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N° 1611

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juin 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête visant à la création d’une commission d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles commises par les agents de la police et de la gendarmerie nationales dans le cadre professionnel et les mécanismes favorisant l’impunité des auteurs de ces violences,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Gabrielle CATHALA, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Élise LEBOUCHER, M. Louis BOYARD, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Fin août 2017, Manon, une mère de famille de 28 ans menacée par un mari violent, se présente dans un commissariat toulousain, inquiète pour la sécurité de sa fille. Le policier qui l’accueille dans son bureau se lève pour la rassurer, la prend dans ses bras, et descend progressivement les mains sur ses fesses. La jeune femme tente de fuir, mais le brigadier « bloque la porte, lui attrape la tête, sort son sexe en érection et force la fellation ». Manon attend aujourd’hui le procès de ce policier aux côtés de cinq autres plaignantes.

En 2023, quatre gendarmes strasbourgeois ont été condamnés à des peines de prison avec sursis pour des faits de harcèlement sexuel commis sur une collègue. Ils avaient notamment réalisé des photomontages pornographiques, puis les avaient diffusés auprès de leurs collègues, dont leur hiérarchie, qui avait fermé les yeux.

En février 2025, une femme victime de viol se présente dans un commissariat parisien pour déposer plainte. Un policier récupère son numéro dans le procès‑verbal et lui envoie une photo de lui dénudé. Ce dernier, qui a par la suite été mis en cause par d’autres femmes, a été condamné à deux ans de prison avec sursis, non pas pour agression mais pour détournement de fichiers.

Ces différentes affaires, loin d’être des cas isolés, ont été analysées dans le cadre d’une vaste enquête journalistique, dont les conclusions ont été partagées le 17 juin 2025 par les médias Disclose, Libération et l’Oeil du 20 heures de France 2.

En un an, cette vaste enquête sur les violences sexuelles et sexistes commises par des agents de police ou de gendarmerie a permis à Disclose de recenser 429 victimes et 215 agresseurs, condamnés ou en attente de jugement. Parmi ces victimes déclarées, pour des faits commis entre 2012 et 2025, on trouve 76 % de femmes, 18 % d’enfants, et 6 % d’hommes.

Ce premier recensement de violences sexuelles perpétrées par des agents pourrait en réalité être la partie émergée de l’iceberg. Il n’existe en effet en France aucune analyse précise ou base de données officielle sur ces violences, largement sous‑déclarées, puisqu’elles cumulent à la fois la sous‑déclaration de violences sexistes et sexuelles et celle des violences policières. Ces violences commises par les agents dans le cadre professionnel ne doivent pas faire oublier les violences qu’ils commettent également dans le cadre privé. Certains restent en contact avec des plaignantes dans les commissariats après avoir étén eux‑même condamnés pour violences conjugales. C’est ce qu’illustre l’excellent ouvrage « Silence, on cogne » de Sophie Boutboul et Alizé Bernard paru en 2019.

Des victimes vulnérables du fait des circonstances et de leurs conditions sociales

L’article R434‑141 du code de la sécurité intérieure rappelle un principe évident de déontologie :

« Le policier ou le gendarme est au service de la population. […] Respectueux de la dignité des personnes, il veille à se comporter en toute circonstance d’une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération. »

Malheureusement, ce devoir d’exemplarité est souvent bafoué. Certains policiers ou gendarmes abusent de leur statut et de la situation de vulnérabilité des personnes qu’ils reçoivent, fréquentent, ou qui sont placées sous la contrainte pour commettre divers types de violences.

L’enquête de Disclose démontre que plus de 13 % des victimes ([1]) étaient des plaignantes. Parmi ces femmes, deux tiers voulaient déposer plainte pour violences conjugales ou intrafamiliales.

Pourtant, les victimes se présentant dans un commissariat pour porter plainte s’attendent légitimement à trouver sécurité et protection. Pensant pouvoir faire confiance à leur interlocuteur, elles peuvent se trouver en état de sidération lorsqu’un agent les agresse. Cela rend d’autant plus difficile la possibilité de se défendre pour ces femmes, déjà en situation de détresse physique et/ou psychologique de par leur première agression.

Autres circonstances propices aux agressions : la garde à vue, l’interpellation ou le contrôle policier. Toujours dans le cadre de l’enquête, il a été observé que 17 % des victimes étaient des mises en cause dans des procédures judiciaires.

Ces contextes où les agents usent de leur pouvoir de coercition sont un terreau fertile aux agressions. Ces dernières semblent même parfois être utilisées comme un moyen de répression et d’humiliation.

Le dépôt de plainte en mars 2023 de quatre étudiantes pour agressions sexuelles contre des policiers en est une illustration. Dans la période de manifestations massives contre la réforme de la retraite à 64 ans, elles avaient été ex‑filtrées d’une nasse, puis avaient porté plainte pour viol dans le cadre de palpations violentes et abusives. Le parquet vient de classer leurs dossiers sans suite.

Au-delà du contexte de l’agression, Disclose démontre que les policiers et gendarmes accusés ont ciblé les personnes les plus vulnérables : des femmes victimes de violences sexuelles ou conjugales qui voulaient déposer plainte, des personnes racisées, des adolescents interpellés, des personnes handicapées, des personnes en situation de prostitution, ou encore des personnes migrantes.

Si la violence patriarcale est inhérente aux agressions sexuelles commises par des hommes, à cette violence peut s’additionner d’autres formes de violences qui revêtent une dimension raciste, xénophobe, classiste ou validiste.

Libération relaie par exemple les propos d’un policier angevin qui tente de minimiser les accusations d’agression ou de viol par dix femmes, pour la plupart étrangères ou d’origine étrangère : « Je suis quelqu’un qui ne se trouve pas beau physiquement et dans mon esprit, l’éducation des femmes étrangères est moins basée sur le physique. »

Enfin, la moitié des victimes identifiées par Disclose sont des femmes policières et gendarmes. Ce statut ne les rend pas moins vulnérables, puisqu’il est difficile pour ces agentes de dénoncer des faits commis par des collègues, surtout lorsqu’ils sont placés dans une position hiérarchique plus favorable, par peur de répercussions professionnelles et sociales. Entre policiers et gendarmes agresseurs, la solidarité patriarcale demeure.

L’enquête dévoile notamment les agressions sexuelles et le harcèlement commis par un policier‑formateur sur 24 femmes en un an, majoritairement stagiaires, au sein de l’école de police de Toulouse.

L’utilisation des moyens de la Police ou de la Gendarmerie dans le cadre des agressions

Un autre élément est semblable à toutes les affaires analysées par Disclose : l’utilisation des moyens mis à disposition par l’État.

Ainsi, les agresseurs ont par exemple détourné les données personnelles des victimes pour les contacter ou exercer un chantage, utilisé leur arme pour les menacer ou une voiture de service pour les poursuivre, ou encore simulé des perquisitions ou des fouilles au corps.

L’enquête démontre par ailleurs que les agents accusés n’hésitent pas à faire preuve de chantage ou de menaces pour contraindre leurs victimes. D’autres mentent sur leur pouvoir, par exemple en promettant un traitement judiciaire favorable à leurs victimes si elles gardent le silence.

Peu de sanctions disciplinaires et de condamnations judiciaires : les agents de police et gendarmes semblent audessus des lois

Selon l’enquête, 40 % des 215 policiers et gendarmes accusés ont fait plusieurs victimes au cours de leur carrière. Cette notion de sérialité s’observe également dans le comportement global des mis en cause et condamnés. Il est ainsi spécifié que nombre de policiers condamnés pour agression étaient connus par leurs collègues pour leurs comportements sexistes ou harcelants.

Tous les grades sont concernés par les accusations d’agressions sexuelles, et dans nombre de cas, la hiérarchie était au fait des agissements de ces agents.

Dans les rares cas où une procédure interne est engagée, les sanctions sont minimes et les radiations exceptionnelles. Depuis 2021, 18 policiers ont été sanctionnés pour violences sexuelles. Du côté de la gendarmerie, en 2023, ils sont trois à avoir été radiés sur un total de 46 hommes sanctionnés pour violences sexistes et sexuelles, d’après les données issues de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).

Enfin, malgré les condamnations pour violences sexuelles, sur les 215 policiers mis en cause, cinq sont toujours en poste. Pourtant, 21 % des fonctionnaires signalés à leur hiérarchie ou condamnés pour des faits à caractère sexuel ont récidivé, selon Disclose.

Une autre affaire illustre parfaitement les différentes défaillances internes à l’État. En 2023, un commandant de police en poste à Epinay‑sur‑Seine est condamné pour harcèlement sexuel sur une femme venue porter plainte pour violences conjugales. L’enquête de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) montre qu’en 2012, une plainte avait été déposée, classée sans suite, suite aux accusations d’envoi de textos à caractère sexuel destinés à de jeunes policières. Après une peine de six mois de prison avec sursis, il a été muté dans le commissariat de Montreuil où il exerce toujours.

Le ministre de l’Intérieur aurait validé la sanction disciplinaire infligée à ce commandant : une suspension de huit semaines. Sa peine ne figurerait ni dans son casier judiciaire, ni au fichier des auteurs d’infractions sexuelles.

Les violences policières révélées le 17 juin 2025 s’inscrivent plus particulièrement dans un continuum de violences faites aux femmes allant des « blagues » sexistes, au harcèlement, jusqu’au viol.

Ce même schéma a été observé dans chaque affaire « Metoo » (dans le sport, la culture, la santé, etc) : des hommes en situation de pouvoir abusent de ce dernier pour agresser leurs victimes et les contraindre au silence.

L’institution policière est censée être celle qui les protège. Il semble donc encore plus difficile pour les victimes d’obtenir justice, car elles ne savent pas nécessairement vers qui se tourner.

Ces affaires contribuent à la perte de confiance des citoyens envers la police, ce qui a des répercussions quant à la prise en charge des violences sexistes et sexuelles en France.

Prenons le cas des violences conjugales : il est estimé que seulement 15 % de femmes victimes de violences signalent les faits aux services de police et de gendarmerie. Les autres considèrent qu’elles « manquent de confiance envers la police » (40 %), que « cela n’aurait servi à rien » (24 %), que « ce n’était pas si grave » (24 %), ou encore que « ce ne serait pas pris au sérieux par la police » (16 %) ([2]).

Et pour cause : 40 % des plaintes déposées sont classées sans suite faute de preuves suffisantes ([3]), ce qui contribue au sentiment d’inutilité.

Enfin, et c’est sûrement le plus alarmant, 31 % des victimes de féminicides en 2023 (soit 37 femmes sur 118) avaient signalé des faits antérieurs de violence conjugale à la police ou la gendarmerie, et 90 % d’entre elles avaient déjà porté plainte ([4]).

Nous proposons par conséquent une commission d’enquête parlementaire pour quantifier les violences sexistes et sexuelles commises par les agents de la police et de la gendarmerie nationale dans le cadre professionnel, d’analyser les défaillances et le manque d’indépendance des inspections de la police nationale (IGPN) et de la gendarmerie nationale (IGPN) favorisant la perpétuation de ces violences, et identifier les mécanismes propres au ministère de l’intérieur facilitant l’impunité des auteurs de ces violences.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête composée de trente membres chargée :

– de recenser les violences sexistes et sexuelles commises par des agents de police ou de gendarmerie nationales dans le cadre professionnel ;

– d’analyser les circonstances propres à l’Institution policière favorisant ces violences ;

– de recenser les défaillances en matière de poursuite et de sanctions de ces violences, tant sur le plan administratif que judiciaire, et d’analyser la cause de ces défaillances ;

– de quantifier et d’analyser les moyens budgétaires et les dispositifs en place pour prévenir ces violences sexistes et sexuelles commises par des agents censés protéger les personnes vulnérables.

Cette commission d’enquête établit des préconisations pour enrayer les violences sexuelles et sexistes commises par les agents de la police et de la gendarmerie nationales.

 

 


([1]) 13% parmi les victimes recensées au cours de l’enquête Disclose (429 personnes).

([2]) « Les violences au sein du couple et les violences sexuelles en France en 2022 », Lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes n° 19, mars 2024, p. 27.

([3]) « Les violences sexistes et sexuelles en France en 2023 », Lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes n° 22, novembre 2024.

([4]) « Les violences au sein du couple et les violences sexuelles en France en 2022 », Lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes n° 19, mars 2024, p. 6.