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N° 1580

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juin 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Sébastien SAINT-PASTEUR, M. Denis FÉGNÉ, M. Boris VALLAUD, M. Joël AVIRAGNET, Mme Chantal JOURDAN, M. Elie CALIFER, M. Peio DUFAU, Mme Fatiha KELOUA HACHI, Mme Anna PIC, M. Arnaud SIMION, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, M. François HOLLANDE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Marie RÉCALDE, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Deux de nos politiques publiques majeures accusent de graves défaillances : la santé mentale et le handicap.

Les députés socialistes et apparentés ont naturellement conscience de la distinction entre le champ de la santé mentale et celui du handicap. Ils constatent toutefois le commun état d’abandon des politiques publiques censées répondre à leurs défis respectifs. Ils constatent également qu’aucune Commission d’enquête parlementaire n’a cherché à comprendre les motifs d’un tel abandon. Ils voient donc un vif intérêt à créer une Commission d’enquête portant sur ces deux politiques.

En ce qui concerne tout d’abord la santé mentale, celle‑ci connaît une grave détérioration au sein de la population française.

En effet, selon les dernières données de Santé publique France de novembre 2023 :

– 1 Français sur 10 a eu des pensées suicidaires au cours de l’année ;

– Plus de 2 Français sur 10 présentent un état anxieux ;

– 7 Français sur 10 déclarent des problèmes de sommeil au cours des 8 derniers jours.

Cette dégradation de l’état de santé mentale est particulièrement forte chez les populations les plus jeunes. Certains troubles sont notamment en forte croissance depuis la crise sanitaire du Covid‑19, comme les troubles du comportement alimentaires, en hausse de 30 %.

Alors qu’il y a 10 ans, être jeune adulte était un facteur de protection de la dépression, c’est devenu depuis un facteur de risque ; la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé (DREES) parle de « phénomène épidémiologique rare ». En effet, les chiffres interpellent : si en 2017 les épisodes dépressifs concernaient 11,7 % des adultes âgés de 18 à 24 ans ; 4 ans plus tard, cette proportion a quasi‑doublé (20,8 %).

Les indicateurs sont encore plus préoccupants s’agissant des jeunes mineurs :

– 13 % des jeunes âgés de 6 à 11 ans présentent un « trouble probable de santé mentale » ;

– 21 % des collégiens et 27 % des lycéens déclarent ressentir un sentiment de solitude ;

– 24 % des lycéens déclarent des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois, et 13 % ont déjà fait une tentative de suicide au cours de leur vie.

Parmi les jeunes, la dégradation de l’état de santé mentale des jeunes filles est particulièrement alarmante : la proportion de jeunes filles âgées de 10 à 19 ans hospitalisées suite à une tentative de suicide a doublé entre 2012 et 2020 puis a de nouveau doublé entre 2020 et 2022.

Cette dégradation de l’état de santé mentale se traduit par un recours accru aux soins, notamment ceux psychiatriques. Comme l’ont constaté nos collègues Mmes Nicole Dubré‑Chirat et Sandrine Rousseau, en seulement 4 ans, le nombre de passages aux urgences pour motif psychiatriques a augmenté de plus de 20 % ([1]).

Plus globalement, la psychiatrie connaît une grave crise en France : des conditions d’accès dégradées, une pénurie de moyens, des difficultés de recrutement faute de reconnaissance notamment salariale, et enfin des inégalités territoriales marquées.

Ainsi, la psychiatrie est la grande oubliée de la médecine et des politiques publiques. Dès lors, elle s’en remet de manière croissante aux acteurs privés à but lucratif entraînant de sérieuses dérives de marchandisation.

La part du secteur privé lucratif en psychiatrie ne cesse en effet d’augmenter depuis 15 ans, à mettre en perspective avec la forte rentabilité de ces activités 8,7 %([2]) contre 2,8 % en clinique de médecine, chirurgie et obstétrique.

En mai dernier, Médiapart a révélé ces dérives entraînées par la recherche du profit en psychiatrie à travers une série « Le privé à la conquête de la psychiatrie » ([3]) : des conditions de travail dégradées, une course à la rentabilité excessive entraînant des réductions de coûts, et de potentiels faits de malveillance envers les patients.

Ces chiffres et ces faits alarmants ne sont que le symptôme de la crise plus profonde que connaît notre système de santé mentale.

Cette crise s’explique notamment par une pénurie de personnels alimentée par le manque de reconnaissance et de valorisation des métiers de la santé mentale, une inégale répartition de ces professionnels sur le territoire, un mode historique de financement de la psychiatrie qui a conduit à un sous‑financement chronique, etc.

Moins connus sont les impacts économiques de cette crise de la santé, qui sont pourtant très élevés : le coût total pour la société des troubles liés à la santé mentale était estimé pour l’année 2018 à 163 milliards d’euros ([4])°, soit environ 5 % de la richesse produite par an en France.

S’agissant du handicap, force est de constater que vingt ans après la promulgation de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes en situation de handicap, nous ne pouvons que constater de lourdes insuffisances en matière d’accessibilité, d’inclusion scolaire, d’emploi des personnes en situation de handicap ou encore de logement adapté.

De nombreux droits sont en effet non effectifs faute de moyens, d’accompagnement humain suffisant et de suivi. Ainsi, le droit en vigueur est un droit « formel » et non « réel » : il demeure trop souvent un droit empêché pour les 12 millions de concitoyens concernés, soit près de 18 % de la population ([5]), qui attendent une application effective des mesures adoptées et un accès réel aux droits.

Ce droit empêché se traduit concrètement par des délais de traitement trop longs des dossiers étudiés par les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), ceux pour disposer d’une place en établissement médico‑social, par des difficultés de prise en charge des troubles spécifiques du langage et de l’apprentissage, des troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité, des troubles neuro-développementaux, par des difficultés à se maintenir dans l’emploi pour les personnes porteuses de handicap psychique, ou encore l’angoisse de parents inquiets pour leur enfant.

Ainsi, il est de manière incompréhensible et inacceptable demandé aux parents d’un enfant polyhandicapé de justifier et multiplier les démarches, d’attendre souvent des années pour obtenir une place en Institut Médico‑Éducatif, et parfois plus d’un an pour la mise en œuvre d’un aménagement de salle de bains.

Ce droit empêché trouve ses racines dans 3 phénomènes cumulatifs.

Tout d’abord, l’accès à la citoyenneté est largement entravé pour un trop grand nombre de nos concitoyens en situation de handicap.

Ainsi, dans un avis publié le 25 avril 2024, la Commission nationale consultative des droits de l’homme souligne que les personnes en situation de handicap rencontrent toujours des « freins et des lacunes persistantes » pour exercer leur droit de vote ([6]). Concrètement, ces freins se traduisent par des bureaux de vote inaccessibles, la complexité des programmes électoraux ainsi qu’un manque d’accompagnement adapté, et surtout des documents électoraux encore trop rarement disponibles en format Facile à Lire et à Comprendre (FALC).

Ensuite, le principe d’accessibilité universelle à l’emploi, au logement, à l’école à la mobilité est encore trop bafoué.

Ainsi, depuis plusieurs années, le handicap demeure la première cause de discrimination en France ([7]). Les difficultés d’accès au logement symbolisent à cet égard le recul des droits des personnes en situation de handicap tant la loi ELAN ([8]) est largement perçue comme une régression par rapport à la loi de 2005. Un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (l’IGEDD ([9])) en a fait une évaluation critique.

En particulier, l’article 64 de la loi ELAN, qui met un terme au droit à l’accessibilité du bâti, fait particulièrement l’objet de critiques unanimes exprimées par les personnes concernées, les associations, ainsi que plusieurs institutions nationales et internationales, notamment le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Tous estiment qu’il remet en cause le principe d’accessibilité universelle, pourtant garanti par l’article 9 de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. Concrètement en 2025, seuls 900 000 des 1,8 million d’établissements recevant du public (ERP ([10])) sont engagés dans une démarche d’accessibilité, soit à peine 50 %.

Concernant l’école inclusive, malgré son inscription comme droit fondamental dans la loi n° 2005‑102 du 11 février 2005, renforcé par la loi n° 2019‑791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance ; les familles et les élèves font toujours face à une offre d’accompagnement inégalement répartie, à un manque de coordination entre l’Éducation nationale et le secteur médico‑social, et à la précarité persistante du statut des accompagnants des élèves en situation de handicap. Par ailleurs, l’accès au matériel adapté, aux soins dans l’école, ou encore la prise en charge des besoins au lycée demeurent particulièrement fragiles.

Ces défauts de prises en charge induisent aussi une précarisation croissante des familles dont les parents, principalement les femmes, se retrouvent dans l’incapacité de conserver un emploi.

Enfin, les sanctions contre ces discriminations aujourd’hui sont trop faibles et/ou peu appliquées. C’est notamment le cas des établissements recevant du public non conformes, des entreprises ne démontrant pas d’effort pour établir une trajectoire de respect de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH).

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Dans ce contexte, les députées et députés socialistes et apparentés constatent que les politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap sont fortement dysfonctionnelles ; entraînant des exclusions, de la maltraitance et des dérives pour des millions de nos concitoyens.

Dès lors, la Commission d’enquête dont la création est visée par la présente proposition de résolution devra se pencher sur les causes de telles défaillances sur ces deux politiques publiques et mesurer le coût - notamment financier et humain - desdites défaillances.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres. Cette commission d’enquête a pour missions de :

Évaluer les défaillances actuelles des politiques publiques relatives à la santé mentale ;

Évaluer le déficit d’offre de soins en santé mentale, notamment en psychiatrie ; eu égard à la demande formulée par la population ;

Identifier les dysfonctionnements dans la prise en charge des patients nécessitant des soins en santé mentale ;

Mesurer les délais d’attente et les disparités sociales et territoriales pour l’accès aux soins en santé mentale ;

Évaluer les manques de recrutement, de formation et de reconnaissance des professionnels de la santé mentale ;

Évaluer les défaillances de la gouvernance des politiques nationales et locales de santé mentale ;

Évaluer les défaillances actuelles des politiques publiques relatives au handicap ;

Évaluer l’écart entre les droits prévus par la loi et les droits réels des personnes en situation de handicap ;

Évaluer l’écart entre les prestations de compensation actuellement servies et le besoin de la population en termes de prestation de compensation ;

Identifier les restrictions à l’accessibilité des personnes en situation de handicap aux services publics, et notamment au logement, à l’emploi, à l’école, à la mobilité ; plus particulièrement l’impact de l’article 64 de la loi n° 2018 1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique sur l’accès au logement pour les personnes en situation de handicap ;

Identifier les dysfonctionnements dans les procédures de prise en charge des personnes en situation de handicap et de leurs proches ;

Mesurer les délais d’attente et les disparités sociales et territoriales pour l’accès aux soins aux professionnels et aux structures dédiés aux personnes en situation de handicap ;

Évaluer les manques de recrutement, de formation et de reconnaissance des professionnels du handicap ;

Évaluer les défaillances de la gouvernance des politiques nationales et locales du handicap ;

Évaluer le volume et la qualité de la prise en charge de la santé mentale par des acteurs privés à but lucratif ;

Établir un diagnostic du nombre de structures privées à but lucratif exerçant dans le domaine de la santé mentale, notamment dans la psychiatrie, tant en termes de volume d’activité réalisé que de qualité de l’activité ;

Identifier si le statut lucratif de ces structures ne conduit pas à des dérives, notamment en termes de sécurité et qualité des prises en charge ;

Formuler des recommandations quant aux modalités de régulation de ces acteurs ;

Évaluer le volume et la qualité de la prise en charge du handicap par des acteurs privés à but lucratif Établir un diagnostic du nombre de structures privées à but lucratif exerçant dans le domaine du handicap, tant en termes de volume d’activité réalisé que de qualité de l’activité ;

Identifier si le statut lucratif de ces structures ne conduit pas à des dérives, notamment en termes de sécurité et qualité des prises en charge ;

Formuler des recommandations quant aux modalités de régulation de ces acteurs ;

Évaluer les coûts pour la société de ces défaillances ;

Évaluer les coûts moraux, sociaux, économiques et budgétaires pour la société des défaillances actuelles des politiques publiques relatives à la santé mentale et au handicap, notamment en termes d’exclusion sociale, familiale, économique et professionnelle, de retards de prise en charge, et de dégradation de l’état de santé ;

Établir un chiffrage des besoins en professionnels et en structures supplémentaires ;

Identifier les actions à réaliser afin que ces politiques et les budgets associés soient mieux identifiés par le Parlement, notamment lors de l’adoption des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité sociale ;

Faire des recommandations sur les réponses législatives, réglementaires et budgétaires à apporter à la crise que traversent les politiques publiques relatives à la santé mentale et au handicap.

 

 


([1])  Source : Rapport d'information sur la prise en charge des urgences psychiatriques de Mmes Nicole DubréChirat et Sandrine Rousseau, Assemblée nationale, décembre 2024, lien.

([2])  Source : Données de la DREES, 2024.

([3])  Source : Médiapart, “Le privé à la conquête de la psychiatrie”, lien.

([4])  Source : Laidi C, Blampain-Segar L, Godin O, de Danne A, Leboyer M, Durand-Zaleski I. The cost of mental health: where do we stand in France? Eur Neuropsychopharmacol 2023;69:87-95.

([5])  Source : Principaux chiffres de la politique du handicap dans la fonction publique | Le portail de la fonction publique (2023).

([6])  Source : Félicité Dussel, "Accessibilité au vote des personnes handicapées encore fragile à l’approche des élections européennes”, Carenews, 13 mai 2024.

([7])  Source : Fiche 11 du Défenseur des droits, Lutter contre les discriminations à l’égard des personnes en situation de handicap

([8] Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique

([9])  Source : Rapport n°014803-01, Bilan d’application du logement évolutif (article 64 de la loi ELAN), octobre 2023.

([10])  Source : Delrue, “Handicap : l’accessibilité des bâtiments, une exigence sans cesse repoussée”, Le Monde.fr, 27 avril 2023.