N° 1115
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête pour adapter et défendre le foncier dans les milieux insulaires outre-mer,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Marcellin NADEAU, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. André CHASSAIGNE, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Emmanuel MAUREL, M. Yannick MONNET, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le foncier est au cœur des préoccupations : au présent et ses urgences quotidiennes ; à long terme pour l’harmonie du développement de nos pays d’outre‑mer.
Nous savons que cette préoccupation est partagée par tous les élus de France. Pour tous, le foncier est la matière première de l’aménagement et du développement de nos territoires et les transformations environnementales et climatiques en font une matière particulièrement sensible, plus encore à l’heure du « zéro artificialisation nette ».
Mais pour l’élu d’outre‑mer c’est aussi, davantage que dans l’Hexagone, un sujet de société, de culture, d’organisation des acteurs publics, d’outils, de gouvernance, de développement harmonieux… Mais malheureusement, pour l’outre‑mer, deux expressions sont malheureusement récurrentes dans les rapports parlementaires sur le sujet : « verrou foncier » et « désordre foncier ». La problématique foncière reste bloquante malgré les initiatives et moyens déployés par la puissance publique.
Il nous paraît en conséquence nécessaire de mieux identifier de multiples voies de progrès pour que le foncier cesse d’être une entrave à l’action efficace des collectivités, un facteur de tensions sociales, un blocage dans le développement et la protection de nos pays d’outre‑mer.
Un attachement culturel au foncier Outre‑mer.
Le foncier en outre‑mer revêt une dimension sensible. Il est important d’aborder le sujet en rappelant préalablement les réalités historiques qui ont conditionné le rapport à la terre. L’histoire a façonné les us et coutumes dans la gestion/transmission du foncier. Elle a marqué l’organisation des propriétés par des jeux de distribution ou de confiscation de terres. Traiter de la problématique foncière, c’est aborder un sujet très culturel. Plus encore qu’en métropole l’attachement à la terre est très fort au point que l’expression « C’est ma terre je fais ce que je veux » se fait beaucoup plus souvent entendre.
L’histoire de l’occupation du littoral doit elle aussi être considérée et la relation à la mer s’inscrit dans une histoire longue qui s’illustrait par une conscience du risque. Traditionnellement, la proximité du rivage n’était pas systématiquement recherchée, même si le pêcheur s’implantait sur le littoral pour surveiller ses outils de pêche et son embarcation. D’autres s’y implantaient parce qu’ils n’avaient pas les moyens financiers de s’y établir ailleurs et occupaient alors mangroves et zones humides.
C’est ainsi qu’il convient d’adapter l’expression et les modes d’actions publiques aux références mentales et culturelles des populations. Ces dernières méritent d’être comprises par tous les acteurs publics afin de favoriser l’acceptabilité des évolutions rendues nécessaires.
Or les auteurs de cette proposition de résolution font en premier lieu le constat d’une crise de confiance entre les élus et la population. Sont au cœur du problème :
– la spoliation des droits de propriété souvent évoquée ;
– une application contestée ou manquante des lois existantes ;
– la nécessité en milieux insulaires fragiles de protéger les terres et les littoraux.
Face à ce constat alarmant, les auteurs s’interrogent et demandent la constitution d’une commission d’enquête pour faire le point sur cette problématique outre‑mer, qui permettrait de dégager des pistes de solutions pour l’avenir.
En effet, la relation des élus à la population sur le sujet foncier est souvent crispée. Incompréhension et méconnaissance pourraient cependant être trouver à être dépassées par une clarification des messages qui peut notamment viser à Développer une plus grande culture du risque auprès des décideurs locaux (élus et techniciens) et auprès des populations. Encore faut‑il faire les bons diagnostics. Développer la culture de la planification, associer plus massivement les habitants. Faire de la planification un enjeu collectif (qui dépasse l’intérêt privé des propriétaires). De même, il apparaît utile de redonner et d’Affirmer la légitimité du pouvoir politique et la primauté de l’intérêt commun. S’extraire de l’intérêt particulier par le sens affirmé de la chose publique. Encourager et organiser la formation des conseillers municipaux et communautaires. Et pour cela Clarifier au regard des populations les rôles et missions de tous les acteurs concernés par les questions foncières. Communiquer et clarifier dans une seule et même démarche les multiples structures intervenant sur le foncier et l’urbanisme (nécessité d’une importance particulière en Guyane et à Mayotte). Multiplier les canaux de communication et de sensibilisation envers la population (écoles, notaires, Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement [CAUE]…) et organiser une intervention coordonnée auprès des populations.
Il semble en effet nécessaire de rendre plus cohérentes et visibles les interventions des multiples acteurs.
Reste à savoir comment et dans quelle mesure ? Et c’est ce à quoi doit répondre la Commission d’enquête proposée.
Les auteurs de cette proposition de résolution regrettent aussi que trop souvent l’application des dispositions des lois sur les territoires ultramarins révèle après coup leurs inadaptations.
Tel est notamment le cas de l’enjeu de la sobriété foncière (ZAN) contenu dans la loi Climat et Résilience qui souffre de difficultés (voire d’impossibilités) d’application dans les territoires d’outre‑mer. À ce titre des voies de progrès sont possibles pour mieux considérer les particularités des territoires d’outre‑mer dans l’élaboration et la mise en œuvre de la loi, notamment : En amont de l’élaboration de la loi pour Renforcer les travaux de concertation, ou mieux organiser le partage de réflexions de l’élaboration des textes entre l’État et les réseaux de collectivités riches des remontées de terrain dont il est important qu’ils puissent témoigner. Il semble aussi urgent de Placer le sujet de l’outre‑mer comme chapitre ou étape obligatoire à toute étude d’impact et exposé des motifs des lois dès lors qu’elles comportent des dispositions relatives au foncier et aux problématiques territoriales. En aval du vote de la loi, en adaptant les circulaires à l’approche différenciée des territoires ; être clairs et transparents dans les consignes données aux préfets pour traiter les sujets d’aménagement et d’urbanisme.
L’article 73 de la Constitution, enfin, dispose que les adaptations des lois et règlements tenant aux caractéristiques et contraintes particulières des départements et régions d’Outre‑mer peuvent être décidées par ces collectivités, dans les matières où s’exercent leurs compétences, si elles y ont été habilitées par la loi.
Mais il serait bon de mesurer la situation avec plus de précision. Notamment car les départements et régions d’outre‑mer, à l’exception de La Réunion, peuvent être aussi habilités par la loi à fixer eux‑mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un certain nombre de matières pouvant relever du domaine de la loi. Ainsi, d’une lecture a contrario des domaines exclus par l’article 73, le foncier et les politiques d’aménagement dans leur ensemble sont du ressort de cette faculté offerte aux territoires d’Outre‑mer. Et une utilisation efficiente et probante de l’article 73 trouverait sur le foncier une pertinence particulière (dispositions de la loi climat, autorisations d’urbanisme… ). Encore faut‑il l’évaluer…
Plus grave, il existe outre‑mer un réel désordre foncier qui mérite une enquête approfondie (enjeux d’indivision et de titrement, chevauchement de compétences, bâtiments à l’abandon en nombre, friches agricoles non récupérables, dégradations des paysages, absence de visibilité, développement entravé des communes).
À titre d’exemple, 30 % de l’espace urbain guadeloupéen est en déshérence. Il est ainsi nécessaire de penser à une logique de reconquête urbaine.
En Martinique, l’Agence des 50 pas géométriques estime à plus de 12 000 les dossiers d’occupations des espaces littoraux, avec les enjeux financiers et environnements induits.
Ne serait‑il pas nécessaire d’adapter les lois littoral et Montagne pour considérer les particularités administratives et stratégiques des Outre‑mer ?
À titre d’exemple, la taille des communes en Guyane a pour effet de soumettre des espaces urbains, très loin du rivage, aux mêmes limitations dans l’urbanisation que les espaces côtiers. En effet, sur 22 communes, 14 relèvent de la loi Littoral. L’étendue de ces 14 communes, en rien comparable à celles de l’hexagone, fait que les dispositions des codes de l’urbanisme relatives à la protection du littoral, couvrent une très large partie du territoire, pouvant aller jusqu’à plus de 200 kilomètres des côtes en milieu strictement forestier. La loi Littorale s’applique donc à un domaine « rétro‑littoral » qui n’est plus du tout à l’interface terre et mer telle que décrite par le législateur.
C’est pourquoi, il nous parait en conséquence nécessaire d’évaluer l’impact et la pertinence des politiques nationales sur le foncier des dits outre‑mer, ne serait‑ce que pour réadapter les modes de construction aux conditions de vie locales ou de construire une vraie culture du risque pour des territoires qui y sont fortement exposés, repenser l’aménagement du territoire en terme de « ménagement » du territoire.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée d’étudier les problématiques foncières en outre-mer, d’adapter la législation aux particularités des outre-mer, de défendre le foncier dans les milieux insulaires des dits outre-mer, d’évaluer les difficultés liées à ces territoires, et de tenter d’identifier des pistes et moyens de solutions pour remédier à son disfonctionnement.