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N° 1613

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juin 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

pour l’inscription des bistrots et cafés français, symboles de l’art de vivre à la française, au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco,

 

présentée par

M. Julien ODOUL, M. Alexandre ALLEGRET-PILOT, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Christophe BARTHÈS, M. Romain BAUBRY, M. José BEAURAIN, M. Guillaume BIGOT, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, Mme Manon BOUQUIN, M. Jérôme BUISSON, M. Eddy CASTERMAN, M. Marc CHAVENT, M. Sébastien CHENU, M. Roger CHUDEAU, M. Bruno CLAVET, Mme Christelle D’INTORNI, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, Mme Edwige DIAZ, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Alexandre DUFOSSET, M. Aurélien DUTREMBLE, M. Olivier FAYSSAT, M. Thierry FRAPPÉ, M. Julien GABARRON, Mme Stéphanie GALZY, M. Frank GILETTI, M. Yoann GILLET, M. Antoine GOLLIOT, M. José GONZALEZ, Mme Florence GOULET, Mme Géraldine GRANGIER, Mme Monique GRISETI, M. Julien GUIBERT, M. Jordan GUITTON, M. Sébastien HUMBERT, M. Laurent JACOBELLI, M. Pascal JENFT, M. Alexis JOLLY, Mme Tiffany JONCOUR, Mme Sylvie JOSSERAND, Mme Florence JOUBERT, M. Robert LE BOURGEOIS, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Nadine LECHON, M. Hervé DE LÉPINAU, Mme Katiana LEVAVASSEUR, M. Julien LIMONGI, M. René LIORET, Mme Christine LOIR, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. David MAGNIER, M. Matthieu MARCHIO, M. Patrice MARTIN, M. Kévin MAUVIEUX, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Yaël MÉNACHÉ, M. Thomas MÉNAGÉ, M. Pierre MEURIN, M. Éric MICHOUX, M. Thibaut MONNIER, M. Serge MULLER, M. Kévin PFEFFER, M. Stéphane RAMBAUD, M. Julien RANCOULE, Mme Catherine RIMBERT, M. Joseph RIVIÈRE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, Mme Béatrice ROULLAUD, Mme Sophie-Laurence ROY, Mme Anaïs SABATINI, M. Emeric SALMON, Mme Anne SICARD, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Thierry TESSON, M. Romain TONUSSI, M. Antoine VILLEDIEU, M. Frédéric-Pierre VOS, M. Frédéric WEBER,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il est des lieux qui, plus qu’aucun autre, incarnent l’âme d’un peuple. Le bistrot français est de ceux‑là. Ni tout à fait un café, ni seulement un débit de boisson, le bistrot est une scène de vie, un théâtre du quotidien où se tissent, jour après jour, les fils invisibles du lien social. Lieu d’habitudes autant que de rencontres inattendues, il est à la fois havre de solitude et carrefour de convivialité.

Le terme lui‑même appartient à notre patrimoine linguistique. Il viendrait du mot russe « bystro », « vite », cri lancé par les cosaques lors de l’occupation de Paris en 1814, sommant les aubergistes de servir sans délai. Qu’elle soit légendaire ou authentique, cette origine raconte déjà quelque chose de l’imaginaire attaché au bistrot : un lieu populaire, accessible, vivant, ancré dans l’instant et l’échange.

Dès le XIXe siècle, le bistrot devient un pilier de la sociabilité française. Il se distingue du grand café bourgeois par sa simplicité, sa familiarité, son ancrage dans les faubourgs ouvriers comme dans les campagnes. On y boit un ballon de rouge ou un petit noir, on y joue aux cartes, on y lit le journal, on y parle politique, on s’y dispute et on s’y réconcilie. Il est ce lieu de proximité où chacun trouve sa place, au comptoir comme en terrasse.

Durant la première moitié du XXe siècle, la France comptera jusqu’à 500 000 bistrots, soit un pour 80 habitants. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 38 800. Et le rythme ne faiblit pas : on compte en moyenne 2 700 fermetures annuelles pour seulement 2 200 créations. Le solde est négatif chaque année, et l’érosion se poursuit. Les causes sont connues : déclin de la vie rurale, pression foncière et réglementaire, concurrence des franchises, changements de mode de vie.

Mais au‑delà des chiffres, c’est toute une géographie sociale et humaine qui se déstructure. Deux tiers des communes rurales sont désormais dépourvues de tout commerce, bistrot compris. Dans certains villages, le café est le dernier lieu où l’on se croise, où l’on parle, où l’on vit ensemble. Là où il disparaît, le silence s’installe, et avec lui l’isolement.

La situation varie selon les territoires. Tandis que les banlieues et couronnes urbaines enregistrent les fermetures les plus rapides, les zones rurales isolées résistent encore, portées par des initiatives locales, parfois citoyennes. Mais cette résistance demeure fragile et nécessite un appui clair des pouvoirs publics.

Conscient de cette fragilité, le ministère de la Culture a inscrit en septembre 2024 les pratiques sociales et culturelles des bistrots et cafés de France à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. Cette reconnaissance marque la première étape d’un processus de sauvegarde, qui doit désormais se prolonger par une candidature auprès de l’UNESCO.

L’association « Bistrots et Cafés de France », porteuse de cette ambition, élabore actuellement le dossier de candidature qui devra être examiné par le ministère de la Culture. Car si la France ne peut proposer qu’une seule inscription tous les deux ans, nul doute que le bistrot mérite d’être ce choix, tant il porte en lui une identité, une mémoire, un art de vivre partagés.

L’inscription des bistrots et cafés français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité serait une réponse forte à l’uniformisation qui menace nos sociétés. Elle permettrait de raviver l’intérêt des collectivités, de soutenir les initiatives de transmission et de valorisation, d’encourager la reprise et l’installation de jeunes exploitants, et de réaffirmer l’importance de ces lieux dans notre géographie affective.

Cette reconnaissance internationale devra s’accompagner de politiques volontaristes en faveur de la réimplantation des cafés dans les territoires délaissés, du soutien aux repreneurs et de la valorisation des bistrots comme leviers de cohésion sociale. Elle doit aussi être un signal clair adressé à tous les maires de France qui se battent pour maintenir un service de proximité dans leur commune, aux petits exploitants qui souhaitent diversifier leur activité, et à la jeunesse de nos territoires, qui cherche à entreprendre sans renier ses racines.

À l’heure où les centres‑villes se désertifient et où le lien social s’effrite, il est plus que jamais temps de reconnaître la valeur universelle de ces établissements modestes, chaleureux, profondément humains. Préserver les bistrots, c’est préserver ce que la France a de plus simple et de plus grand à la fois : la capacité à faire société autour d’un comptoir.

C’est précisément l’objet de cette proposition de résolution : encourager le Gouvernement à soutenir activement la candidature des bistrots et cafés français au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, afin de garantir la reconnaissance internationale de leur valeur sociale, humaine et culturelle, et d’apporter un levier de sauvegarde à ces lieux menacés, en particulier dans les territoires ruraux. Il y va de la préservation d’un mode de vie, d’un tissu de proximité et d’une identité collective, à l’heure où la France, plus que jamais, a besoin de lieux pour faire société.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que les bistrots et cafés constituent un pilier essentiel de la vie sociale, culturelle et locale en France, en tant que lieux de convivialité, de transmission et de cohésion intergénérationnelle ;

Considérant leur rôle historique dans la structuration du lien social, l’animation de la vie de quartier ou de village, l’attractivité des territoires, ainsi que la préservation de savoir‑faire, de pratiques orales et de traditions populaires propres à chaque région ;

Considérant que les bistrots et cafés, bien au‑delà de leur fonction commerciale, incarnent un art de vivre typiquement français, fondé sur la proximité, l’échange et la liberté d’expression ;

Considérant l’inscription, en septembre 2024, des pratiques sociales et culturelles associées aux bistrots et cafés de France à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel, reconnaissance décisive de leur valeur culturelle par le ministère de la Culture ;

Considérant que cette reconnaissance nationale constitue une étape préalable et indispensable en vue du dépôt d’une candidature officielle au patrimoine culturel immatériel de l’humanité auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture ;

Considérant l’urgence à protéger ces établissements aujourd’hui fragilisés, dont le nombre a drastiquement diminué en un siècle, alors qu’ils incarnent un modèle de sociabilité, une mémoire collective et une identité culturelle reconnue et admirée dans le monde entier ;

Considérant que leur inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco constituerait une avancée majeure pour leur sauvegarde, leur transmission et leur valorisation dans les politiques publiques nationales et locales ;

Souligne que les bistrots et cafés jouent un rôle irremplaçable dans les territoires ruraux, où ils sont bien souvent le dernier lien social, le dernier commerce de proximité, le dernier lieu de vie collective ;

Appelle le Gouvernement à faire de cette candidature une priorité nationale, à reconnaître pleinement la dimension patrimoniale de ces établissements, et à engager sans délai les démarches nécessaires auprès du ministère de la Culture pour assurer l’inscription des bistrots et cafés français au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.