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N° 1676

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juillet 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la composition des protections menstruelles,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Élise LEBOUCHER, M. Louis BOYARD, Mme Gabrielle CATHALA, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Andrée TAURINYA, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Sandrine JOSSO, Mme Karine LEBON, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Marie POCHON, M. François RUFFIN, M. Laurent LHARDIT, Mme Constance DE PÉLICHY,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Chaque année, plus de 2,8 milliards de produits de protection intime sont vendus en France. Jetables ou réutilisables, externes ou internes, les protections hygiéniques sont un incontournable du quotidien des personnes menstruées. Sans accès à des produits adaptés lors des règles, c’est la capacité à mener à une vie normale, à aller à l’école ou au travail, à pratiquer un sport ou des loisirs, à mener une vie sociale et indépendante qui est entravée. Dans un rapport de mars 2019, plusieurs expert·es des Nations Unies déclaraient ainsi que « le fait de ne pas [répondre aux besoins des femmes et des filles en matière de santé menstruelle] a un impact négatif sur tous les aspects de la vie des femmes ».

Pourtant, en 2025, avoir ses règles a un coût symbolique, économique, écologique et sanitaire. Coût symbolique d’abord : comme le relève un rapport de la Délégation aux droits des femmes (DDF) de l’Assemblée nationale, « les règles mettent mal à l’aise ». Trop souvent, les menstruations sont encore vues comme un phénomène « sale ». En 2022, 55 % des Français·es pensent ainsi que les règles sont un sujet dont il ne faut pas parler en public. En 2025 encore, 51 % des Européen·nes considèrent les règles comme un sujet tabou, voire très tabou.

Cela entraîne toute une série de conséquences néfastes : précarité menstruelle, méconnaissance du fonctionnement des cycles menstruels et de son propre corps, errance médicale, traitements inadaptés, renoncement aux soins, sentiment de honte pendant ses règles…

Coût économique également : l’achat de serviettes, tampons et anti‑douleurs représente un coût moyen de 3 800 euros au cours d’une vie, une facture qui ne prend toutefois pas en compte les dépenses liées au suivi gynécologique ou l’achat de sous‑vêtements et linge de lits qui peuvent être tachés par le sang des règles. Un coût important et qui pèse toujours plus sur le portefeuille des femmes, alors que selon une étude NielsenIG de 2022, sur un an, le tarif moyen a augmenté de 8,3 % pour un paquet de serviettes hygiéniques, et de 9,8 % pour une boîte de tampons. Dans un contexte d’inflation, et alors que les politiques néolibérales ont paupérisé des pans entiers de la population, une enquête OpinionWay révélait ainsi en 2023 que près de 4 millions de femmes menstruées étaient concernées par la précarité menstruelle, soit 31 % des femmes menstruées de 18 à 50 ans. Un chiffre qui a doublé entre 2021 et 2023, et reste pourtant sous‑estimé car il n’inclut pas les personnes trans ou non‑binaires menstruées. Une précarité menstruelle qui perdure : en 2025, un tiers des femmes européennes déclarent avoir renoncé à l’achat de protections périodiques au cours des 12 derniers mois pour des raisons financières.

Un coût pour la planète, alors que 45 milliards de serviettes menstruelles seraient jetées chaque année à l’échelle mondiale, et qu’une serviette hygiénique nécessite plus de 500 ans pour se dégrader. Les tampons et serviettes, protections hygiéniques les plus utilisées, contiennent la plupart du temps du plastique, que ce soit dans les applicateurs, la partie absorbante ou les emballages. Le coton, également utilisé pour leur fabrication, est particulièrement gourmand en eau. En 2020, les rapporteures de la DDF déploraient l’absence de filière de recyclage des produits menstruels ainsi que le manque d’informations sur les enjeux écologiques liés à ces produits. Si le marché des protections réutilisables (serviettes lavables, cups ou encore culottes menstruelles, dont les ventes ont été multipliées par 4 entre décembre 2020 et décembre 2021) est en pleine expansion, le coût plus élevé de ces protections reste une barrière pour nombre de personnes menstruées.

Enfin, un coût pour la santé. Dans les années 1980, le tampon Rely, vendu comme ultra‑absorbant, provoque 600 syndromes de choc toxique (SCT) aux États‑Unis dont une centaine de décès, menant Procter & Gamble à retirer son produit après un procès. Plus récemment, en 2012, Lauren Wasser, jeune mannequin américaine, doit subir une amputation de la jambe gauche puis de la jambe droite suite à un SCT. Les protections menstruelles sont‑elles dangereuses pour notre santé ? Si une étude de 2020 par le Centre national de référence du staphylocoque des Hospices Civils de Lyon semble indiquer que le risque de SCT est surtout lié aux conditions d’utilisation des protections périodiques (port de tampons pendant une durée prolongée – plus fréquent en cas de précarité menstruelle ‑, défaut de lavage des mains avant l’insertion du tampon…), plusieurs études questionnent sur l’impact de la composition des protections menstruelles sur la santé.

En France, c’est la mobilisation des citoyennes et des associations qui va permettre de rompre le silence qui entoure la composition des produits périodiques, d’abord avec la pétition #BonjourTampaxOùEstLaCompositionDeVosTampons lancée par l’étudiante Mélanie Doerflinger en 2015 et qui recueille plus de 200 000 signatures. La première alerte est lancée en France par le magazine 60 millions de consommateurs en 2016, dont les analyses révèlent des traces de produits toxiques (pesticides, perturbateurs endocriniens, dioxines, etc.). Les études vont ensuite se succéder, aux résultats toujours plus alarmants : des traces de dioxines, glyphosate et autres pesticides (dont certains interdits depuis plusieurs années dans l’Union européenne, comme lindane ou le quintozène), de dérivés halogénés, de polluants industriels, de phtalates ou encore de polluants éternels seront ainsi détectées dans diverses protections hygiéniques… Une étude de l’université de Berkeley parue en juillet 2024 a quant à elle détecté la présence de 16 métaux toxiques dans la composition de tampons commercialisés par certaines marques aux États‑Unis et dans l’Union européenne. Sur la liste : du cadmium, du chrome, du zinc, de l’arsenic ou encore du plomb. Plus récemment encore, une étude du Women’s Environmental Network (WEN) a révélé la présence de glyphosate dans des tampons et serviettes, avec des taux 40 fois supérieurs à ceux autorisés pour l’eau potable.

Le rapport de la DDF relève en outre que les études sur la composition des protections ont révélé la présence de substances indésirables dans des protections menstruelles vendues sous le label ‘biologique’. Si le risque est moins élevé avec les produits labellisés biologiques qu’avec les protections non biologiques, l’absence de cadre réglementaire empêche d’identifier et de punir la vente de produits non labellisés faussement présentés comme bio ou encore ceux vendus comme « sans toxiques » sans analyses ni cadre de référence à l’appui, rendant d’autant plus difficile le choix pour les consommatrices. Les personnes menstruées se retrouvent ainsi « tentées d’acquérir à prix plus élevé des produits présentés comme biologiques et donc plus « propres », sans pour autant avoir de garanties sur leur composition ».

En ce qui concerne les protections réutilisables, elles‑mêmes aussi associées à des prix d’achat plus élevés, des nanoparticules d’argent ont été retrouvées dans les culottes menstruelles. En 2020, l’université de Notre‑Dame‑du‑Lac dans l’Indiana avait également relevé des niveaux élevés de PFAS dans les culottes menstruelles de la marque Thinx.

L’ANSES aussi a confirmé la présence de résidus de produits toxiques potentiellement nocifs dans diverses protections menstruelles. L’agence reste pourtant dans l’incapacité d’estimer leur dangerosité faute de référentiel adapté : en effet, si elle constate que les traces de produits toxiques ne dépassent pas les seuils fixés par les différentes règlementations, elle note que ces seuils se réfèrent à une utilisation cutanée et non auprès des muqueuses ou de la paroi vaginale. Or, ces zones ont un potentiel d’absorption chimique plus élevé que les autres parties du corps.

Les risques que présentent les substances retrouvées pour la santé sont pourtant considérables. Nombre de ces contaminants sont avérés ou suspectés d’être cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ou d’être des perturbateurs endocriniens (PFAS, dioxines et pesticides organochlorés…). Le nanoargent est lui associé à des modifications de la muqueuse vaginale, car il tue l’ensemble des bactéries présentes, y compris les lactobacilles bénéfiques à la flore locale, exposant à des risques plus élevés de vaginoses bactériennes, d’IST et de complications liées à la grossesse. Jeanni A. Shearston, autrice de l’étude de Berkeley, alerte, elle, particulièrement sur la présence de plomb : « Il n’y a pas de niveau d’exposition au plomb qui soit sans danger pour la santé […] ». Elle indique que des recherches complémentaires sont nécessaires afin de déterminer si les métaux peuvent s’échapper du tampon et potentiellement se retrouver dans la circulation systémique, c’est‑à‑dire la partie de l’appareil cardiovasculaire qui amène le sang oxygéné du coeur vers tous les autres les organes du corps et renvoie le sang veineux au coeur.

Face à ces constats, de multiples acteurs ont émis des recommandations pour protéger la santé. L’ANSES a ainsi recommandé aux industriels d’améliorer la composition de leurs produits, en cessant notamment l’utilisation des substances parfumantes, et de mener plus d’études sur l’impact de leurs produits et de l’utilisation des protections périodiques sur la santé des femmes. Dans leur rapport de 2020 au nom de la DDF, Bénédicte Taurine et Laëtitia Romeiro‑Dias formulaient également plusieurs recommandations, réclamant des analyses régulières par les fabricants de la composition de leurs produits, la publication des résultats de ces recherches, des mesures de transparence sur la composition des protections menstruelles, un cahier des charges standardisé pour les fabricants afin d’éliminer tout risque de contamination par des substances toxiques dangereuses, ou encore une réflexion sur la mise à l’écart des fournisseurs de matières premières pour lesquelles des traces de pesticides interdits en Europe auront été relevées lors des analyses. Elles appelaient en outre à « renforcer, en collaboration avec les fabricants, l’information sur le temps de port maximal et le risque de SCT sur les emballages de protections menstruelles internes ». La Résolution du Parlement européen du 24 juin 2021 appelait quant à elle les États membres à « encourager la mise à disposition à grande échelle de produits menstruels exempts de substances toxiques et réutilisables, notamment dans les réseaux de grande distribution et les pharmacies sur tout le territoire national (qui devrait correspondre au minimum à la proportion des articles à usage unique mis en vente) ».

Mars 2022, le Gouvernement français semble se décider à enfin agir, et annonce la publication d’un futur décret dit « Transparence », dont le but sera d’obliger tous les fabricants à afficher la composition exhaustive de leurs produits, première étape vers l’encadrement de la fabrication et de la composition des protections. Les associations Règles Élémentaires, Georgette Sand et la Fondation des Femmes, impliquées dans la rédaction, ont pourtant vite buté sur l’opacité du processus de rédaction. Elles n’ont ainsi pu accéder aux comptes‑rendus des échanges menés séparément avec les industriels qu’après une saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), des documents cependant inutilisables car caviardés pour des raisons de confidentialité. En janvier 2023, elles découvrent un projet de décret totalement vidé de sa substance : le projet ne prévoit aucune garantie que la liste des produits utilisés dans la composition soit indiquée sur la boîte contenant les protections périodiques ! Face à cette menace de régression inacceptable, les associations mobilisent autour de la pétition #Affichetacompo, qui recueille près de 20 000 signatures.

Le décret final est publié le 30 décembre 2023. La mobilisation citoyenne a permis une victoire : celle que la liste des produits utilisés dans la composition soit indiquée sur la boîte contenant les protections. Pourtant, une grande majorité des inquiétudes des associations et des citoyennes reste ignorée. Le décret est entré en vigueur le 1er avril 2024, mais les produits déjà mis sur le marché ont pu rester en vente ou être distribués gratuitement jusqu’au 31 décembre 2024, les industriels arguant de courts délais imposés pour pouvoir se mettre en conformité avec les exigences du décret. On peut constater aujourd’hui que la majorité des fabricants ont respecté la partie du décret liée aux obligations d’affichage, mais qu’aucune des informations prévues pour être affichées sur le paquet ou mise à disposition sur la notice par le décret ne permettrait à ce stade de répondre à la question : cette protection est‑elle nocive pour ma santé ?

En effet, seuls les ingrédients ajoutés intentionnellement par les fabricants doivent être mentionnés dans la composition, par exemple les parfums et les antimicrobiens. Ceci alors même que la présence de substances nocives est souvent due à la contamination des matières premières, à l’usage des produits dérivés de la pétrochimie (contenant de nombreux perturbateurs endocriniens) ou encore aux procédés de fabrication (usage de pesticides dans la culture du coton, blanchiment, collage…). Ainsi, si la majorité des paquets en vente comportent aujourd’hui une liste d’ingrédients intentionnellement ajoutés, il n’est toujours pas possible de savoir si le produit peut porter atteinte à la santé des utilisatrices. Les composants présentés ne sont pas standardisés et ne sont pas indiqués par ordre d’importance, rendant illisible l’information présentée. Par ailleurs, les informations concernant les précautions d’utilisation et les risques sanitaires associés à l’usage des produits dont la publication était également prévue dans le décret sont très rarement présentes.

La transparence est un impératif, d’autant plus que le Gouvernement s’apprête à publier le cahier des charges concernant le remboursement par la Sécurité sociale des protections périodiques réutilisables pour les personnes de moins de 26 ans et les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S). Cette prise en charge est certes une avancée, bien que limitée car elle laisse les femmes les plus précaires de côté. Surtout, elle doit s’accompagner de garanties : la solidarité nationale ne doit pas financer le remboursement de produits nocifs pour notre santé !

Aujourd’hui, la responsabilité de se procurer des protections saines repose sur les consommatrices qui ne bénéficient d’aucune information permettant de la faire de manière éclairée, alors que la responsabilité de mettre des produits sains sur le marché devrait être celle des fabricants et industriels, encadrés par des textes et réglementations protecteurs.

Alors que le marché français des protections menstruelles est particulièrement profitable et réparti entre quelques gros acteurs (Procter & Gamble détenait 45 % du marché de l’hygiène féminine en France en 2022), générant plus de 385 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2021, tout encadrement est perçu comme une menace sur ces profits. Ceci au prix de la santé des personnes menstruées.

Dès lors, l’Assemblée nationale considère nécessaire la création d’une commission d’enquête pour analyser les risques pour la santé des personnes menstruées liés à la composition des protections menstruelles, évaluer les actions entreprises par les pouvoirs publics face à ces risques et identifier de potentielles défaillances, et identifier les stratégies de lobbying des industriels et leur impact sur les décisions des pouvoirs publics.

 

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres. Cette commission d’enquête a pour missions :

1° d’analyser les risques pour la santé des personnes menstruées liés à la composition des protections menstruelles, en prenant en compte l’intégralité du processus de fabrication de ces protections ;

2° d’évaluer les actions entreprises par les pouvoirs publics dans la protection des personnes menstruées face aux risques posés par les protections menstruelles pour la santé et d’identifier de potentielles défaillances ;

3° d’identifier les stratégies de lobbying des industriels et leur impact sur les décisions des pouvoirs publics, ainsi que les éventuels conflits d’intérêt.