N° 1192 rectifié
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à prendre en compte la cherté de la vie en outre-mer dans le calcul de la retraite des fonctionnaires ultramarins,
présentée par
M. Stéphane LENORMAND, M. Olivier SERVA, M. Max MATHIASIN,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Un retraité qui réside dans les Outre‑mer touche en moyenne une pension inférieure à ce que perçoit un retraité qui vit en France hexagonale.
Il en résulte une plus forte précarité de cette tranche de la population. En Guyane, 15 % des retraités sont en situation de grande pauvreté, 11 % à La Réunion et en Guadeloupe, et 9 % en Martinique, contre 1 % dans l’Hexagone ([1]).
Ces données doivent être corrélées à un coût de la vie sur place également supérieur à celui de l’Hexagone : en 2022, les écarts de prix (indices de Fisher) pour les produits alimentaires sont de +42 % entre la Guadeloupe et la France hexagonale, +40 % pour la Martinique, +39 % pour la Guyane, +37 % pour La Réunion et +30 % pour Mayotte ([2]).
L’absence de cotisation des fonctionnaires ultramarins sur le ou les compléments de rémunération leur étant versés du fait de leur affectation dans ces territoires, pour compenser notamment la cherté de la vie, dans le calcul du montant de leur pension de retraite, relève donc d’une véritable anomalie. Pour rappel, cette sur‑rémunération est de l’ordre de 40 % du traitement indiciaire de base aux Antilles‑Guyane ainsi qu’à Mayotte et de 53 % à La Réunion.
Arrivés au stade du départ à la retraite et n’ayant pas cotisé sur ces compléments de rémunération tout le long de leur carrière, nombre d’entre eux vivent un déclassement et s’enlisent dans des situations économiques précaires.
C’est au regard de ce constat, que depuis de nombreuses années, est demandée aux Gouvernements successifs la possibilité de cotiser sur cette sur‑rémunération au cours de la carrière.
Dans un courrier envoyé aux parlementaires le 10 janvier 2020, le Gouvernement a annoncé une amorce de travail en ce sens et plus précisément être prêt à acter qu’une partie de sur‑rémunération soit donc « soumise à cotisation, à l’instar des autres primes ».
Ainsi, les Députés de Guadeloupe, Olivier Serva et Max Mathiaisin, à travers des amendements déposés dans le cadre du PLFSSR 2023 (projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour l’année 2023), ont proposé que les fonctionnaires des trois versants de la fonction publique, exerçant dans l’ensemble des territoires – Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique, Saint‑Barthélemy, Saint‑Martin, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon – où la sur‑rémunération dite « vie chère » s’applique, puissent cotiser sur cette prime dans le cadre de leurs droits à pension de retraite.
Par ailleurs, les problématiques que rencontrent les fonctionnaires ultramarins bénéficiant de l’ITR (indemnité temporaire de retraite), ne doivent pas être obérées. Mise en place par deux décrets du 10 septembre 1952 et du 24 décembre 1954 pour les fonctionnaires d’État de certains territoires d’Outre‑mer, qui pour certains, ont depuis pris leur indépendance, elle concerne aujourd’hui les fonctionnaires de l’État, les militaires et les magistrats de La Réunion, la Nouvelle‑Calédonie, Wallis‑et‑Futuna, la Polynésie française, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et Mayotte.
Etrangement, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique n’ont jamais été concernées par ce dispositif.
Plus concrètement, il est destiné à compenser la cherté de la vie dans ces territoires d’Outre‑mer. Cette « sur‑pension » est fixée en pourcentage de la pension reçue et en fonction du territoire concerné : elle s’élevait à 35 % à La Réunion et à Mayotte, à 40 % à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et à 75 % dans les trois collectivités du Pacifique : Nouvelle‑Calédonie, Polynésie française et îles Wallis‑et‑Futuna.
Cette indemnité est aujourd’hui en voie d’extinction car remise en question par la réforme du 30 décembre 2008 ([3]) qui a acté son extinction progressive, avec deux principes :
– la sauvegarde des avantages acquis : les agents déjà à la retraite conservent à vie le montant de leur ITR, sauf pour les plus grosses pensions pour lesquelles un plafond a été fixé ;
– une progressivité dans la mise en extinction de cette indemnité (dégressivité du plafond), la réforme s’échelonnant jusqu’en 2028.
Pour rappel, cette réforme avait été acceptée par toutes les parties prenantes à condition qu’un système de cotisations sur les primes et indemnités soit mis en place pour améliorer le niveau des retraites.
Cependant le Gouvernement n’a pas souhaité revenir sur l’ancien dispositif et a proposé un nouveau mécanisme lors de l’examen du Projet de loi de finances pour 2024, en l’introduisant par un amendement gouvernemental.
Ainsi, la loi de finances pour 2024 a créé un nouveau dispositif de cotisation volontaire à compter du mois d’avril 2024 pour une « retraite additionnelle de la fonction publique » (RAFP), garantissant 4 000 euros aux retraités à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle‑Calédonie.
Néanmoins, ce dispositif crée une forte disparité de traitement car il ne s’applique pas dans tous les territoires ultramarins et il exclut de son périmètre la fonction publique hospitalière et territoriale.
Par ailleurs, au moment de son entrée, il donnait une possibilité d’opter pour la cotisation volontaire au régime de RAFP, ouverte pour une durée de six mois à compter du 17 avril 2024, et ce jusqu’au 17 octobre 2024.
De ce fait ce dispositif a omis, à ce moment‑là, toute possibilité d’opter pour la garantie plancher aux fonctionnaires en disponibilité, en détachement ou encore en congé parental, notamment ceux qui remplissent néanmoins les conditions pour y prétendre en cas de reprise d’activité.
Dès lors, il apparaitrait nécessaire de prévoir des délais d’option de droit commun lors de leur reprise d’activité afin de ne pas générer de disparités de traitement entre fonctionnaires, s’ils en manifestent la volonté.
C’est pourquoi, l’objectif de cette proposition de résolution est avant tout de rappeler au Gouvernement ses engagements passés envers tous les territoires des Outre‑mer et de reprendre les discussions autour de la retraite de tous les fonctionnaires ultramarins.
Ainsi, l’article unique invite le Gouvernement à relancer les négociations et les travaux en étroite concertation avec les partenaires sociaux, les élus des collectivités concernées, les employeurs de la fonction publique territoriale et hospitalière ainsi qu’avec les parlementaires ultramarins pour étendre l’application du dispositif RAFP à tous les territoires régis par les articles 73 et 74 de la Constitution.
Voter cette proposition de résolution permettrait ainsi de sortir du blocage actuel, insatisfaisant pour l’ensemble des parties, afin d’aboutir dans un délai raisonnable à une solution équitable : assurer aux fonctionnaires ultramarins une retraite leur permettant de faire face au niveau de vie sur leurs territoires respectifs.
– 1 –
proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la loi n° 2008‑1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008,
Vu la loi n° 2023‑1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024,
Vu le code général de la fonction publique, notamment son article L.741‑1,
Vu le rapport d’information déposé par la délégation aux Outre‑mer de l’Assemblée nationale sur le projet de loi instituant un régime de retraite universel le 10 février 2020,
Vu le rapport d’information déposé par la délégation aux Outre‑mer de l’Assemblée nationale sur le coût de la vie dans les Outre‑mer le 3 décembre 2020,
Vu le rapport d’information déposé par la délégation aux Outre‑mer de l’Assemblée nationale sur la réforme de l’indemnité temporaire de retraite (ITR) le 23 juillet 2021,
Vu le rapport d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution du 20 juillet 2023,
Vu le régime de retraite additionnelle de la fonction publique, de cotisation volontaire, mis en place à compter du mois d’avril 2024 pour une « retraite additionnelle de la fonction publique », garantissant 4 000 euros aux retraités à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle‑Calédonie,
Vu la loi de finances pour 2025, qui a étendu les délais du droit d’option au 31 décembre 2025 pour les fonctionnaires en activité dont le changement de poste ou la prise de poste intervient à compter du 1er avril 2025,
Considérant que ce dispositif de modification de délai du droit d’option a omis de l’étendre également aux fonctionnaires en disponibilité, en détachement ou encore en congé parental au moment de la mise en place du régime de retraite additionnelle de la fonction publique, et en considérant que l’information sur ce dispositif et sur le délai d’y opter auprès des agents a été loin d’être exemplaire et claire, ne permettant pas à tous les volontaires de s’engager, il est nécessaire d’étendre ce nouveau délai « du droit d’option au 31 décembre 2025 » à tous les fonctionnaires déjà en activité avant le 17 avril 2024 ;
Considérant que les territoires ultramarins, du fait de leurs spécificités, notamment l’éloignement géographique, le poids de l’histoire dans leur construction et l’étroitesse de leur marché économique, sont placés dans une situation de rupture d’égalité économique, sociale et territoriale avec l’Hexagone ;
Considérant que la cherté de la vie, en particulier pour les produits de première nécessité, est d’une grande brutalité pour l’ensemble des citoyens ultramarins ;
Considérant que le coût de la vie impacte directement l’ensemble des fonctionnaires retraités des trois fonctions publiques – étatique, hospitalière et territoriale – résidant dans un territoire d’Outre‑mer ;
Considérant que pour ces fonctionnaires ultramarins retraités, le différentiel de niveau de vie entre leur période d’activité professionnelle et leur retraite conduit à un déclassement économique et social ;
Considérant que ce déclassement résulte de l’absence de prise en compte des compléments de rémunération leur étant versés du fait de leur affectation dans ces territoires pour le calcul de la retraite ;
Considérant l’absence d’avancées concrètes dans le cadre des discussions tendant à la revalorisation des retraites des fonctionnaires ultramarins et d’une manière uniforme et juste dans tous les territoires ultramarins et le risque de blocage ;
Invite le Gouvernement à initier une grande concertation avec toutes les parties prenantes afin d’étudier l’ensemble des mesures et propositions susceptibles d’améliorer les pensions des fonctionnaires ultramarins pour leur redonner du pouvoir d’achat ;
Appelle le Gouvernement à consulter les acteurs de chacun des onze territoires ultramarins afin d’assurer une prise en compte de leurs spécificités ;
Propose au Gouvernement de définir un cadre de négociations clair avec des objectifs ciblés relatifs notamment, à la prise en compte, pour le calcul de la retraite des fonctionnaires, des compléments de rémunération leur étant versés du fait de leur affectation dans les territoires ultramarins, ainsi qu’au dispositif de substitution de l’indemnité temporaire de retraite ;
Incite le Gouvernement à mener une réflexion visant à définir une clef de répartition et à prendre en compte le volontariat dans le financement des mesures issues de ces concertations ;
Souhaite que, dans un délai raisonnable, le Gouvernement et les parties prenantes aboutissent à la mise en place de dispositifs concrets assurant une amélioration réelle et durable du pouvoir d’achat des fonctionnaires ultramarins ;
Le véhicule législatif idoine pourrait être celui du projet de loi relatif à la lutte contre la cherté de la vie en outre‑mer à venir annoncé par le Gouvernement.
([1]) INSEE, La grande pauvreté bien plus fréquente et beaucoup plus intense dans les DOM, INSEE Focus, 11 juillet 2022
([2]) INSEE, En 2022, les prix restent plus élevés dans les DOM qu’en France métropolitaine, en particulier pour les produits alimentaires, Insee Première, 11 Juillet 2023
([3]) Article 137 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008.