N° 1151

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mars 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à dénoncer les accords franco-algériens du 27 décembre 1968 et du 16 décembre 2013,

 

présentée par

M. Éric CIOTTI, les membres du groupe UDR [(1)],

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Nous vivons le grand retour de la realpolitik dans les relations internationales, alors que les États du monde font preuve d’une assertivité grandissante dans la défense de leurs intérêts.

Face au défi immense que vont représenter les grandes migrations au XXIè siècle, de nombreuses démocraties occidentales se dotent d’un arsenal juridique facilitant le retour d’immigrés dont la présence sur leur territoire est illégale.

C’est le cas notamment de l’Australie, mais aussi du Danemark. Selon un rapport ([1]) du Sénat en date du 10 mai 2022, le Danemark a procédé à l’éloignement forcé de 51,8 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées en 2019 (contre 14,3 % pour la France). Depuis 2022, le Gouvernement de coalition, dirigé par la Première ministre socialiste Mette Frederiksen, a même intensifié les efforts, en mettant en place des mesures rendant plus efficace la politique de retours.

Aussi, on distingue d’autres États démocratiques qui, ne parvenant pas à obtenir les laisser‑passer consulaires nécessaires à ce retour, se voient contraints d’utiliser d’autres outils de politiques publiques pour assurer l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Il s’agit notamment du rapport de force que Donald Trump a imposé à la Colombie le 27 janvier 2025, l’exhortant à reprendre ses ressortissants illégaux, sous peine lourdes sanctions commerciales, jusqu’à 50 % de droits de douane, ce qui a été un succès. Le chancelier allemand Friedrich Merz, chrétien‑démocrate, a lui‑même plaidé pour un rapport de force avec les pays tiers, notamment en envisageant la suspension du regroupement familial en Allemagne.

Par le passé, l’Union européenne, en concertation avec l’ensemble de ses États membres, a imposé des sanctions à des pays tiers, tels que la Gambie, suite à des refus de reprendre leurs ressortissants, notamment en augmentant le montant des droits de visa.

Le contexte d’une immigration illégale aggravée en France devrait nous autoriser, comme le font d’autres partenaires occidentaux, à prendre les mesures nécessaires à la réadmission des ressortissants illégaux dans leur pays d’origine. 

Si l’Algérie et la France partagent une histoire singulière, il n’en demeure pas moins que cette dernière est un État tiers, avec lequel nous devons organiser des rapports bilatéraux fondés sur le respect mais aussi la coercition, si la situation l’impose.

En l’occurrence, la situation témoigne d’un déséquilibre déconcertant : alors que le taux d’exécution des OQTF pour les ressortissants algériens illégaux en France n’est que de 7 % en 2022, les algériens restent la première nationalité en matière d’octroi de titres de séjours (650 000 sur 4,3 millions de titres délivrés en 2024).

Ces circonstances devraient nous autoriser raisonnablement à utiliser différents leviers à notre disposition afin de contraindre l’Algérie à la réintégration de ses propres ressortissants. C’est par ailleurs une philosophie d’action qui avait été évoquée un temps par le gouvernement de Jean Castex en septembre 2021. En effet, il avait été envisagé de durcir les conditions d’obtention de visas pour les ressortissants d’Algérie, faute de coopération en matière migratoire. Cette philosophie témoigne d’une prise de conscience collective.

De fait, baisser le nombre de visas octroyés aux ressortissants algériens pourrait s’avérer un levier efficace pour assurer le retour de migrants illégaux. Il s’agit d’une mesure efficace déjà appliquée par de nombreux autres pays. Parmi eux, les États‑Unis en 2017 avaient appliqué des sanctions impliquant la réduction de visas pour les ressortissants du Cambodge, de l’Erythrée, de Guinée et de Sierra Leone. En effet, les autorités de ces pays avaient failli à coopérer efficacement concernant la réadmission de leurs propres ressortissants expulsés par les États‑Unis.

En ce qui concerne la France, un tel levier serait opérationnel si et seulement si le Gouvernement venait à dénoncer unilatéralement les accords franco‑algériens du 27 décembre 1968 et du 16 décembre 2013. Ces accords prévoient un régime dérogatoire avantageux pour l’octroi de titres aux algériens, notamment en matière de regroupement familial, de certificat de résidences, et de visas de travail et étudiants etc.

En conséquence, ces accords rendent juridiquement difficiles pour la France de s’opposer à la délivrance de titres de séjours, et instaurer un rapport de force avec Alger sur cet enjeu spécifique. Ainsi, dénoncer les accords permettrait à la France de suspendre l’octroi de visas tout en restant conforme au droit international, faisant entrer les algériens dans le droit commun. En effet, à travers l’accord de 1968, l’entrée et l’installation des algériens en France sont largement facilitées, par un certain nombre de dispositions, dont voici les principaux exemples :

– un visa touristique de court séjour est suffisant pour le conjoint algérien, contrairement au visa de long séjour imposé aux autres nationalités ;

– la délivrance de plein droit d’un certificat de résidence pour Algérien (CRA) valable dix ans, après une année seulement de mariage avec un ressortissant français, contre trois ans pour les autres nationalités, ainsi que le renouvellement automatique de ce titre ;

– la délivrance de plein droit d’un CRA d’une année si un Algérien en situation illégale se contente de justifier d’une résidence en France depuis dix ans ;

– les conditions du regroupement familial sont allégées par rapport au droit commun (délivrance à la famille d’un titre de séjour de même nature que celui du regroupant ; durée de séjour régulier préalable à la demande de seulement douze mois, contre dix‑huit mois pour le droit commun ; exigence d’une intégration et d’une insertion dans la société française non soumise à vérification, etc.) ;

– l’exemption de la signature d’un contrat d’intégration républicaine (CIR) ;

– la liberté d’établissement très étendue pour l’exercice d’une activité professionnelle en France sans avoir à prouver sa viabilité économique, opportunité dont les étudiants algériens terminant leur cycle d’études usent et abusent pour demeurer en France, etc.

Toutes ces mesures dérogatoires au droit commun, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) s’appliquant de plein droit pour l’entrée et la circulation des étrangers d’autres nationalités, ne sont pas réciproques : en effet, nos compatriotes qui souhaitent de se rendre en Algérie ne bénéficient d’aucune contrepartie qui soit semblable.

De surcroît, on constate qu’un consensus politique plus large apparaît sur la remise en cause de ces accords : les sénateurs Muriel Jourda (LR) et Olivier Bitz (Union centriste), dans leur rapport d’information ([2]), en date du 5 février 2025, recommandaient de privilégier une solution de négociation d’un nouvel avenant, tout en précisant qu’en cas d’échec, la France devrait unilatéralement mettre fin à l’accord de 1968.

Ces derniers mois, des responsables politiques de différentes sensibilités ont aussi envisagé la suspension des accords de 1968. Il s’agit notamment du Premier ministre François Bayrou (Modem) du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau (LR), Ce fût le cas aussi d’anciens Premiers ministres, tels que Gabriel Attal (EPR), Manuel Valls et Édouard Philippe (Horizons), qui avaient pris des positions semblables. Toutes ces responsables politiques, d’horizons idéologiques variés, ont exercé de hautes responsabilités, leur permettant de constater l’impasse que représentent l’accord de 1968 pour la régulation des flux migratoires en provenance d’Algérie.

Par-dessus tout, ce nouveau consensus de la classe politique est le reflet d’un consensus citoyen partagé par les Français, qui sont une majorité (66 %) à être favorables à l’arrêt de toute immigration en provenance d’Algérie.

Il est cependant urgent de passer de la parole aux actes, car de nombreux ressortissants illégaux d’Algérie se sont révélés dangereux pour la sécurité et l’ordre publics. En effet, le 8 janvier 2025, les autorités algériennes ont refusé de reprendre dans leur pays, à la suite d’une décision d’expulsion française, un de leurs ressortissants, vivant en France, qui avait appelé sur ses réseaux à « une sévère correction » de tout opposant politique algérien, ce qui relève de l’infraction de « provocations publiques à commettre un crime ou un délit et légitimant la torture ». Le ressortissant visé a pourtant été condamné à de multiples reprises pour des infractions relatives aux stupéfiants, et expulsé une première fois en 2008.

Plus récemment, le 22 février 2025, un ressortissant algérien en situation irrégulière, condamné pour apologie du terrorisme, et frappé d’OQTF non‑exécutée, a tué une personne à l’arme blanche à Mulhouse. L’Algérie avait refusé 10 fois de reprendre son ressortissant sur son sol.

Ces affaires font elle‑même suite, dans un triste parallèle, à l’arrestation et à l’emprisonnement du romancier franco‑algérien Boualem Sansal le 16 novembre 2024, qui est toujours séquestré par le régime algérien au moment où ces lignes sont écrites. Âgé de 80 ans, gravement malade, celui‑ci fait l’objet d’un emprisonnement politique de la part d’un pouvoir qui lui refuse même l’accès aux soins élémentaires requis par son état de santé. De même, après trois mois de détention, celui‑ci n’avait toujours pas pu recevoir la visite de son avocat français, dont le visa a été refusé par les autorités algériennes. Cette absence d’accès à ses droits les plus simples en matière de justice est de surcroît réalisée alors qu’on lui reproche l’un des crimes les plus graves du code pénal algérien : l’atteinte à la sûreté de l’État et l’atteinte à l’intégrité territoriale du pays, tout cela pour avoir émis des critiques contre le pouvoir en place.

Ces événements regrettables ne font qu’attiser une tension déjà très forte entre nos deux pays : revenir à un régime de droit commun en matière migratoire contribuerait à normaliser la relation diplomatique franco‑algérienne, ce que les auteurs de cette proposition de résolution souhaitent profondément.

Près de soixante ans après ces accords, il est temps d’adapter notre arsenal juridique en matière migratoire à l’évolution de notre relation avec Algérie. Il convient ainsi de redonner à l’État les moyens juridiques de limiter, et suspendre si nécessaire, l’octroi de visas aux algériens. Les accords sont devenus obsolètes, malgré quelques modifications en 1985, 1994 et 2001, qui ne l’ont pas fondamentalement altéré. Rien ne justifie que les ressortissants algériens ne soient pas soumis aux mêmes lois en matière d’entrée et de circulation en France que les citoyens d’autres nationalités.

La dénonciation de ces accords interviendrait de plus dans un contexte où il est devenu urgent que la France réduise fortement les flux migratoires qui s’accélèrent depuis de nombreuses années. Or, ces dispositions alimentent naturellement les flux en facilitant, par rapport aux autres nationalités, l’entrée des ressortissants algériens. Ainsi, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), en 2020, on comptait environ 870 000 algériens en France. Ce chiffre monte même à 2,5 millions si on prend en compte leurs enfants et petits‑enfants nés en France, y compris les binationaux.

Au surplus, un autre accord intergouvernemental existe, beaucoup plus récent celui‑ci, et qui se trouve cette fois‑ci au bénéfice exclusif de l’élite administrative et politique de l’Algérie. Signé à Alger le 16 décembre 2013, il permet une exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d’un passeport diplomatique ou de service. Concrètement, tout détenteur algérien d’un passeport diplomatique ou de service, est dans la capacité de venir en France sans demande de visa d’entrée, qu’il se déplace en mission, ou bien même à titre privé, et ce pour un séjour ininterrompu ou plusieurs séjours dont la durée totale n’excédera pas quatre‑vingt‑dix jours sur toute période de cent quatre‑vingts jours sur le territoire des États membres de l’espace Schengen, ou dans toute partie du territoire de la République française non comprise dans cet espace.

Compte tenu de l’interdiction pour nos diplomates de circuler librement en Algérie, l’inverse n’étant pas vrai, il est temps de mettre un terme à cette facilité qui profite à l’élite politico‑administrative algérienne.

Face aux flux migratoires conséquents en provenance d’Algérie, et à l’atteinte que ceux‑ci peuvent porter à la sécurité des Français, il est temps d’imposer aux autorités algériennes de consentir à la politique d’éloignement française, c’est‑à‑dire, de délivrer les laissez‑passer consulaires nécessaires à la réadmission de leurs ressortissants.

Pour toutes ces raisons, la présente proposition de résolution a pour objet d’appeler à la dénonciation des accords franco‑algériens du 27 décembre 1968 et du 16 décembre 2013.

Les termes de l’article 34‑1 de la Constitution ne permettent certes pas au Parlement de voter une résolution contenant une injonction à l’égard du Gouvernement. Mais tel n’est pas l’objet de la présente résolution, qui appelle à la dénonciation de ces accords par les autorités en ayant la compétence.

 


– 1 –

proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que les autorités algériennes font montre d’une hostilité grandissante à l’égard de la France ;

Considérant que l’accord franco‑algérien du 27 décembre 1968, publié par le décret n° 69‑243 du 18 mars 1969, a créé un régime dérogatoire qui facilite l’immigration des ressortissants algériens vers la France ;

Considérant qu’aucun motif ne justifie désormais que les ressortissants algériens bénéficient d’un tel statut juridique facilitant leur entrée et leur séjour en France dans des conditions plus favorables que celles qui sont régies par le code de l’entrée et du séjour des étrangers ;

Considérant qu’il est aujourd’hui nécessaire d’arrêter l’immigration de masse vers la France ;

Considérant que l’accord franco‑algérien du 16 décembre 2013 prévoit des facilités d’entrées dans notre pays aux détenteurs d’un passeport diplomatique ou de service de nationalité algérienne ;

Considérant que ces facilités ne sauraient être accordées à une nation ayant un comportement inamical ;

Appelle les autorités en ayant la compétence à dénoncer les accords franco‑algérien du 27 décembre 1968 et du 16 décembre 2013.

 

 


([1]) Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur la question migratoire, Par M. François-Noël BUFFET

([2]) Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (1) sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, en date du 5 février 2025


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Alexandre ALLEGRET-PILOT, M. Charles ALLONCLE, Mme Brigitte BARÈGES, M. Matthieu BLOCH, M. Bernard CHAIX, M. Marc CHAVENT, M. Éric CIOTTI, Mme Christelle D’INTORNI, M. Olivier FAYSSAT, M. Bartolomé LENOIR, Mme Hanane MANSOURI, M. Maxime MICHELET, M. Éric MICHOUX, Mme Sophie RICOURT VAGINAY, M. Vincent TRÉBUCHET, M. Gérault VERNY.