N° 1039
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
appelant à l’organisation d’une conférence nationale sur l’autonomie financière et les marges de manœuvre fiscales des collectivités territoriales,
présentée par
Mme Christine ARRIGHI,
députée.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plus de quarante ans, les lois de décentralisation ([1]) ont confié aux collectivités territoriales un rôle essentiel dans la mise en œuvre des politiques publiques, qu’elles soient sociales, économiques ou écologiques. De la gestion des infrastructures locales à la transition écologique, en passant par l’éducation et le logement, les compétences des collectivités n’ont cessé de s’étendre. Elles sont par conséquent en première ligne pour répondre aux attentes citoyennes et perçues par les Français comme l’échelon le plus à même de répondre à leurs attentes ([2]).
Cependant, cette décentralisation ne s’est pas toujours accompagnée des moyens financiers nécessaires à l’exercice de leurs missions. En effet, malgré l’élargissement de leurs compétences, les collectivités font face à une réduction progressive de leurs ressources fiscales ([3]) bien que leur autonomie financière ait progressé ces dernières années comme le montre le graphique ci‑dessous.
Source : Graphique réalisé par nos soins sur la base des informations du rapport 2024 du Gouvernement au Parlement pris en application de l’article 5 de la loi organique n° 2004‑758 du 29 juillet 2004 et relatif à l’autonomie financière des collectivités territoriales.
Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, garanti par l’article 72 de la Constitution, a pour corollaire leur autonomie financière prévue à l’article 72‑2 de la Constitution. Bien que la loi ne reconnaisse qu’une autonomie financière des collectivités et non une autonomie fiscale, l’autonomie financière est définie en se basant sur une acception large de la notion de ressources propres qui inclut des recettes fiscales. En ce sens, la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l’article 72‑2 de la Constitution relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales définit à l’article 3 ([4]) les ressources propres locales comme le « produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l’assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d’assiette ». Cette loi reconnaît des capacités fiscales aux collectivités à travers les impositions dont elles fixent l’assiette ou le taux. Elle encadre également les impôts partagés entre l’État et les collectivités, à condition que leur répartition maintienne un lien direct avec ces dernières. Les ressources propres, incluent par conséquent les ressources fiscales sur lesquelles les collectivités ont un certain pouvoir.
Par ailleurs, la part des ressources propres sur les ressources totales doit être déterminante conformément à l’article 72‑2 alinéa 3 de la Constitution qui précise que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre ». À cet égard, le dernier alinéa de l’article LO 1114‑3 ([5]) qui précise le ratio minimal de ressources propres permettant de considérer que celles‑ci constituent une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources dispose : « Pour chaque catégorie, la part des ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l’année 2003 », considérée comme l’année de référence, soit 60,8 % pour le bloc communal, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions ([6]).
Par conséquent, le ratio des ressources propres de chaque catégorie ne saurait tomber, pour une année donnée, en dessous de ces seuils. Or, cette définition est antérieure aux réformes de la fiscalité locale intervenue depuis lors. Il en résulte que même si le ratio d’autonomie financière a augmenté depuis 2003 ([7]), cette progression, comme le souligne la Cour des comptes, « ne rend pas compte de la perception des élus locaux d’une perte de maitrise de leurs ressources en raison de la part croissante de la fiscalité nationale au sein de leurs ressources propres » ([8]). La dépendance aux dotations et à la fiscalité nationale transférée a d’ailleurs été qualifiée par le président du Comité des finances locales André Laignel, lors de son audition au Sénat dans le cadre des travaux de la mission d’information sur l’impact des décisions réglementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités territoriales comme « la forme la plus vicieuse de tutelle » ([9]). Ces évolutions traduisent une forme de recentralisation des décisions budgétaires qui place les collectivités dans une situation de dépendance préoccupante vis‑à‑vis des choix financiers de l’État. Cette situation va à l’encontre de l’esprit de l’article 72‑2 de la Constitution, qui garantit aux collectivités territoriales une autonomie financière reposant sur des ressources propres et pérennes.
Une autre mesure vient davantage tarir les ressources fiscales des collectivités. Il s’agit des exonérations décidées par l’État, et qui ne sont que partiellement compensées via des prélèvements sur recettes. Ces compensations, déjà insuffisantes, diminuent progressivement, élargissant ainsi l’écart entre les montants exonérés et les sommes perçues par les collectivités au titre de la compensation. En conséquence, ces dernières doivent assumer une baisse significative de leurs recettes et financer, en partie, les allègements fiscaux accordés par l’État. Au titre de l’année 2022, cela a engendré un reste à charge de 1,85 milliard d’euros pour les communes et 220 millions d’euros pour leurs groupements ([10]).
À ces pertes de ressources s’ajoutent des charges croissantes qui alourdissent les budgets locaux. L’inflation, le vieillissement démographique, la précarité croissante de la population, l’augmentation progressive ([11]) du taux de contribution employeur à la CNRACL ([12]) et les exigences liées à la transition écologique ont entraîné une augmentation continue des dépenses d’intervention sociale et de fonctionnement. Ainsi, alors même que les collectivités territoriales sont censées être des acteurs clés de la transition écologique – à travers la rénovation énergétique des bâtiments, le développement des transports en commun ou encore la gestion de l’eau et des déchets – elles peinent à assumer ces responsabilités faute de moyens financiers suffisants.
Par ailleurs, les inégalités entre collectivités se creusent. Certains départements, en raison de la moindre dynamique des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ([13]) et de leur faible marge de manœuvre fiscale, se trouvent dans une situation critique, au point que plusieurs exécutifs départementaux évoquent un risque d’effondrement budgétaire imminent.
Source : Graphique réalisé par nos soins sur la base des informations contenues dans le bulletin d’information statistique n° 190 de la Direction générale des collectivités locales paru en novembre 2024.
Dans ce contexte, les mécanismes de péréquation, bien que nécessaires, apparaissent insuffisants et parfois opaques, renforçant ainsi les tensions entre territoires riches et pauvres. Les réformes successives de la fiscalité locale ont modifié en profondeur la prévisibilité des finances des collectivités territoriales, notamment sur les aspects touchant aux marges de manœuvre fiscales. L’insécurité financière demeure, avec la disparition d’impôts locaux et les insuffisantes compensations financières des décisions de l’État.
Afin de rétablir la confiance entre les collectivités territoriales et l’État, la présente proposition de résolution invite le Gouvernement à organiser une Conférence nationale sur l’autonomie financière et les marges de manœuvres fiscales des collectivités territoriales afin d’examiner les voies de renforcement de leurs ressources propres pour renforcer l’autonomie financière et fiscale locales.
– 1 –
proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 1er de la Constitution,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 72 de la Constitution,
Vu l’article 72‑2 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la loi organique n° 2004‑758 du 29 juillet 2004 relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales, précisant le cadre de l’autonomie financière locale en conformité avec l’article 72‑2 de la Constitution,
Vu la loi n° 2010‑1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, qui modifie l’organisation territoriale et redéfinit les compétences des collectivités,
Vu la loi n° 2015‑991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, renforçant le rôle des régions et des intercommunalités en matière de développement économique et d’aménagement du territoire,
Vu la loi n° 2019‑828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui impacte l’organisation budgétaire et financière des collectivités territoriales,
Vu la loi n° 2022‑217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, qui consacre de nouveaux transferts de compétences aux collectivités territoriales et interroge leurs moyens financiers, ;
Vu l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui encadre les aides d’État et les politiques fiscales locales dans le respect du droit de la concurrence,
Vu la Charte européenne de l’autonomie locale du 15 octobre 1985, ratifiée par la France, qui établit en son article 9 les principes fondamentaux de l’autonomie financière des collectivités territoriales,
Vu le rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques locales pour 2023, soulignant les risques liés à la réduction des marges de manœuvre budgétaires des collectivités,
Vu le rapport d’information du Sénat fait au nom de la mission d’information sur les relations entre l’État et les collectivités territoriales, publié en 2023, portant sur l’évolution des finances locales et la nécessité d’un renforcement des ressources propres des collectivités territoriales,
Vu les recommandations du Conseil économique, social et environnemental sur l’adaptation du financement des collectivités territoriales aux enjeux de la transition écologique et numérique,
Considérant que les collectivités territoriales jouent un rôle fondamental dans l’aménagement du territoire, le développement économique, l’éducation, la transition écologique et la gestion des services publics locaux ;
Considérant que réformes successives de la fiscalité locale ont conduit à une réduction de l’autonomie financière des collectivités territoriales, posant la question de la soutenabilité de leurs finances et de leur capacité d’investissement ;
Considérant que l’article 72‑2 de la Constitution garantit aux collectivités territoriales des ressources propres, dont la définition et l’évolution nécessitent une réflexion approfondie dans un contexte de tensions budgétaires croissantes ;
Considérant que les mécanismes de dotations de l’État et les dispositifs de péréquation financière doivent être repensés afin d’assurer une répartition adaptée des ressources entre collectivités, en prenant en compte les disparités territoriales et les enjeux de justice fiscale ;
Considérant que la transition écologique, la transition numérique et les nouveaux défis économiques imposent aux collectivités d’adapter leurs stratégies budgétaires et de disposer de marges de manœuvre fiscales suffisantes pour financer les infrastructures et services nécessaires aux citoyens ;
1. Appelle à l’organisation d’une Conférence nationale sur l’autonomie financière et les marges de manœuvre fiscales des collectivités territoriales, réunissant les membres du Gouvernement, les élus des collectivités locales, les représentants des intercommunalités, les parlementaires, les experts en finances publiques et les partenaires économiques et sociaux, afin de dresser un état des lieux des finances locales et d’explorer des pistes d’évolution.
2. Salue les initiatives de concertation déjà engagées par certaines associations d’élus et invite à leur intégration dans les travaux de la Conférence nationale, afin d’assurer une prise en compte exhaustive des préoccupations locales.
3. Invite le Gouvernement à engager une réflexion approfondie sur la redéfinition des ressources propres des collectivités territoriales, en tenant compte des principes constitutionnels, des exigences européennes et des besoins des territoires.
4. Souligne l’importance d’une prise en compte des enjeux de transition écologique et numérique dans la réflexion sur l’autonomie financière et les marges de manœuvre fiscales locales, afin que les collectivités puissent mobiliser des financements adaptés pour répondre aux défis climatiques et technologiques.
5. Encourage l’exploration de nouvelles sources de financement innovantes, notamment en lien avec la fiscalité environnementale, la fiscalité numérique et les contributions territoriales adaptées aux nouveaux modèles économiques.
6. Demande que la question de l’autonomie fiscale des collectivités territoriales soit inscrite à l’ordre du jour des travaux de la Conférence nationale, afin de garantir un examen approfondi des différentes orientations envisageables et d’évaluer leur pertinence.
7. Soutient la mise en place d’un dispositif de péréquation renforcé, permettant d’assurer une répartition plus juste des ressources entre collectivités, en tenant compte des inégalités de richesse et de charges pesant sur les territoires.
8. Recommande une meilleure articulation entre les financements nationaux et européens, afin de maximiser l’effet de levier des fonds structurels européens et d’assurer aux collectivités des moyens d’action accrus pour la réalisation de leurs projets stratégiques.
9. Suggère que les conclusions de cette Conférence nationale donnent lieu à des propositions législatives, afin de garantir une réforme structurelle et durable du financement des collectivités territoriales.
([1]) Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ; loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État ; loi constitutionnelle du 28 mars 2003 ; loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ; loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales ; loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles ; loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ; loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
([2]) Observatoire du Parlement, enquête réalisée par Harris Interactive, novembre 2024, pp 5 à 6.
([3]) La suppression de la taxe professionnelle, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, le projet de suppression de la CVAE.
([4]) Article LO 1114-2 du Code général des collectivités territoriales, issu de l’article 3 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
([6]) Voir graphique précédent.
([7]) Op cit.
([8]) Cour des comptes, Le financement des collectivités territoriales : les scénarios d’évolution, octobre 2022, p 7.
([9]) Rapport de la mission d’information du Sénat sur l’impact des décisions réglementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités locales, 13 juin 2023, p 114.
([10]) Op cit, pp 116 à 117.
([11]) Décret n° 2025-86 du 30 janvier 2025 relatif au taux de cotisations vieillesse des employeurs des agents affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales.
([12]) La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) est le régime spécial de la sécurité sociale chargé de l'assurance vieillesse des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Elle fut créée par l’ordonnance n° 45-993 du 17 mai 1945 relative aux services publics des départements et communes et de leurs établissements publics.
([13]) Les droits de mutation à titre onéreux sont des droits d’enregistrement perçus par l'État et les collectivités locales lors du transfert de propriété d’un bien immobilier, d’un fonds de commerce ou de certains droits sociaux, moyennant un prix. Ils constituent une ressource essentielle pour le financement des collectivités locales. Voir les articles 683, 1584 et 1595 bis du Code général des impôts.