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N° 1000
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 février 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête sur les ingérences politiques de l’organisation ELNET France et ses tentatives d’influence sur les membres de Gouvernement et parlementaires français,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Thomas PORTES, M. Aymeric CARON, Mme Mathilde PANOT, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plusieurs années, l’organisation ELNET (European Leadership Network) s’emploie à influencer les parlementaires français par des méthodes inacceptables.
Depuis 2017, des élus français, en majorité issus des bancs de Renaissance et des Républicains, ont participé à des voyages en Israël entièrement pris en charge par ELNET. Ces déplacements, accompagnés de divers cadeaux et privilèges, visent à modeler les prises de position de ces élus en faveur du Gouvernement d’extrême droite israélien.
Créée en 2010, la branche française d’ELNET – qui dispose également d’antennes en Belgique, au Royaume‑Uni, en Allemagne ou en Italie – est installée à proximité immédiate de l’Assemblée nationale (rue Saint‑Dominique) et revendique avoir organisé près de 400 délégations, visites et événements impliquant plus de 6 500 intervenants.
ELNET affiche un objectif de « renforcement du dialogue diplomatique et stratégique entre la France et Israël ».
Se définissant comme un « think tank du dialogue stratégique entre la France et Israël », ELNET assure se contenter de promouvoir « la démocratie, la liberté, la justice et la paix » de manière « indépendante » et « apolitique ».
Derrière cette prétendue vocation apolitique se dissimule une orientation clairement alignée sur les positions de l’actuel gouvernement israélien, dirigé par une coalition d’extrême droite et dont la politique est condamnée au plus haut sommet des juridictions internationales.
Les prises de position publiques de son directeur exécutif, notamment sur Radio J où il tient une chronique ou sur CNEWS, trahissent un alignement évident avec l’extrême droite israélienne, soutenant les actions génocidaires de Tsahal à Gaza, multipliant les déclarations qui cautionnent et encouragent le génocide des palestiniens.
Ainsi, le 7 décembre 2023, à l’antenne de Radio J, le directeur exécutif d’ELNET faisait de l’apologie de crime de guerre et de crime contre l’humanité, à travers un raisonnement visant à assimiler Gaza à l’Allemagne nazie et à abolir la distinction entre civils et combattants, reprenant à son compte une fausse citation selon laquelle un ancien Premier ministre du Royaume Uni aurait justifié les bombardements de 1945 de Dresde, Hambourg ou encore Berlin, en affirmant qu’il n’y avait « pas d’innocents parmi les Allemands ».
Il y affirmait : « Les Palestiniens civils que l’on nous dit innocents, mais nous le savons, ils ne le sont pas tous, innocents […]. Personne ne peut imaginer, [que] les nazis aient pu faire tout ce qu’ils ont fait pendant tellement d’années sans que […] tout ou partie du peuple ait été complice. C’est la même chose pour les Palestiniens de Gaza […]. Nous avons affaire à une société de barbares qui a commis le pire des crimes et ils en portent, d’une certaine manière, une forme de responsabilité collective […]. Mais à partir du moment où toute la bande de Gaza est devenue un espace militarisé, dédié, dévoué au combat contre Israël et aux actions terroristes contre Israël, toute la bande de Gaza est un territoire légitime pour l’action militaire. […] Où sont les infrastructures civiles à Gaza puisque le Hamas est partout ? […] Tous les médecins, tous les journalistes, tous les humanitaires, tous les fonctionnaires des organisations internationales qui vivent à Gaza sont des agents du Hamas. Tous ! ».
Alors que de multiples observateurs internationaux indépendants et organisations de premier plan telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch et Médecins sans frontières, ont rigoureusement documenté ce qu’ils qualifient de crime de génocide perpétré par les autorités israéliennes contre la population palestinienne de Gaza, le directeur d’ELNET France ne fait aucun mystère de son soutien inconditionnel aux actions du gouvernement d’extrême droite israélien.
Profondément outré par les mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre le Premier ministre israélien et son ancien ministre de la Défense, le directeur exécutif d’ELNET a publié, le 21 novembre 2024, un post dont la teneur est sans ambiguïté : « En délivrant un mandat d’arrêt international […], le Procureur Général […] a planté le dernier clou dans le cercueil de la Cour pénale internationale. Ce jour restera gravé dans la mémoire de l’humanité, comme le jour qui a vu l’effondrement moral et la faillite du système judiciaire international hérité de la seconde guerre mondiale et de l’ONU. […]. Mais le monde peut dormir tranquille, Israël et les États‑Unis, seuls contre tous s’il le faut, continueront à mener le combat pour la démocratie, la liberté et les valeurs de la civilisation occidentale. ».
Quelques semaines plus tard, le 29 décembre 2024, le média Médiapart publiait une enquête édifiante intitulée « ELNET, un agent d’influence pro‑Israël au cœur du Parlement ». Cet article dévoile avec précision les mécanismes d’influence exercés par ELNET au sein du Parlement français, jetant une lumière crue sur les collusions entre intérêts diplomatiques étrangers et représentants nationaux.
Depuis 2017, il apparaît qu’ELNET a organisé 55 voyages pour des députés et 46 pour des sénateurs, des séjours entièrement financés par l’organisation, pour un coût de 4 000 euros par participant. En tout, ces initiatives représentent 101 des 666 déplacements déclarés par les parlementaires français sur cette période, soit plus de 15 %. ELNET s’impose ainsi comme étant de loin le principal acteur d’influence utilisant les voyages de parlementaires comme levier.
L’immense majorité de ces voyages profite à des élus issus de la droite et du centre, à qui sont proposées des rencontres dites « de haut niveau » avec des intellectuels, des ambassadeurs ou des officiers de Tsahal, mais aussi des visites de la Knesset ou encore de bases militaires situées à proximité des frontières palestiniennes. Cependant, certains députés ont refusé les sollicitations d’ELNET, invoquant des considérations éthiques ou exprimant leur crainte face à d’éventuelles ingérences.
Depuis le 7 octobre 2023, l’organisation a intensifié ses efforts. Dès la mi‑octobre, elle organisait un déplacement pour dix députés des groupes LR et Renaissance, accompagnés de l’actuel ministre des Outre‑mer. Ce groupe a été conduit sur la base militaire de Shurah, au sud de Tel‑Aviv, où se trouvaient les dépouilles de 300 victimes encore non identifiées. Ils y ont rencontré des familles d’otages et des survivants hospitalisés à Ichilov. ELNET justifiait ce voyage en ces termes : « Alors que l’attention médiatique se tourne vers les images de destructions à Gaza, il est encore plus critique pour les décideurs européens de voir la réalité sur le terrain du point de vue israélien afin de contribuer à maintenir le soutien nécessaire de la part des alliés européens clés. ».
En janvier 2024, alors que le nombre de morts à Gaza avoisinait les 25 000, ELNET organisait une nouvelle délégation, cette fois composée de 22 sénateurs et sénatrices ou encore de l’actuelle ministre déléguée chargée de la Ruralité. À leur retour, ces élus signaient une tribune dans laquelle ils déclaraient : « Ce voyage a renforcé notre attachement à la société israélienne et notre conviction profonde qu’Israël […] est à l’avant‑garde d’une guerre de la civilisation contre la barbarie. ».
Parmi les participants réguliers aux activités organisées par ELNET, on compte l’actuel ministre délégué chargé de l’Europe ainsi que des élus et anciens élus qui adoptent et diffusent sans réserve la rhétorique du « droit d’Israël à se défendre », se positionnant systématiquement en faveur du gouvernement d’extrême droite israélien, y compris face aux critiques internationales portant sur le génocide en cours à Gaza. En novembre 2023, alors que le bilan humain à Gaza dépassait les 9 000 morts et que des experts onusiens alertaient sur le « grave risque de génocide » encouru par le peuple palestinien, l’actuel Ministre délégué chargé de l’Europe s’était opposé à un cessez‑le‑feu, qualifiant l’offensive israélienne à Gaza de « légitime ». Cette posture, conjuguée à sa proximité avec ELNET, soulève des interrogations sur l’orientation politique donnée à ses fonctions ministérielles, d’autant plus qu’elle s’écarte de la position traditionnelle de la France sur le Proche‑Orient, trahissant une inclination favorable au gouvernement d’extrême droite israélien qui se manifeste au sein d’une partie de la majorité présidentielle.
L’influence d’ELNET ne se limite pas à ce soutien idéologique. Cette organisation s’emploie également à s’immiscer directement dans la vie démocratique française, allant jusqu’à tenter de faire sanctionner des députés en désaccord avec ses positions. Ainsi, le 15 octobre 2024, un courrier était adressé par ELNET à la présidente de l’Assemblée nationale, pour demander des sanctions contre un député apparenté au groupe parlementaire La France insoumise – Nouveau Front Populaire. Ce courrier, envoyé en copie au président du Sénat et aux présidents des principaux partis politiques, témoigne comment ce groupe d’influence cherche à restreindre la liberté d’expression des élus de la Nation et des voix qui condamnent le génocide palestinien.
Par ailleurs, il convient de noter que l’association ELNET n’a été inscrite que très récemment sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Cette inscription tardive soulève des questions fondamentales sur l’absence de contrôle exercé jusqu’alors. Bien que la loi Sapin II de 2016 oblige les représentants d’intérêts à se déclarer auprès de la HATVP, il aura fallu huit années à ELNET pour se conformer à cette exigence.
L’influence croissante exercée par ELNET au sein du Parlement français reflète une montée en puissance des pratiques de lobbying en faveur de l’extrême droite israélienne dans les sphères politiques nationales. Cette situation soulève des interrogations majeures quant à l’indépendance de certains parlementaires français et appelle à une évaluation approfondie.
– Depuis 2014 et l’adoption de la résolution visant à reconnaître l’État de Palestine, les voix de la paix au sein des Parlements français tendent à être restreintes dans leur liberté d’expression. Plusieurs événements récents sont particulièrement préoccupants :
– La démission, en mai 2023, de l’ancien président du GEVI France‑Palestine, empêché de s’exprimer lors d’un débat sur « l’apartheid », témoigne d’une volonté manifeste de museler toute critique de la politique israélienne.
– Le soutien inconditionnel au gouvernement d’extrême droite israélien exprimé en octobre 2023, représente un tournant historique défavorable aux droits des Palestiniens.
– Une proposition de loi visant à restreindre toute critique d’Israël a été déposée, poursuivant la logique de la résolution adoptée en 2019, qui assimilait systématiquement l’antisionisme à l’antisémitisme.
Face à ces dérives inquiétantes et à l’impact manifeste des pratiques de lobbying, il devient impératif d’identifier précisément les mécanismes d’ingérence exercés par ELNET et, le cas échéant, de les limiter.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête composée de trente membres. Cette commission sera chargée de recueillir tous les éléments relatifs aux activités de l’organisation non gouvernementale ELNET France afin de déterminer dans quelle mesure ce réseau influence la vie parlementaire française et aligne les positions des parlementaires sur la politique génocidaire et d’extrême droite du régime israélien.
La commission devra émettre des recommandations pour éliminer les ingérences constatées et établir des mécanismes permettant de prévenir et d’éviter de telles dérives à l’avenir.
[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.