– 1 –

N° 1052

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à engager des mesures urgentes pour répondre à la crise du secteur de la psychiatrie et de la santé mentale,

 

présentée par

Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Hendrik DAVI, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Pouria AMIRSHAHI, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, M. Damien GIRARD, Mme Julie LAERNOES, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Boris TAVERNIER, Mme Dominique VOYNET, Mme Clémentine AUTAIN, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, M. Laurent ALEXANDRE, Mme Géraldine BANNIER, Mme Béatrice BELLAMY, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Michel CASTELLANI, Mme Gabrielle CATHALA, M. Jean-François COULOMME, M. Pierrick COURBON, Mme Sylvie DEZARNAUD, Mme Stella DUPONT, M. Philippe FAIT, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Justine GRUET, Mme Mathilde HIGNET, M. Sacha HOULIÉ, Mme Sandrine JOSSO, M. Abdelkader LAHMAR, Mme Christine LE NABOUR, Mme Karine LEBON, Mme Élise LEBOUCHER, M. Guillaume LEPERS, Mme Delphine LINGEMANN, M. Frédéric MAILLOT, Mme Graziella MELCHIOR, Mme Laure MILLER, Mme Joséphine MISSOFFE, Mme Sandrine NOSBÉ, M. Jérémie PATRIER-LEITUS, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Maud PETIT, Mme Béatrice PIRON, Mme Natalia POUZYREFF, M. Nicolas RAY, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Marie-Pierre RIXAIN, Mme Anne-Sophie RONCERET, Mme Claudia ROUAUX, Mme Sandrine RUNEL, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Charles SITZENSTUHL, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, M. Frédéric VALLETOUX, Mme Annie VIDAL, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Stéphane VIRY, les membres du groupe Gauche Démocrate et Républicaine [(1)], M. Jean-Marie FIÉVET, M. Moerani FRÉBAULT,

députées et députés.

 


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La psychiatrie en France est en état d’urgence. La prévalence des troubles anxieux, des dépressions, ou encore des addictions n’a cessé de croître, notamment sous l’effet des crises sanitaires, sociales et économiques récentes. Un Français sur cinq est concerné par un trouble psychique, soit treize millions de personnes. Hommes, femmes, en activité professionnelle ou non, jeunes, personnes âgées… toutes catégories sociales confondues, les études montrent aujourd’hui que toutes les personnes peuvent être touchées

Face à une explosion des troubles psychiques, notamment chez les jeunes, le système de soins peine à répondre aux besoins croissants de la population. La prévalence des épisodes dépressifs chez les 18‑24 ans a bondi de 77 % en quatre ans, tandis que les hospitalisations pour gestes auto‑infligés chez les jeunes femmes de 10 à 19 ans ont augmenté de 133 % depuis 2020. Parallèlement, ces quinze dernières années, la psychiatrie publique a été marquée par la suppression de 7 000 lits, laissant les services d’urgences submergés et incapables d’assurer une prise en charge adaptée.

La diminution des capacités d’accueil dans le public contraste avec la hausse croissante de la demande. En effet, plus de 80 % des prises en charge en urgence psychiatrique sont assurées par le service public. Alors que les hôpitaux publics font face à un manque de moyens et à des fermetures de lits, le secteur privé lucratif se développe, prenant en charge 26 % des hospitalisations psychiatriques et affichant des niveaux de rentabilité élevés. Dans un contexte où la psychiatrie représente le premier poste de dépenses de l’Assurance maladie (26,2 milliards d’euros soit 14 % de ses dépenses) et où les troubles psychiques constituent la première cause d’arrêt de travail prolongé, il est essentiel de s’interroger sur l’équilibre entre service public et logique économique afin de garantir un accès aux soins équitable pour tous. 

La crise de la psychiatrie met en lumière la nécessité de repenser les sources de financement du secteur. Le mode de financement historique de la psychiatrie, marqué par des inégalités, a fait l’objet d’une réforme qui prendra effet en 2026. Bien que cette réforme vise à renforcer l’équité entre les territoires et les établissements, elle suscite des inquiétudes et nécessitera une surveillance attentive pour en mesurer les répercussions. 

Du point de vue des moyens humains, bien que la France dispose d’une densité de psychiatres parmi les plus élevées d’Europe, sa démographie ne permet toujours pas de répondre de manière adéquate aux besoins. En réalité, l’augmentation apparente des effectifs de psychiatres (+0,21 % entre 2010 et 2023) cache une réalité plus complexe, liée en grande partie à un recours accru aux retraités actifs (+345 %), aux intermittents et aux médecins étrangers. En 2023, 13,6 % des psychiatres en activité étaient des retraités en activité, contre seulement 3,7 % en 2010.

De plus, les disparités territoriales en matière de psychiatrie continuent de se creuser, souvent sans corrélation avec la densité de population. Le renouvellement générationnel est devenu un enjeu crucial face aux départs massifs à la retraite attendus d’ici 2030. Les jeunes psychiatres, quant à eux, se détournent de l’exercice libéral pour privilégier un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, ce qui complique davantage l’avenir de cette spécialité.

La pédopsychiatrie, qui se trouve à l’intersection de deux secteurs particulièrement vulnérables, celui de la psychiatrie et celui de l’enfance, traverse également une crise profonde. Le système de soins pédopsychiatriques fait face à des carences criantes, alors même que les troubles psychiques chez les jeunes connaissent une explosion. Entre 2010 et 2022, le nombre de pédopsychiatres a chuté de 34 %, sans que le renouvellement des générations soit garanti. Cette situation met en lumière la gravité de la crise, avec des capacités de prise en charge réduites de manière structurelle, et même en déclin. Entre 1986 et 2013, 58 % des lits d’hospitalisation ont disparu et plusieurs départements manquent encore de services de soins à temps complet.

Les centres médico‑psychologiques (CMP) pour enfants et adolescents sont saturés, et les actions de prévention restent insuffisantes, notamment au sein des établissements scolaires, où la médecine scolaire est elle‑même défaillante. Face à cette pénurie de ressources, de nombreux mineurs se retrouvent dans des situations inadaptées, comme une prise en charge dans des unités pour adultes. 

Les jeunes les plus vulnérables, comme ceux pris en charge par l’aide sociale à l’enfance ou les mineurs non accompagnés, sont particulièrement délaissés. Cette situation est d’autant plus inquiétante que la dégradation des soins actuels entraînera inévitablement une augmentation des troubles psychiatriques à l’âge adulte, exacerbant les besoins de prise en charge à l’avenir.

Le manque de professionnels de santé, la saturation des structures d’accueil et l’insuffisance des moyens alloués limitent gravement l’accès aux soins et compromettent la qualité des prises en charge. Il est urgent d’agir pour garantir à chaque citoyen un accès effectif à une prise en charge de qualité, préventive et curative.

Alors que la santé mentale a été érigée en année de grande cause en santé mentale, il apparaît nécessaire de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés et d’apporter un nouveau souffle aux politiques publiques mises en œuvre en matière de santé mentale et de psychiatrie.

Aussi, la présente proposition de résolution réaffirme le caractère crucial de cette grande cause, qui doit inclure explicitement la psychiatrie et dépasser la seule année 2025, et invite le Gouvernement à mettre en œuvre des mesures structurantes et urgentes afin de mettre un terme à la crise connue par ce secteur. 

 


– 1 –

proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la feuille de route santé mentale et psychiatrie présentée par le Gouvernement en 2018 et le sixième bilan annuel de cette feuille de route, publié le 2 mai 2024,

Vu le rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission des affaires sociales, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques, n° 714, déposé le mercredi 11 décembre 2024, 

Considérant l’importance de la santé mentale et de la psychiatrie comme enjeux de santé publique ;

Considérant la crise que traverse la psychiatrie en France et l’urgence d’une action renforcée ; 

Considérant la nécessité de renforcer la sensibilisation, la prévention et l’accès aux soins en santé mentale ;

Invite le Gouvernement à reconnaître la santé mentale et la psychiatrie comme grandes causes nationales ;

Invite le Gouvernement à améliorer durablement l’offre de soins sous le pilotage des agences régionales de santé, en garantissant sa juste répartition territoriale, en renforçant les moyens humains et financiers des acteurs du secteur et en généralisant les équipes mobiles ;

Invite le Gouvernement à garantir la lisibilité du parcours de prise en charge de l’urgence psychiatrique et sa cohérence partout en France, en augmentant l’offre de consultations non programmées, en améliorant les conditions de prise en charge par les services d’urgences des patients et le suivi de ces derniers dans la durée ; 

Invite le Gouvernement à garantir une répartition équitable des patients entre le secteur public et privé en appliquant la permanence des soins des établissements de santé en psychiatrie pour soulager les services d’urgences ; 

Invite le Gouvernement à soutenir la pédopsychiatrie et la santé mentale des jeunes, en renforçant l’offre de soins pédopsychiatriques, les moyens de la médecine scolaire et en mettant en œuvre une stratégie de repérage précoce et d’orientation adaptée ; 

Invite le Gouvernement à mettre en place une offre d’accompagnement et de soins spécifique aux enfants protégés ;

Invite le Gouvernement à améliorer durablement la formation, le niveau de rémunération et les conditions de travail des professionnels de la psychiatrie afin de favoriser l’attractivité des métiers de ce secteur ; 

Invite le Gouvernement à commander un audit sur les conditions de travail des professionnels de la psychiatrie et à déployer au plus vite une stratégie nationale sur l’attractivité des métiers de la psychiatrie pour remédier à la pénurie croissante de personnel ;

Invite le Gouvernement à intégrer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 des mesures et moyens substantiels et supplémentaires en faveur de la santé mentale et de la psychiatrie ;

Invite le Gouvernement à soumettre au Parlement, d’ici l’été 2026, un rapport mesurant l’effet des actions menées dans le cadre de ces grandes causes nationales.

 

 


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. André CHASSAIGNE, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Emmanuel MAUREL, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU.