N° 1559

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juin 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

appelant à la diminution progressive de l’utilisation de la monnaie fiduciaire dans l’Union européenne,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

M. Jean-Didier BERGER, Mme Josiane CORNELOUP, M. Vincent LEDOUX, M. Eric LIÉGEON, M. Thierry LIGER,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de résolution européenne invite la Commission européenne à engager un travail d’harmonisation législative sur les plafonds de paiement dans l’ensemble de l’Union européenne, et à demander à la Banque centrale européenne d’organiser un retrait progressif des pièces inutiles et coûteuses et des coupures les plus propices aux détournements illicites. Elle s’inscrit dans une dynamique de transition maîtrisée vers des moyens de paiement dématérialisés pour une plus grande majorité de transactions.

À l’heure où le déploiement des moyens de paiement électroniques en Europe continue de progresser, principalement par carte bancaire ou mobile, la question du devenir de la monnaie fiduciaire se pose. Les progrès techniques ont permis à ces moyens de s’imposer même dans des contextes où ils étaient autrefois inadaptés : ainsi, les professions nomades comme les artisans à domicile acceptent désormais les paiements grâce aux terminaux sans fil. En 2024, près de 93 % des commerçants français acceptent la carte bancaire, selon la Banque de France. Des solutions comme Tap to Phone permettent de transformer un smartphone en terminal de paiement, rendant le paiement électronique encore plus accessible.

Les échanges d’argent entre particuliers sont eux aussi profondément transformés. Le lancement de Wero, solution européenne de paiement instantané développée par l’European Payments Initiative (EPI), permet déjà à environ 75 % des clients bancaires en France, Belgique et Allemagne d’envoyer de l’argent via leur numéro de téléphone. À terme, Wero sera aussi disponible pour les paiements dans les commerces, pour les artisans et les associations, ce qui contribuera à la généralisation des paiements dématérialisés.

Cette évolution s’inscrit dans le cadre plus large de l’arrivée de l’euro numérique, que la Banque centrale européenne prévoit de lancer à partir d’octobre 2025. Conçu en réponse à la montée des cryptomonnaies et à la nécessité de garantir la souveraineté monétaire de l’UE, cet instrument public interopérable avec les solutions de paiement instantané vise à remplacer progressivement jusqu’à 50 % des billets en circulation, selon les premières estimations.

La tendance est nette : en France, 43 % des transactions étaient encore réalisées en espèces en 2024, contre 68 % en 2016. Le recul de la demande en espèces amène ainsi les banques à retirer progressivement les distributeurs automatiques de billets (DAB).

Même dans des pays historiquement attachés au liquide comme l’Allemagne, le covid-19. La coalition au pouvoir en Allemagne a par ailleurs récemment annoncé vouloir développer les paiements numériques afin de récupérer une partie des 10 à 15 milliards d’euros perdus chaque année.

Limiter l’utilisation du liquide présente plusieurs avantages majeurs. D’abord, les paiements en espèces facilitent les activités illégales telles que le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et le financement du terrorisme. La restriction des coupures les plus élevées, comme celles de 100 euros ou 200 euros, rendrait plus difficile le transport et la dissimulation de grandes sommes. En 2021, la Cour des comptes européenne estimait à 1,3 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Union européenne, soit 220 milliards d’euros, le volume d’argent blanchi.

En France, alors que le narcotrafic explose, l’argent liquide constitue aujourd’hui le nerf vital de cette économie souterraine. Ce marché illégal est estimé à plus de 3 milliards d’euros par an en France, dont une large part circule sous forme de billets dissimulés et blanchis dans l’économie réelle. Entre 2022 et 2023, les infractions liées au blanchiment ont explosé (+113 %), preuve que les trafiquants s’adaptent et diversifient leurs méthodes. Rachats de petits commerces servant à injecter du faux chiffre d’affaires, utilisation de tickets de jeux revendus dans les bars, rémunération non déclarée sur les chantiers : l’argent liquide est la clé de voûte de ces circuits criminels. Réduire drastiquement l’utilisation de l’argent liquide compliquera radicalement le fonctionnement logistique, en tarissant l’un de ses principaux vecteurs d’opacité.

Ensuite, la gestion des espèces est coûteuse : selon la Banque centrale européenne (BCE), elle représente environ 0,5 % du PIB de l’Union. Elle mobilise des moyens importants pour leur production, leur transport et leur sécurisation. Elle a aussi un impact environnemental significatif, notamment dans la fabrication des pièces les plus petites. Par exemple, une pièce de 1 centime coûte 1,65 centime à produire, et 1,94 centime pour une pièce de 2 centimes. La suppression des pièces de 1 et 2 centimes, déjà mise en œuvre en Belgique, aux Pays‑Bas et en Finlande, via un système d’arrondi, constitue une mesure simple, rapide et efficace.

Cette transition numérique des paiements permettrait par ailleurs de réduire les coûts pour les entreprises, d’accroître la traçabilité des flux financiers et de renforcer la lutte contre l’évasion fiscale. Elle serait également l’occasion de mettre fin aux prix psychologiques finissant par 99 centimes, désormais obsolètes dans un contexte d’arrondi généralisé.

Enfin, il ne s’agit pas d’une suppression totale de la monnaie fiduciaire, qui resterait ainsi disponible pour les petites dépenses et en cas de force majeure (cyberattaque, panne de réseau ou d’électricité), garantissant ainsi la résilience du système de paiement. Il s’agit bien d’une adaptation progressive aux évolutions technologiques et économiques, avec une vigilance particulière pour ne laisser aucun citoyen ni territoire à l’écart.

 

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 83, 114 à 118 et 127 à 133,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment ses articles 8 et 21,

Vu les règlements (UE) n° 2015/847 relatif aux informations accompagnant les transferts de fonds, et (UE) n° 2018/1672 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de l’Union,

Considérant que l’argent liquide participe au développement des flux illégaux dans l’Union européenne ;

Considérant que le développement des moyens de paiement électroniques constitue une alternative sérieuse à l’utilisation de la monnaie fiduciaire ;

Invite la Commission européenne à proposer, après dialogue avec les États membres, un cadre harmonisé au niveau de l’Union fixant un plafond commun pour les paiements en espèces dans les transactions commerciales et entre particuliers, en cohérence avec les objectifs de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et à aboutir à une convergence progressive des législations encadrant les paiements en espèces, notamment en matière de contrôle et de sanctions ;

Invite la Banque centrale européenne à progressivement retirer de la circulation les pièces de 1 centime, 2 centimes, 5 centimes ainsi que les billets de 100 euros et 200 euros dans un calendrier qui sera défini mais dont l’année de finalisation ne devra pas dépasser 2035 ;

Encourage la Banque centrale européenne à poursuivre les travaux relatifs à l’euro numérique, en veillant à son accessibilité et à sa complémentarité avec les instruments de paiement existants, tout en garantissant un haut niveau de protection de la vie privée des utilisateurs ;

Demande que soient intégrées dans les stratégies européennes de transition numérique des dispositions facilitant l’accès de tous les citoyens, y compris les plus fragiles, aux moyens de paiement dématérialisés, notamment par des incitations aux commerçants et aux collectivités locales.