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N° 1596

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juin 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à lutter efficacement contre l’antisémitisme  dans le cadre de la lutte contre toutes les formes de racisme,

 

présentée par

Mme Danièle OBONO, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Mesdames, Messieurs,

« De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : “ Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. 

Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant parlà que j’étais responsable, dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. » ([1])

L’antisémitisme est une des formes de racisme les plus anciennes, qui a conduit, au 20ème siècle, à l’extermination de 6 millions de Juifs, l’immense majorité de la population juive européenne.

Ce racisme participe d’un système global, de hiérarchisation, domination et organisation du monde, des sociétés et des individus. Un système aux multiples déclinaisons et spécificités selon les populations qui en sont les victimes, hérité de l’époque moderne et de l’histoire coloniale, ancré dans les structures sociales, politiques, économiques et culturelles.

Plusieurs chercheur·es ont identifié les prémices de ce processus commun à l’antisémitisme et aux autres formes de racisme dans l’Europe du 15ème siècle, où sévit déjà un anti‑judaïsme religieux séculaire. Les pouvoirs catholiques qui achèvent la reconquête militaire de la péninsule ibérique et lancent l’Inquisition vont faire subir aux descendant·es des populations juives et musulmanes converties au christianisme une forme de « racialisation » biologique ([2]).

Mais c’est véritablement avec l’essor et l’expansion du capitalisme du 16ème au 18ème siècle, grâce à la traite esclavagiste transatlantique et la colonisation des Amériques, de l’Afrique et de l’Asie, que la « race » est construite comme une composante structurante du monde moderne ([3]). La racialisation va notamment s’appliquer, selon des modalités différentes mais suivant le même processus, aux populations africaines déportées et esclavisées comme aux populations juives européennes opprimées sous différentes formes.

Antisémitisme et modernité raciale

Les États‑nations européens se sont en effet constitués en définissant une appartenance nationale fondée sur l’exclusion des « autres » construits et donc perçus comme racialement différents. L’antisémitisme, comme le souligne Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme (1951), a été un moteur de l’homogénéisation nationale en Europe, en excluant les Juifs des communautés nationales et en les désignant comme une menace à l’unité nationale. Le racisme colonial, tel qu’analysé par Frantz Fanon et Aimé Césaire notamment, a permis aux États européens de justifier l’expansion coloniale et d’assujettir les peuples colonisés en les considérant comme inférieurs.

Dans son Discours sur le colonialisme (1950), Aimé Césaire établit ainsi un lien direct entre les violences coloniales et les génocides européens du 20e siècle, notamment celui des Juifs sous le nazisme. Il affirme que les atrocités commises en Europe ne sont que le retour d’une violence d’abord expérimentée en dehors du continent, dans le cadre de l’impérialisme colonial. Pour lui, le nazisme n’est pas une aberration, mais une application en Europe des méthodes déjà utilisées en Afrique, en Asie et dans les Caraïbes.

Dans la lignée d’Arendt, Enzo Traverso (2016) analyse l’antisémitisme comme un élément structurant dans la construction des États‑nations européens, notamment au 19e et au début du 20e siècle ([4]). Avec l’affirmation des États‑nations modernes, la définition de la citoyenneté s’est souvent appuyée sur une opposition entre un « nous » national et un « eux » étranger. Les Juifs, perçus comme un corps étranger, ont été exclus de cette définition ethno‑nationale, ce qui a renforcé la cohésion nationale en désignant un ennemi intérieur.

L’antisémitisme moderne s’est développé en réaction à l’intégration des Juifs dans les sociétés européennes à la suite des révolutions libérales. La fin des ghettos et l’accès à la citoyenneté ont nourri des angoisses identitaires et des théories du complot sur une supposée domination juive.

Dans le cadre métropolitain, le racisme antisémite fonctionne comme une racialisation interne : les Juifs, bien que intégrés à la société, sont construits comme un « autre intérieur », perçus comme une menace pour l’unité nationale. Ce racisme cherche à exclure ou éliminer un groupe perçu comme une menace interne, puisqu’il ne peut pas être réduit à un statut servile ou exploité de manière comparable aux peuples colonisés.

Dans le cadre colonial, la racialisation est tournée vers l’extérieur. Elle sert à justifier la domination et l’exploitation des peuples colonisés en les définissant comme radicalement « autres » (inférieurs, barbares, primitifs, etc.). Le racisme négrophobe cherche à exploiter une population construite comme racialement inférieure, en maintenant une distance (géographique et politique) entre les colonisés et les colonisateurs.

Ces formes de racialisation s’articulent et se renforcent mutuellement. Le projet colonial a souvent intégré des éléments de racisme antisémite tandis que les politiques racistes en Europe ont parfois été influencées par des modèles coloniaux. Le racisme négrophobe colonial et le racisme antijuif métropolitain sont des formes connectées de la modernité raciale, qui ont façonné les États‑nations, l’impérialisme et les systèmes de domination du 20e siècle.  

Antisémitisme et racisme systémique

La Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme (DJA) le définit comme « la discrimination, les préjugés, l’hostilité ou la violence envers les juifs, en tant que juifs (ou contre les institutions juives, en tant qu’elles sont juives). » ([5]). Pour ses auteur·es, s’il est vrai que l’antisémitisme présente certaines caractéristiques propres, le combat contre ce racisme « ne saurait être dissocié de la lutte globale contre toutes les formes de discrimination raciale, ethnique, culturelle, religieuse et sexuelle. »

L’antisémitisme est en effet produit par et participe d’un système commun aux autres formes de racisme (négrophobie, islamophobie, antitsiganisme, racisme anti‑asiatique…) et d’oppressions. On ne peut lutter efficacement contre l’antisémitisme qu’en luttant avec la même rigueur contre toutes les autres formes de racisme. Et de manière corollaire, produire ou alimenter une forme ou une autre de racisme produit et alimente en retour l’antisémitisme.

Ce système est construit autour de la notion de « race » que les chercheur·es critiques définissent comme « l’une des modalités sociales de la production des inégalités entre les groupes », un « rapport de pouvoir qui structure, selon des modalités diverses en fonction des contextes et des époques, la place sociale assignée à tel ou tel groupe au nom de ce qui est censé être une altérité de son origine (géographique, culturelle ou religieuse). » ([6])

Ce système fonctionne suivant une mécanique qu’on retrouve dans toutes les formes d racisme : différenciation, péjoration de cette différence transformée en stigmate, réduction de l’individu à son stigmate, écrasement de toutes les différences qui peuvent exister entre porteurs d’un même stigmate, légitimation d’une inégalité de traitement par la moindre dignité des racisés ([7]).

Il s’agit d’une construction profondément ancrée dans l’organisation et les relations sociales au sein de notre société. Il s’imprime dans les consciences et génère des atteintes physiques et des discriminations systémiques qui touchent aux différentes sphères de la société telles que la justice pénale, l’emploi, le logement, la santé, le pouvoir politique et l’éducation.

Il porte aussi atteinte au plus profond, au plus intime de l’individu. Il est, écrit Rachida Brahim, « un vide dans lequel nous devons néanmoins croître sans assises et sans certitudes, mais avec ces milliers de fragments postmémoire qui tailladent quotidiennement nos esprits et l’aisance avec laquelle nous devrions être au monde. » ([8]).

Ce qui est vrai du racisme en général, est vrai de l’antisémitisme en particulier.

Préjugés persistants

L’antisémitisme, comme toutes les formes de racisme, s’imprime dans les consciences. Dans son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) mesure tous les ans l’évolution des préjugés envers les minorités religieuses et culturelles en France et permet d’avoir un regard sur l’état de la tolérance les concernant.

En 2024, ces travaux indiquent que « le sentiment que les Juifs sont des « Français comme les autres » […] s’est imposé. La proportion de sondés « tout à fait » ou « plutôt d’accord » atteint 89 %, soit une proportion supérieure de 11 points à celle observée pour les Musulmans, de 30 points à celle pour les Roms. La religion juive évoque quelque chose de positif à 37 % des sondés, contre 32 % pour la religion musulmane […]. Le sentiment que les Juifs forment « un groupe à part » dans la société est minoritaire, partagée par 23 % des personnes interrogées, contre 32 % pour les Musulmans, 35 % pour les Chinois et 63 % pour les Roms, et elle est stable au fil du temps. »[9].

Toutefois, des stéréotypes anciens persistent. Ainsi, le niveau d’accord avec l’idée selon laquelle les Juifs auraient un pouvoir excessif « oscille entre 17 % et 37 %, avec des pics périodiques et de fortes variations du taux de sans réponses en fonction de l’actualité. En 2023, le taux d’approbation est de 20 %, en hausse de 2,5 points par rapport à l’année précédente. » Également, « l’idée que « les Juifs ont un rapport particulier à l’argent » est encore partagée par 37 % des personnes interrogées en 2023, comme lors des deux dernières vagues de 2022. ».

Comme le rappelle les auteurs de la déclaration de Jérusalem, l’idée que les Juifs entretiennent un lien particulier avec les forces du mal caractérise l’antisémitisme « classique ». Un tel sentiment est au cœur de nombreux fantasmes antijuifs, par exemple la fiction d’une conspiration juive, c’est‑à‑dire l’attribution aux juifs d’un pouvoir caché qu’ils utiliseraient pour faire avancer leurs propres objectifs aux dépens de ceux de la population au sein de laquelle ils vivent.

Un nombre important d’atteintes

D’après l’enquête de victimation Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS), un peu plus d’1 million de personnes de 18 ans et plus vivant en France métropolitaine déclarent avoir été victimes d’au moins une atteinte « à caractère raciste » en 2022, soit 2,4 % de l’ensemble de la population majeure (contre 1,6 % l’année précédente). Moins de 3 % d’entre elles réalisent une démarche auprès des services de sécurité ([10]).

Ce sont autant des femmes que des hommes, mais deux fois plus souvent des jeunes que des quadragénaires. Les immigré·es et encore plus leurs descendant·es se disent incomparablement plus touché·es que les Français·es né·es en France. Les personnes plus modestes, les chômeur·euses et les habitant·es des quartiers prioritaires indiquent aussi beaucoup plus souvent être victimes de discriminations ([11]).

En 2024, les services de police et de gendarmerie ont enregistré plus de 16 000 infractions à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux sur l’ensemble du territoire français. Les atteintes à caractère raciste, xénophobe ou en lien avec la religion supposée de la personne, sont des discriminations dans plus de la moitié des cas (61 %) ([12]).

1 570 actes antisémites ont été recensés dont 65 % d’atteintes aux personnes représentant 1 024 actes au total. La majorité de ces atteintes aux personnes ont été des propos ou gestes menaçants matérialisés par 652 actes, et 106 actes ont concerné des violences physiques. Les 546 atteintes aux biens ont essentiellement été des inscriptions antisémites (432) et des dégradations (88).

Ces chiffres sont en baisse de 6,3 % par rapport au niveau record et sans précédent de 2023 où 1 676 actes antisémites ont été comptabilisés. Ils constituent néanmoins un niveau très élevé en comparaison des 436 actes antisémites recensés en 2022, sachant que depuis 2012, ils oscillaient entre 311 et 851 par an ([13]).

En outre, ces chiffres sont vraisemblablement en dessous de la réalité car les atteintes racistes sont en général sous‑déclarées. L’enquête VRS révèle que seulement 1 victime de menaces ou violences physiques « racistes » sur 4 (25 %), moins d’une victime d’injure « raciste » sur vingt (4 %) et une victime de discrimination liée à l’origine, la couleur de peau ou la religion supposées sur cinquante (2 %) a déclaré s’être déplacée au commissariat de police ou en brigade de gendarmerie pour signaler les faits subis ([14]).

Le recensement des actes antisémites, comptabilisé parmi les actes antireligieux, se heurte à plusieurs difficultés pratiques, relève le journaliste Philippe Descamps ([15]). Il rappelle ainsi qu’un rapport de mission rédigé à la demande du Premier ministre Jean Castex en 2022 constatait qu’il n’existe pas de statistiques publiques sur les actes antireligieux du fait de l’absence de qualification pénale autonome.

Les données rendues publiques sont issues des remontées des services de police et de gendarmerie, avec le concours d’associations représentant les cultes. Ainsi, le seul inventaire public annuel détaillé des actes antisémites reste celui du Service de protection de la communauté juive (SPCJ) qui émane des institutions juives de France et dont la rigueur aurait parfois été prise en défaut.

La méthodologie du SPCJ interroge en effet lorsque parmi les actes antisémites retenus dans son rapport annuel figurent des situations telles que celle‑ci : « Des militants propalestiniens ont interrompu samedi soir un spectacle de la troupe israélienne Batsheva à la Grande Halle de la Villette […] les militants ont fait irruption sur la scène en brandissant des drapeaux palestiniens et en scandant Free Palestine » ([16]).

Or, comme le rappelle la Déclaration de Jérusalem, soutenir l’exigence de justice du peuple palestinien ou critiquer Israël en tant qu’État, ne relève pas, a priori, de l’antisémitisme. Par contre, le fait de tenir les Juifs collectivement responsables de la conduite d’Israël ou traiter les Juifs, simplement parce qu’ils sont juifs, comme des agents d’Israël, relève bien, a priori, de l’antisémitisme.

Discriminations croisées

L’antisémitisme, comme toutes les formes de racismes, se traduit aussi par des discriminations. L’enquête VRS relève ainsi une « très forte hausse » (+52 %) des faits de discrimination entre 2021 et 2022, avec une prépondérance nette de victimes se déclarant discriminées sur la base de leurs origines (48 %), leur couleur de peau (29 %) et leur religion (25 %).

En 2024, l’emploi demeure le premier domaine de discriminations avec près de la moitié des saisines auprès de la Défenseure des droits qui concernent ce domaine ([17]). À partir d’un test sur curriculum vitae (CV), une étude de 2015 de l’Institut Montaigne montrait ainsi qu’à CV équivalents, les candidat·es juif·ves et musulman·es pratiquant·es sont défavorisé·es par rapport à leurs homologues catholiques.

La probabilité des catholiques d’être contacté·es par la ou le recruteur pour un entretien d’embauche est supérieure de 30 % à celle des juif·ves et deux fois plus forte que celle des musulman·es. « [À] compétences égales, le taux de réponse d’une candidate juive ordinaire et d’un candidat juif d’exception est 1,7 et 1,5 fois inférieur respectivement à celui de leur homologue catholique. La discrimination à l’embauche à l’égard des candidats perçus comme juifs existe bel et bien. Et elle n’est pas le fait de recruteurs « d’origine musulmane » puisque 95 % des personnes auxquelles les candidats devaient faire parvenir leur candidature ont un prénom et un nom qui signalent une origine française ou européenne. » ([18])

Une législation ambiguë

Le cadre légal qui s’applique aux infractions à caractère raciste et xénophobe a pour particularité que certaines infractions sont réprimées par le droit pénal commun et d’autres par le droit de la presse issu de la loi du 29 juillet 1881 ([19]).

La première loi, emblématique, est celle du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme dite « loi Pleven ». Elle fait suite à la ratification par la France de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée par l’ONU en 1965. Elle procède, donc, non pas d’une initiative propre mais d’un alignement juridique contraint.

Le texte introduit dans la loi de 1881 les délits spécifiques d’injure et de diffamation à caractère raciste ainsi que la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale. Il incrimine également les discriminations raciales commises par des agents publics ou par des personnes privées, dans l’accès aux biens et aux services ou encore à l’emploi. Mais la loi est difficile à appliquer et il y a peu de condamnations effectives.

Pour la sociologue Rachida Brahim (2021), le fait d’être resté centré sur les discours racistes individuels (injures, diffamation), en évitant de traiter les causes structurelles du racisme, a durablement verrouillé l’approche française du racisme dans une logique morale et individualisante, plutôt que politique et systémique ([20]).

D’autres chercheurs partagent cette critique à l’encontre d’une législation construite sur une base fragile, peu engagée politiquement, et souvent dépendante d’échéances diplomatiques ou judiciaires. C’est le cas du politiste Vincent Geisser (2003) et du juriste Thomas Hochmann (2009) qui ont notamment analysé la loi du 13 juillet 1990 dite « loi Gayssot » qui sanctionne la contestation des crimes contre l’humanité, en particulier la Shoah ([21]).

Pour Geisser, cette loi introduit une hiérarchisation des racismes dans les politiques françaises, en priorisant la lutte contre l’antisémitisme, mais invisibilisant l’islamophobie ou le racisme anti‑noir. Il met également en lumière l’instrumentalisation de l’antiracisme à des fins de contrôle social, notamment dans le contexte post‑11 septembre 2001 et des débats sur l’identité nationale.

La loi du 3 février 2003, qui a enfin introduit le mobile raciste en circonstance aggravante pour certains crimes et délits de droit commun, comporte des travers similaires selon Rachida Brahim, qui rejoint la critique portée par Eric Fassin (2005) sur les usages politiques de l’antiracisme institutionnel ([22]).

Le gouvernement Sarkozy s’est appuyé sur une approche sécuritaire du racisme, en insistant sur son lien avec la délinquance. Le racisme est présenté comme un problème individuel et comportemental plutôt que comme un phénomène structurel et systémique. Brahim critique cette approche qui conduit à une réponse purement répressive sans s’attaquer aux racines du racisme dans la société.

L’introduction de la circonstance aggravante de racisme a été justifiée par la nécessité de protéger l’ordre public et de prévenir les tensions intercommunautaires, détournant ainsi l’attention du fait que le racisme est une forme spécifique de violence et d’oppression. Une telle approche minimise la reconnaissance du racisme en tant que violence ciblée et politique, en le réduisant à une menace pour la cohésion sociale.

Le renforcement législatif a ainsi été présenté comme une réponse à une montée de l’antisémitisme dans certains segments de la population (les arabo‑musulman·es vivant dans les banlieues défavorisées). Les promoteurs du texte ont ouvertement repris à leur compte la thèse du « nouvel antisémitisme » relayée en France par le chercheur Pierre‑André Taguieff et jugée essentialisante et islamophobe par nombre de critiques ([23]).

Ce cadrage a réduit la question du racisme à une problématique communautaire et occulté d’autres formes de racisme systémique. En donnant une place centrale à l’antisémitisme tout en reléguant les autres formes de racisme à un second plan, la loi de 2003 aurait ainsi contribué à une hiérarchisation contre‑productive pour cette lutte et délétère et pour les personnes juives.

De plus, contrairement aux directives européennes qui incitaient les États membres à favoriser une protection catégorielle des victimes et à inverser la charge de la preuve, le texte a fortement restreint l’application de cette loi en faisant le choix que la seule catégorie à laquelle la victime a été assignée ne suffit pas à considérer que l’action est de nature raciste nécessitant une expression verbale de l’auteur.

Des politiques inconséquentes

Adossée à un cadre légal problématique, la lutte contre le racisme est d’autant plus difficile à mener au sein des institutions françaises que les gouvernements successifs s’avèrent incapables de mettre en œuvre des politiques publiques coordonnées et effectives sur le sujet.

La délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcrah) est créée en février 2012 à l’initiative du gouvernement dans un cadre plus large de conformité aux engagements internationaux de la France en matière de droits humains et de lutte contre les discriminations et du premier Plan national d’action contre le racisme et l’antisémitisme ([24]).

L’élaboration d’un plan national d’action répond aussi à l’origine à l’engagement pris par la France, devant le Conseil des droits de l’Homme (2008) et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies - Cerd (2010) de rendre sa politique publique de lutte contre le racisme plus cohérente et plus conforme à la Déclaration adoptée par la Conférence mondiale contre le racisme qui s’est tenue à Durban en 2001 ([25]).

Trois plans nationaux contre le racisme et l’antisémitisme se sont ainsi succédé : en 2012‑2014, 2015‑2017 et 2018‑2020. La seule évaluation accessible et détaillée concerne le plan 2015‑2017. Confiée à l’Inspection générale de l’administration (IGA) et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGEN), elle en tire un bilan « contrasté ». Sont notamment pointés : une mobilisation inégale des ministères, à peine un peu plus de la moitié des actions prévues réalisées, des subventions limitées pour les comités opérationnels locaux et des difficultés à établir un bilan budgétaire consolidé ([26]).

Le plan affichait en effet un objectif de 100 millions d’euros sur trois ans, reposant sur un dispositif de financement interministériel auquel contribuent d’une part les crédits de la Dilcrah, et de l’autre ceux de nombreux ministères. Or, sur l’ensemble de ces crédits, seule une partie, si on se limite aux mesures nouvelles, totalisant près de 40 millions d’euros, a pu être identifiée par la mission et directement imputée à la mise en œuvre du plan 2015‑2017.

L’engagement budgétaire est l’un des principaux points aveugles récurrents des politiques publiques à ce sujet. Le plan 2015‑2017 est le seul, à notre connaissance, à avoir affiché un objectif chiffré. Le dernier plan en date (2023‑2026) a mis trois ans à être élaboré. Il est censé s’appliquer à moyens constants alors même que les ministères chargés de son application subissent une austérité sans précédent, suscitant de grands doutes sur son effectivité, après l’échec reconnu à demi‑mot du précédent ([27]).

Plus fondamentalement, comme les précédents, il ne présente aucune réflexion sur les origines et les moyens indispensables pour lutter contre les discriminations systémiques pourtant indispensables à la mise en place d’une réelle politique publique antiraciste. C’est ce que notent les différents rapports et recommandations d’organismes nationaux comme internationaux.

En 2022, le Cerd se disait « préoccupé par le fait que la discrimination raciale systémique, ainsi que la stigmatisation et l’utilisation de stéréotypes négatifs à l’égard de certaines minorités, notamment les Roms, les Gens du voyage, les personnes africaines et d’ascendance africaine, les personnes d’origine arabe et les nonressortissants demeurent fortement ancrées dans la société française. » ([28])

Dans son sixième rapport sur la France publié la même année, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance exprimait, elle aussi, des préoccupations quant aux discriminations systémiques, notamment celles affectant les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes, en particulier lors des contrôles d’identité ([29]).

En 2024, à propos du nouveau plan de lutte contre le racisme, La Défenseure des droits indiquait quant à elle qu’il « ne saurait être considéré comme une réponse à la recommandation de l’institution qui demandait aux pouvoir publics de mettre en œuvre une stratégie nationale et de déployer des plans globaux, structurels et coordonnés, destinés à lutter contre les discriminations dans leur dimension systémique et permettant d’articuler les différentes approches par critère. » ([30]).

Amalgames et instrumentalisations

La hiérarchisation et mise en concurrence des racismes affecte négativement la lutte contre l’antisémitisme en elle‑même. La manque de moyens attribués à la lutte contre les autres formes de racisme les attise. Et en donnant une place supposée privilégiée à la lutte contre l’antisémitisme, ce sont aussi les préjugés antisémites qui sont renforcés, tandis que les solidarités antiracistes entre minorités opprimées sont affaiblies.

Non seulement les pouvoirs politiques français n’ont jamais pris la mesure de la dimension systémique et structurelle du racisme, mais depuis maintenant plus de vingt ans, le parti pris idéologique adopté dans l’analyse de l’antisémitisme a affaibli la lutte contre cette forme de racisme et en alimenté d’autres.

La thèse du « nouvel antisémitisme » est formulée en 1974 par Benjamin Epstein et Arnold Forster, membres dirigeants de l’AntiDefamation League (ADL), une association étatsunienne de lutte contre l’antisémitisme et les discriminations fondée en 1913. Après 1948 et la création d’Israël, l’ADL intègre progressivement la défense d’Israël comme une composante majeure de sa mission. Sous la direction d’Epstein et de Forster, ce pays devient un axe prioritaire de son action ([31]).

Dans The New AntiSemitism (1974), Epstein et Forster affirment qu’une nouvelle forme d’antisémitisme est apparue, différente du vieil antisémitisme chrétien ou racial. L’antisémitisme ne disparaît pas, il mute. Il ne s’exprime plus par des propos ouvertement haineux, mais par des discours codés ou détournés. Il se cache notamment derrière des critiques excessives ou systématiques d’Israël.

Les auteurs dénoncent l’hostilité croissante envers Israël dans les cercles intellectuels, progressistes ou du tiers‑mondisme. Ils pointent les résolutions de l’ONU, comme celle de 1975 (postérieure au livre, mais illustrant leur propos), assimilant le sionisme à du racisme. Selon eux, le danger ne vient plus seulement de l’extrême droite, mais essentiellement de la gauche radicale, de certains milieux universitaires, et du monde arabe et musulman. Ce faisant, ils minimisent et nient l’antisémitisme, notamment dans sa dimension systémique, et l’utilisent en réalité à des fins uniquement oppressives et racistes.

Le contexte géopolitique de l’époque est marqué par une perte de légitimité d’Israël, qui, après la guerre des Six Jours (1967), passe du statut de pays perçu comme assiégé à celui de puissance occupante. La guerre du Kippour (1973), puis l’émergence du mouvement palestinien et la reconnaissance croissante de l’OLP sur la scène internationale, changent aussi les perceptions. Le gouvernement israélien va alors utiliser le discours du « nouvel antisémitisme » pour discréditer les critiques des politiques israéliennes, notamment dans les forums internationaux (ONU, universités, ONG) et pour mobiliser les diasporas juives, notamment en Europe et aux États‑Unis, autour d’Israël ([32]).

La thèse d’Epstein et Forster a été contestée à plusieurs titres. En premier, car elle assimile toute critique du sionisme ou des politiques israéliennes à de l’antisémitisme et permet d’instrumentaliser cette accusation pour faire taire les défenseur·es des droits palestiniens. En outre, en se concentrant quasi exclusivement sur la gauche antisioniste et les critiques d’Israël, elle passe sous silence la montée de l’extrême droite suprémaciste, l’antisémitisme complotiste ou l’utilisation de l’antisémitisme à des fins islamophobe, et les violences raciales systémiques. Enfin, parce qu’elle affaiblit la portée du terme même d’ » antisémitisme » ([33]).

L’ouvrage a pourtant posé les bases de la grille d’analyse qui sera reprise, amplifiée et adaptée 30 ans plus tard par des penseurs comme Pierre‑André Taguieff et par les pouvoirs publics français. En 2017, lors de la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv peu après son élection, le président Emmanuel Macron déclare, devant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu invité pour la première fois à cette cérémonie, « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme » ([34]).

Cette affirmation est réfutée par les travaux de la CNCDH. Dans son rapport sur l’année 2023, elle conclut que : « l’antisémitisme sous sa forme traditionnelle n’a pas disparu. S’il remonte indéniablement à l’extrême gauche, et chez les personnes d’ascendance non européenne, particulièrement celles de confession musulmane […] il reste plus marqué à droite et à l’extrême droite du champ politique. Les gros bataillons de l’antisémitisme se composent de nonMusulmans, de personnes sans ascendance extraeuropéenne, et situées à droite sur l’échiquier politique. » ([35])

L’antisémitisme est donc bien structurel, infuse partout et ne se combat que s’il est compris comme un racisme systémique, c’est‑dire qu’il circule dans tous les bords de la société, comme les autres formes de racisme.

Le rapport réfute aussi l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme. Jusqu’ici l’enquête ne comportait pas de questions relatives à l’antisionisme censé être au cœur du « nouvel antisémitisme », estimant que le terme de sionisme était mal connu. La CNCDH a néanmoins décidé d’ajouter pour 2023 « sionisme » à la liste des termes pour lesquels est demandé « si cela évoque pour vous quelque chose de très positif, assez positif, ni positif ni négatif, assez négatif, et très négatif », avec la possibilité de dire « je ne sais pas ce que ça veut dire ». Résultat : les refus de trancher sont majoritaires, confirmant que le terme est peu familier.

« Pour 20 % des sondés, le terme évoque quelque chose de « ni positif ni négatif », 34 % ne savent pas ce que c’est ou ne répondent pas (respectivement 27 % et 7 %), soit un total de 54 % de l’échantillon qui ne se prononce pas. Il est donc difficile de voir dans l’antisionisme le ressort clé de l’antisémitisme contemporain. Si on regarde les opinions exprimées, soit les 46 % restants, elles sont essentiellement négatives (36,5 %, mais il n’y a pas de relation statistiquement significative entre image négative du sionisme et niveau d’antisémitisme tel que mesuré par notre échelle. » ([36])

La Commission conclut que « la critique d’Israël et de sa politique n’est donc pas le ressort premier de l’antisémitisme en France aujourd’hui, même après le 7 octobre et le débat tendu qui s’est ouvert autour de la réponse d’Israël aux attaques du Hamas ».

La Déclaration de Jérusalem indique par ailleurs que « critiquer le sionisme ou s’y opposer, en tant que forme de nationalisme, ou plaider pour la mise en place de différents types de solutions constitutionnelles, pour les Juifs et les Palestiniens, dans la région située entre le Jourdain et la Méditerranée », ne relève pas, a priori, de l’antisémitisme. « Il n’est pas antisémite de se prononcer en faveur de modalités politiques accordant une égalité pleine et entière à tous les habitants de cette région, qu’il s’agisse de prôner une solution à deux États, la création d’un État binational, d’un État unitaire démocratique ou d’un État fédéral, ou la mise en place de tout autre système politique, quelle qu’en soit la forme. »

Dans un rapport d’août 2024, la rapporteure spéciale de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a analysé l’impact qu’a le conflit à Gaza sur la liberté d’expression dans le monde. Elle indique ainsi que les réactions des États à la défense de la cause palestinienne ont eu tendance à faire l’amalgame et la confusion entre critique des politiques d’Israël, qui est un exercice légitime du droit à la liberté d’expression, et antisémitisme, qui est la haine raciale et religieuse des Juifs et qui doit être condamnée[37].

Notant que les semaines qui ont suivi octobre 2023 ont été marquées par une forte hausse du nombre de plaintes pour antisémitisme partout dans le monde en comparaison avec la même période de l’année précédente, le rapport appuie sur la nécessité d’inscrire « la lutte contre l’antisémitisme dans le cadre des normes internationales des droits humains, pour qu’il y ait une compréhension commune du problème et de ses causes profondes et que, par conséquent, des réponses plus efficaces puissent être apportées pour l’éradiquer. Sinon, la discrimination à l’encontre d’un groupe vulnérable risquerait d’être remplacée par une autre discrimination à l’encontre d’un autre groupe, ce qui, loin de faire reculer l’antisémitisme, attiserait encore plus la haine et l’intolérance. »  

La rapporteure de l’ONU conclut que si l’antisémitisme est une forme grave de haine raciale et religieuse qui doit être condamnée, la lutte contre l’antisémitisme ne devrait pas être instrumentalisée et politisée pour protéger Israël ou empêcher toute critique de l’idéologie politique du sionisme.

Elle rappelle que le droit international des droits humains établit une distinction claire entre la critique de l’action politique, à laquelle aucun État ne saurait se soustraire et considère que : « Le génocide à Gaza, la violation des droits humains dans le Territoire palestinien occupé et le nonrespect par Israël de ses obligations juridiques internationales, en ce compris l’occupation du territoire palestinien, sont des questions d’intérêt public mondial. Aucune restriction de la liberté d’expression ne peut être imposée sur ces questions. »

Elle indique également que la « définition pratique » que donne l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste de l’antisémitisme n’est pas compatible avec le droit international des droits humains et ne devrait pas être utilisée pour définir des politiques ou réglementer la liberté d’expression.

Une autre politique est urgente et possible

Le racisme, sous toutes ses formes, sert à maintenir le statu quo et justifier les inégalités en divisant le peuple. Nous le combattons radicalement. Parce que nous plaçons la relation humaine sous l’égide de la solidarité, la reconnaissance de la similitude des besoins et l’égalité des droits à les satisfaire, notre projet politique vise à unifier toutes celles et ceux qui ont intérêt à tout changer. « Nous traitons de l’éradication de tout un ordre inégalitaire socioracial auquel il s’agit de rester insoumis et insoumises. Parce qu’il est le moyen de pérennisation d’un système fondé sur l’exploitation de la grande majorité abasourdie dans des différences essentialisées par une petite minorité qui le lui inculque. » ([38])

L’universalité des droits n’est pas négociable en République. Toutes celles et ceux qui adhèrent au programme « Liberté, Egalité, Fraternité » sont français·es, citoyen·nes, et donc égales et égaux. De ce principe en droit, il faut faire une réalité de fait. C’est l’objectif des propositions que défend La France insoumise, comme la création d’un Commissariat à l’égalité doté d’un corps d’inspectrices et d’inspecteurs et de moyens humains et financiers conséquents pour coordonner les politiques publiques ([39]).

Ou encore, le renforcement des obligations à la charge des administrations publiques et des entreprises privées par la création d’un pôle de prévention des discriminations lors du rétablissement des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en charge de la formation, sensibilisation des salarié·es, d’évaluation des pratiques.

Aux politiques globales et transversales doivent se coordonner des mesures spécifiques comme, par exemple, en matière de politique mémorielle convergente : l’instauration du 4 février comme jour férié national en mémoire des victimes de l’esclavage et de leurs luttes ; la création d’un musée de la résistance juive en France ou encore la reconnaissance et la condamnation du massacre des Algériens du 8 mai 1945 à Sétif, Kherrata, Guelma et leurs environs ([40]).

La présente proposition de résolution vise ainsi à lutter efficacement contre l’antisémitisme au moyen d’une convergence de lutte avec tous les autres racismes, en réintégrant l’appréhension de cette forme spécifique dans une approche globale du racisme comme système et en coordonnant plus étroitement les politiques contre toutes les formes de racisme au lieu de les opposer ou les hiérarchiser.

 


– 1 –

proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme,

Vu la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Vu la Convention européenne des droits de l’Homme, en particulier son article 14,  

Vu le Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui pose une interdiction générale de la discrimination,

Vu le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité relatif à l’incrimination des actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques,

Vu la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, de la Cour de justice de l’Union européenne et des juridictions nationales sur l’incitation à l’antisémitisme et au discours de haine, y compris la négation de la Shoah, sa distorsion, sa minimisation, son approbation et sa justification, tel le rejet du blâme sur les victimes,

Vu la résolution 2106 (2016) du Conseil de l’Europe du 20 avril 2016 intitulée « Engagement renouvelé dans le combat contre l’antisémitisme en Europe »,

Vu la décision‑cadre 2008/913/JAI du Conseil de l’Union européenne sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal,

Vu la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse,

Vu la loi n° 72‑546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme dite « Pleven »,

Vu la loi n° 90‑615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe dite « Gayssot »,

Vu la loi n° 2003‑88 du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe,

Vu la loi n° 2004‑204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite « Perben », 

Vu la loi n° 2008‑496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations,

Considérant que la lutte contre l’antisémitisme fait partie intégrante de la lutte contre le racisme et les discriminations, tout en appelant des mesures qui tiennent compte de sa spécificité ;

Déplorant les instrumentalisations politiciennes de l’antisémitisme qui nuisent à la lutte contre cette forme de racisme voire le renforcent, en opposant notamment les victimes de l’antisémitisme avec celles des autres formes de racisme ;  

Constatant que le plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations 2023‑2026 ne s’accompagne d’aucun apport budgétaire ;

Observant que le plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations 2023‑2026 ne présente aucune réflexion sur les origines et les moyens nécessaires pour lutter contre le racisme et les discriminations systémiques pourtant indispensables à la mise en place d’une réelle politique publique antiraciste ;

Constatant avec préoccupation le niveau important des atteintes à caractère raciste en général et antisémite en particulier ;

Invite le Gouvernement à revoir sa stratégie de lutte contre l’antisémitisme en l’intégrant dans la lutte contre toutes les formes de racisme et discriminations, y compris dans leur dimension systémique et intersectionnelle, et prenant toutes les mesures nécessaires pour combattre toutes ses manifestations et veiller à ce que la lutte contre l’antisémitisme soit menée à tous les échelons administratifs – national, régional et local ;

Invite le Gouvernement à adopter la définition de l’antisémitisme issue de la déclaration de Jérusalem qui caractérise le racisme antisémite, de manière claire et sans amalgames connexes, comme « une discrimination, un préjugé, une hostilité ou une violence à l’encontre des Juifs en tant que Juifs ou des institutions juives en tant que juives » ;

Invite le Gouvernement à engager une évaluation précise et détaillée des besoins humains et financiers en matière de lutte contre le racisme et les discriminations raciales de manière générale et spécifique, notamment contre l’antisémitisme, afin d’élaborer un budget suffisant pour y répondre ;

Invite le Gouvernement à assurer au niveau local, régional et national, la formation continue des agents et agentes des services publics, et notamment les personnels de police et de justice, à la prévention et à la lutte contre l’antisémitisme et toutes les formes de racisme ;

Invite le Gouvernement à veiller à la participation à ces efforts d’un large éventail d’acteurs et actrices issus d’horizons différents – en particulier des secteurs associatif, syndical, social, économique, politique, juridique, éducatif et culturel, religieux – et ayant des approches et sensibilités diverses, afin d’assurer une réelle pluralité des points de vue.

 

 


([1]) Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952

([2]) Reza Zia-Ebrahimi, Antisémitisme et islamophobie. Une histoire croisée, 2021. « Le concept de limpieza de sangre (pureté de sang), fondamental pour l’Inquisition espagnole, occupe une place centrale dans l’élaboration des idées d’immuabilité et de hiérarchisation raciale. Il constitue le premier véritable cas de croisement entre l’histoire de l’antisémitisme et celle de l’islamophobie modernnes dans une forme racialement déterministe. [...] En Ibérie, le principe de pureté du sang présente le même genre de déterminismes que les formes plus récentes de racisme et contribue de manière identique à la structuration et à la légitimation d’inégalités sociales. [...] La racialisation n’est pas apparue au 18ème siècle. » (p. 42-51)

([3]) David Roediger, How Race Survived US History: From Settlement and Slavery to the Eclipse of Post-racialism, 2008 ; Aurélia Michel, Un monde en nègre et en blanc, 2020 : « La race n’est pas simplement une pensée impure ou immorale que l’école républicaine doit apprendre à chasser et la justice à réprimer. Il s’agit d’un processus qui a commencé par l’expansion européenne et le développement de la traite atlantique au XVIe siècle, s’est diffusé à travers la colonisation de l’Afrique et de l’Asie, et auquel s’accrochent tous les résidus de violence raciste encore présents dans nos démocraties capitalistes. » (p. 14-15)

([4]) Enzo Traverso, La fin de la modernité juive, 2016

([5]) Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme, 2021. Cette définition a été élaborée par des universitaires, chercheuses et chercheurs originaires du monde entier, dont les études portent sur l’antisémitisme, l’histoire juive et le judaïsme, l’Holocauste, Israël, la Palestine et le Moyen-Orient. Elle s’appuie sur la Déclaration universelle des droits humains de 1948, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1969, la Déclaration du Forum international de Stockholm sur l’Holocauste de 2000 et la Résolution des Nations Unies sur la mémoire de l’Holocauste de 2005.

([6]) Sarah Mazouz, Race, 2020, p. 26

([7]) Pierre Tevanian, La mécanique raciste, 2017, p. 16

([8] achida Brahim,  La race tue deux fois, Une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), 2021

([9])  Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH),  Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 27 juin 2024, p. 263

([10])  Ministère de l’intérieur, « Les atteintes à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux en 2024 », 14 mars 2025,  Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS), 2023

([11]) CNCDH, Les Essentiels du rapport 2022 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, juillet 2023 ; Centre d’observation de la société, « Qui sont les victimes du racisme ? », 14 mai 2021

([12]) Ministère de l’intérieur, Les atteintes à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux en 2024, 14 mars 2025

([13]) France info, « Le nombre d’actes antisémites recensés en France baisse en 2024 mais reste à un niveau élevé, avec 1 570 affaires », 22/01/25 ; Libération, « Antisémitisme : 1 570 actes recensés en 2024, en légère baisse sur un an mais toujours à un niveau « historique »,  22 janvier 2025 ;  CNCDH,  Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, 27 juin 2024, p. 34

([14]) CNCDH,  Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, 27 juin 2024, p. 76

([15]) Philippe Descamps, « En France, un racisme parmi d’autres », Le Monde diplomatique, février-mars 2025, p. 32

([16]) Service de protection de la communauté juive, Rapport sur l’antisémitisme en France 2023, p. 65 ; Libération, « Tags, insultes, menaces : que sait-on du recensement des actes antisémites enregistrés depuis le 7 octobre ? », 17 octobre 2023

([17]) Défenseure des droits, Rapport annuel d’activité 2024, 25 mars 2025, p. 13

([18]) Marie-Anne Valfort, Discriminations religieuses  à l’embauche : une réalité, Institut Montaigne, octobre 2015, pp. 68 & 93

([19]) CNCDH,  Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, 27 juin 2024, annexe 4, p. 325

([20]) Rachida Brahim, La race tue deux fois, Une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), 2021

([21]) Vincent Geisser, La nouvelle islamophobie, 2003 ; Thomas Hochmann, Le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression, 2009

([22]) Eric Fassin,  L’inversion de la question homosexuelle, 2005.

([23]) Pierre-André Taguieff,  La nouvelle judéophobie, 2002 ; Daniel Lindenberg, Le rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, 2002 ; Vincent Geisser, La nouvelle islamophobie, 2003 ; Éric Fassin, « Aveugles à la race ou au racisme ? Une approche stratégique », dans Éric Fassin et Didier Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, 2006, p. 106-130

([24]) Une première structure interministérielle, le Comité de lutte contre le racisme et l’antisémitisme - Cilcra, avait été créée en 2003, suite à l’’incendie d’une école confessionnelle juive à Gagny (93). Chargé de définir les orientations de la politique menée pour lutter contre les actes et agissements d’inspiration raciste ou antisémite, le Cilcra est beaucoup moins réuni à partir de 2007. C’est avec la création de la fonction de délégué à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme en 2012 qu’un « pilotage centralisé » émerge. Son champs est élargi en 2016 à la lutte contre la haine et les discriminations anti-LGBT, devenant Dilcrah. Cf. Frédéric Potier, « D’un plan à l’autre » : histoire politique de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme », Fondation Jean Jaurès, 18 avril 2018.

([25]) Cerd, Observations finales du comité pour l’élimination de la discrimination raciale, France, 27 août 2010, CERD/C/FRA/CO/17-19 ; Nations Unies, Rapport de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Durban, 31 août-8 septembre 2001, A/CONF.189/12, Programme d’action, §191a).

([26]) Dilcrah, Plan national d'action contre le racisme et l’antisémitisme 2012-2014, 15 février 2012 ; La République mobilisée contre le racisme et l'antisémitisme - Plan d’action 2015-2017, 17 avril 2015 ; Plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (2018-2020), 18 mars 2018 ; Philippe Cannard, Yves Colmou, Ariane Azéma et Hervé Mecheri, Evaluation du plan interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (2015-2017), 15 décembre 2017

Plan national d'action contre le racisme et l'antisémitisme 2012-2014 | DILCRAH

([27]) Dilcrah, Plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine (2023-2026), 30/01/23 ; Le Monde, « Le gouvernement présente son nouveau plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme », 29 janvier 2023 ; Libération, « Visites mémorielles, formations, testing… ce que contient le plan du gouvernement contre le racisme et l’antisémitisme  », 30 janvier 2023 ; Médiapart, « Plan contre le racisme : le gouvernement combat le « monstre » au lance-pierre », 30 janvier 2023

([28]) Cerd, Observations finales concernant le rapport de la France valant vingt-deuxième et vingt-troisième rapport, 2 décembre 2022, p. 2-3

([29]) Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (Ecri), Rapport sur la France, 21 septembre 2022

([30]) Défenseur des droits, « Racisme, antisémitisme et xénophobie : contribution du Défenseur des droits au rapport 2023 de la CNCDH », 21 mars 2024

([31]) Aujourd’hui l’organisation y inclut explicitement la défense de l'État d’Israël, la lutte contre la campagne Boycott - Désinvestissement - Sanction (BDS) et la promotion de la définition IHRA de l’antisémitisme. Lire notamment Seymour Martin Lipset et Earl Raab, Jews and the New American Scene, 1995

([32])²Noam Chomsky, The Fateful Triangle: The United States, Israel, and the Palestinians, 1983 ; Norman Finkelstein, The Holocaust Industry: Reflections on the Exploitation of Jewish Suffering, 2000 ; Tony Judt, Israel: The Alternative, 2003 ;  David Feldman, The Politics of Anti-Semitism, 2005 ; Ilan Pappé, The Ethnic Cleansing of Palestine, 2006

([33])²Brian Klug, « The Myth of the New Anti-Semitism », The Nation, 2 février 2004 ; Jacqueline Rose, The Question of Zion, 2005 ; Norman Finkelstein, Beyond Chutzpah: On the Misuse of Anti-Semitism and the Abuse of History, 2005 ; Judith Butler, Parting Ways: Jewishness and the Critique of Zionism, 2012 ; Ilan Pappé, Ten Myths About Israel, 2017

([34]) Elysée, « Discours du Président de la république française à l'occasion de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv », 16 juillet 2017 ; Dominique Vidal, Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron, 2018

([35]) CNCDH,  Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, 27 juin 2024, p. 265-266

[36]  CNCDH,  Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, 27 juin 2024, p. 271

([37]) Nations Unies, Menaces mondiales à la liberté d’expression liées au conflit à Gaza, 23 août 2024

([38]) Jean-Luc Mélenchon, « L’identité au service du racisme », 21 septembre 2024

([39]) La France insoumise, « L’harmonie des êtres humains entre eux », in L’avenir en commun. Le programme de La France insoumise, 2025 ; Plan pour  une République antiraciste, 17 mars 2025

([40]) Jean‑Hugues Ratenon et alii, Proposition de loi relative à la création d’un jour férié national commémorant l’abolition de l’esclavage par la République française, 30 mai 2018 ; Hadrien Clouet, « Création d’un musée de la résistance juive en France », Assemblée nationale, question écrite n°2197, 18 octobre 2022 ; Idir Boumertit et alii, Proposition de résolution relative à la reconnaissance et la condamnation du massacre des Algériens du 8 mai 1945 à Sétif, Kherrata, Guelma et leurs environs, 5 mai 2025