chaque année en fonction des priorités de santé publique et fiscales, sans jamais pouvoir dépasser +5 % de la quantité de tabac théorique nécessaire, réactualisée chaque année en fonction de la consommation réelle enregistrée l’année précédente.
Le contrôle de la production de tabac et des quantités livrées se fera directement à partir des usines de fabrication par la traçabilité des produits du tabac qui doit être totalement indépendante des fabricants de tabac, comme l’exige l’article 8‑12 du Protocole, afin d’empêcher les fabricants de tabac d’organiser le marché parallèle. Ce qui n’est pas le cas de l’actuel système européen de traçabilité des produits de tabac.
L’application de ce Protocole doit permettre à la France d’être le premier pays de l’Union européenne à mettre en place la traçabilité indépendante des produits du tabac. Il est donc urgent que le Gouvernement place la lutte contre le commerce parallèle au rang de priorité dans le combat contre le tabagisme et traduise cette volonté de façon opérationnelle.
À l’heure où le Gouvernement est à la recherche d’économies sur les dépenses de l’État, agir sur les pertes recettes fiscales résultant du marché parallèle enverrait également un signal très fort.
Le 4 novembre 2024, à l’occasion des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, le Gouvernement a fait part de son souhait de mieux réguler les ventes de tabac et de défendre activement l’application du Protocole de l’OMS au niveau européen.
À quelques mois de l’élaboration de la prochaine directive européenne sur les produits du tabac, la France doit ainsi montrer la voie.
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proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu les articles 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement,
Vu le Protocole contre le commerce illicite du tabac, issu de la convention cadre de lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé adopté le 12 novembre 2012,
Vu la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac, et la définition d’un plan interministériel de lutte contre le commerce illicite du tabac,
Affirmant que la lutte contre le commerce parallèle de tabac doit devenir une priorité pour rendre effectifs les politiques de santé publique mises en œuvre contre le tabac ;
Considérant d’une part que, malgré la manifestation par la France de son intention de mettre en œuvre le Protocole de l’Organisation mondiale de la Santé, ratifié officiellement le 30 novembre 2015, celui‑ci n’est pas appliqué ;
Considérant d’autre part que l’Union européenne a ratifié ce Protocole le 24 juin 2016 à la suite d’une procédure de vote devant le Conseil de l’Union européenne à l’unanimité, chacun des vingt‑sept États membres a voté en faveur de la ratification du texte ;
Considérant que dans un souci de cohérence et d’harmonie entre la politique des États membres et celle de l’Union européenne, il est nécessaire que les huit États membres qui n’ont pas encore ratifié le Protocole le fassent ;
Considérant enfin que la mise en œuvre du Protocole de l’Organisation Mondiale de la Santé est une exigence commune des associations de santé publique et des buralistes ;
Invite le Gouvernement à prendre l’initiative de plaider au niveau européen, en amont de l’élaboration de la prochaine directive européenne sur les produits du tabac, l’application pleine et entière du Protocole de l’Organisation mondiale de santé afin que soient mis en place des quotas de livraison de tabac par pays, fondés sur la consommation domestique ;
Affirme dans un souci d’efficacité de notre politique de lutte contre le tabagisme, en général, et contre le commerce illicite du tabac, en particulier, l’impérieuse nécessité de renforcer les contrôles de la chaîne logistique à travers l’instauration d’un système de suivi et de traçabilité indépendant.
([1]) Programme national de réduction du tabagisme (2014-2019), Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, 25 septembre 2014
([2]) Arrêté du 15 avril 2010 relatif aux modalités d'inscription des avertissements de caractère sanitaire sur les unités de conditionnement des produits du tabac
([3]) Décret n° 2010-545 du 25 mai 2010 relatif aux sanctions prévues pour la vente et l'offre de produits du tabac
([4]) Programme national de lutte contre le tabac (2023 – 2027), Ministère de la Santé et de la Prévention, 28 novembre 2023
([5]) Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n°9-10 Journée mondiale sans tabac, 31 mai 2023
([6]) Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Enquêtes Escapad
([7]) Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Le coût social des drogues : estimation en France en 2019, 1er juillet 2023
([8]) Rapport d’information relative à l’évolution de la consommation de tabac et du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac pendant le confinement et aux enseignements pouvant en être tirés (M. Éric Woerth et Mme Zivka Park), 29 septembre 2021
([9]) Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), L’approvisionnement en tabac des fumeurs en France, 2014-2022, 31 mai 2024
([10]) Rapport KPMG France, Consommation de cigarettes de Contrefaçon & Contrebande (C&C) et consommation totale, 24 juin 2021
([11]) Bilan annuel de la Douane pour 2022, 24 mai 2023
([12]) Édition pour 2020 du rapport KPMG sur l’état du commerce illicite des cigarettes dans l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Norvège et la Suisse