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N° 971
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Delphine BATHO, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’année 2025 s’annonce comme celle des records en matière de plans sociaux.
Depuis plusieurs mois déjà notre pays est confronté à une vague massive de plans de licenciements qui se succèdent à un rythme effréné, détruisant et menaçant des milliers d’emplois partout en France.
Les données chiffrées publiées par le ministère du travail sont révélatrices des difficultés du moment : au bout des trois premiers trimestres de 2024, on recensait déjà autant de Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) validés ou homologués par l’autorité administrative que sur l’ensemble de l’année 2023. Entre ces deux années, le nombre de PSE mis en œuvre a augmenté de 40 % et le nombre de ruptures de contrat de travail qui en a résulté de 50 %.
C’est un désastre.
À titre d’exemple, en novembre dernier, le distributeur Auchan annonçait la suppression de 2 389 postes quasiment en même temps que l’annonce de la fermeture de deux sites de production par le Groupe Michelin menace 1 254 salariés et que le plan de restructuration dévoilé par Valéo prévoit la suppression de 868 postes en France.
Au total, près de 250 plans de licenciements seraient en préparation selon la Confédération générale du travail (CGT), menaçant près de 300 000 emplois en France.
Aucun secteur n’est épargné.
Des multinationales emblématiques, de Bridgestone à Béthune en 2021 à Valdunes en 2024, en passant par Danone et Sanofi, ferment des sites ou suppriment des postes tout en enregistrant des bénéfices records.
Ces décisions, prises sans scrupule, sont d’autant plus révoltantes qu’elles concernent souvent des entreprises ayant bénéficié d’importantes aides publiques. Pourtant, l’État semble incapable d’imposer des contreparties suffisantes aux multinationales qui reçoivent ces financements. Loin de servir l’emploi et la compétitivité, ces aides entretiennent une logique spéculative qui enrichit les actionnaires tout en détruisant le tissu industriel national
Cette situation est le résultat de choix politiques et économiques menés depuis des décennies au nom de la compétitivité et de l’attractivité économique. Depuis 2016, les réformes successives du marché du travail ont favorisé une flexibilité accrue des licenciements et une précarisation du salariat. Le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) transformé en exonérations de cotisations et les réformes de l’assurance chômage ont contribué à affaiblir le pouvoir des travailleurs et à transférer encore davantage de richesses vers les actionnaires. Pourtant, loin d’investir dans l’emploi et l’innovation, ces entreprises profitent de la faiblesse des régulations pour maximiser les dividendes et délocaliser leurs activités. Face à ce constat, il nous semble pertinent d’ouvrir une enquête parlementaire pour identifier les responsabilités des pouvoirs publics dans cette faillite sociale et économique et proposer des réformes structurelles pour protéger les emplois et réindustrialiser la France
Des licenciements massifs malgré des aides publiques et des bénéfices records.
Un véritable scandale social et économique se déroule sous nos yeux : les plus grandes entreprises, tout en percevant des aides publiques massives, continuent de supprimer des emplois, de délocaliser leurs productions et de faire exploser les dividendes de leurs actionnaires. En 2023, TotalEnergies a enregistré 19,5 milliards d’euros de bénéfices, tout en réduisant ses effectifs en France et en augmentant les dividendes versés aux actionnaires. Sanofi, malgré 8 milliards d’euros de profits et plus de 4 milliards d’euros distribués aux actionnaires, a supprimé 1 000 emplois en France. Danone, après avoir bénéficié de subventions et d’allègements fiscaux, a licencié 1 500 personnes en 2022
Ces pratiques sont rendues possibles par l’absence de conditions imposées aux entreprises bénéficiant d’aides publiques. Chaque année, l’État et les collectivités locales distribuent plus de 160 milliards d’euros d’aides aux entreprises sous différentes formes : crédits d’impôt, exonérations de cotisations, subventions directes. Pourtant, ces fonds ne sont ni contrôlés ni conditionnés à des engagements clairs en matière d’emploi et d’investissement en France. Le CICE, mis en place en 2013 et prolongé par M. Emmanuel Macron, a coûté plus de 100 milliards d’euros, sans avoir prouvé son efficacité en matière de création d’emplois
Les lois et réformes économiques menées depuis 2016 ont accentué cette logique. La loi Pacte, en assouplissant encore les obligations des entreprises, a facilité la spéculation financière au détriment du développement industriel. Les réformes successives du code du travail, notamment les ordonnances Macron de 2017, ont permis aux employeurs de licencier plus facilement, en plafonnant les indemnités prud’homales et en limitant les recours juridiques des salariésRésultat : des entreprises qui reçoivent de l’argent public au prétexte de soutenir l’emploi finissent par détruire des milliers de postes sans conséquences. Une commission d’enquête doit impérativement analyser ces dérives et proposer des mesures pour mettre fin à cette logique de subventionnement sans contrôle
Une menace pour l’économie et la cohésion sociale dans un contexte de guerre commerciale mondiale.
Dans un contexte de compétition économique internationale exacerbée, la France ne peut se permettre de laisser partir ses industries et de laisser détruire ses emplois sans réagir. Alors que les États‑Unis s’orientent vers une guerre commerciale agressive, et que la Chine continue de renforcer son industrie avec des politiques publiques stratégiques, la France semble accepter passivement la désindustrialisation. En 30 ans, la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) français est passée de 20 % à moins de 10 %, contre 24 % en Allemagne
L’impact social de cette situation est dramatique. Le taux de chômage, bien que masqué par la précarisation de l’emploi (explosion des contrats à durée déterminée (CDD) courts, des autoentrepreneurs contraints, des contrats précaires), touche plus de 7 % de la population active. La pauvreté atteint 15 %, avec une hausse alarmante du nombre de travailleurs pauvres. La fermeture d’usines ou la suppression d’emplois dans des secteurs clés condamne des territoires entiers à la désertification économique. À cela s’ajoute un coût financier immense pour l’État, qui doit compenser ces pertes d’emplois par des aides sociales et des allocations chômage, aggravant le déficit public
Alors que le gouvernement justifie les réductions de dépenses publiques par la nécessité de “réduire les déficits”, il continue d’injecter des milliards dans des entreprises qui ne respectent aucun engagement. À l’heure où chaque euro public compte, il est inconcevable de maintenir ce modèle inefficace et injuste. Il conviendra de proposer des solutions pour que l’argent public soit utilisé au service de la relocalisation, de la transition écologique et du renforcement de l’industrie française, et non au service des dividendes des multinationales
Un échec des politiques menées depuis des décennies
Depuis plus de 30 ans, la politique économique française repose sur une croyance aveugle dans le marché et dans la nécessité d’alléger les cotisations des entreprises pour améliorer leur compétitivité. Pourtant, les résultats sont catastrophiques : désindustrialisation, chômage massif, explosion des inégalités. Les réformes du marché du travail menées depuis 2017 ont encore aggravé la situation
Les ordonnances Macron de 2017, en limitant les indemnités prud’homales et en facilitant les licenciements, ont renforcé la précarité. La suppression de l’ISF, censée encourager l’investissement productif, n’a eu aucun effet mesurable sur l’économie réelle. La transformation du CICE en exonérations de cotisations sociales a coûté 20 milliards d’euros par an, sans contrepartie en matière d’emploi
Loin de redresser l’économie, ces politiques ont accéléré la destruction du modèle social français et la dépendance du pays aux importations. Il est urgent de remettre en cause ces choix et de repenser en profondeur l’intervention de l’État dans l’économie pour protéger l’intérêt général
Une défaillance des pouvoirs publics qui appelle une réponse forte
L’inaction des pouvoirs publics face à la multiplication des plans sociaux est une véritable trahison de notre pacte républicain. L’État se contente d’accompagner la casse sociale au lieu de la prévenir. Il est temps de réarmer la puissance publique pour qu’elle ne soit plus un simple spectateur du désastre, mais un acteur central de la politique industrielle et économique
Cette commission d’enquête devra analyser les responsabilités politiques dans cette situation et proposer des mesures pour reconstruire un modèle économique où l’intérêt général prime sur la rentabilité à court terme, pour protéger les emplois, les territoires et le bon usage des aides versées aux entreprises. La France a les moyens d’agir, mais elle doit en avoir la volonté
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête composée de trente membres chargée :
– d’identifier les défaillances des pouvoirs publics dans la gestion des plans de sauvegarde de l’emploi ;
– d’étudier les dysfonctionnements des politiques publiques en matière d'économie et de dialogue social, l’affaiblissement du pouvoir des salariés, et l'impact des réformes successives en matière de droit du travail ou d’assurance chômage ces dernières décennies et notamment depuis 2017 sur la multiplication des plans de sauvegarde de l’emploi ;
– d’examiner la responsabilité des pouvoirs publics dans l’abandon de notre système productif, entraînant ainsi des conséquences sociales, sur l'emploi et pour la vitalité de nombreux territoires.