N° 1753
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à exclure l’exploitation des énergies fossiles des garanties d’emprunt auprès de la Banque centrale européenne,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
Mme Eva SAS,
députée.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Le changement climatique frappe déjà durement nos territoires et pourtant notre politique monétaire continue de soutenir les entreprises développant des projets d’extraction d’énergies fossiles, responsables des émissions de gaz à effet de serre. Derrière l’apparat de politiques environnementales ambitieuses, nos institutions soutiennent, de fait, les entreprises les plus contributrices au dérèglement climatique en reconnaissant la détention de leurs actions comme une garantie permettant d’emprunter de la monnaie européenne.
En effet, dans le cadre des opérations de refinancement de l’Eurosystème, la Banque centrale européenne impose aux Banques centrales des garanties en échange des liquidités qu’elles fournissent. Ce « collatéral » de politique monétaire permet notamment au créancier de se rembourser en cas de défaillance de son débiteur.
Or les critères d’éligibilité des actifs acceptés comme collatéraux de la Banque centrale européenne - le « cadre de collatéraux » - n’intègrent aucune dimension climatique, et favorisent donc jusqu’ici les entreprises fortement émettrices, alors même que les conséquences du changement climatique sont de plus en plus prégnantes dans le quotidien de nos concitoyens.
Après le cyclone Chido qui a rasé le territoire mahorais à quelques jours des célébrations de la fin de l’année 2024, c’est l’île de la Réunion qui a subi les foudres du cyclone Garance, le 28 février 2025. Les vents ont brisé des milliers d’habitations, arraché des arbres et les coulées d’eau et de boue ont emporté des routes et inondé des centaines de logements. Le ministre des outre‑mer estimait ainsi à 400 millions à 500 millions d’euros, le montant des dépenses publiques nécessaires pour rétablir le fonctionnement de l’île.
Suite à la violence des orages de la semaine du 19 mai dans l’hexagone, 45 communes du Tarn‑et‑Garonne et 14 communes du Var se sont vues reconnaître l’état de catastrophe naturelle. À la Môle, les habitants ont dû sauver les enfants de la crèche de la commune de la montée des eaux en les faisant passer un à un par‑dessus la palissade d’un voisin, heureusement présent.
Quelques jours plus tard (le 28 mai 2025), l’éboulement du glacier de Birch dans le Valais suisse livre le tableau glaçant du devenir de certains de nos villages alpins. En quelques secondes, des millions de mètres cubes de roche et de glace ont fait disparaître la commune de Blatten.
Ces terribles catastrophes d’actualité ne sont que quelques exemples isolés, qui montrent que l’ensemble de nos territoires est voué à subir l’intensification de ces phénomènes, qui ne peuvent inviter qu’à agir.
L’action collective face au changement climatique est d’autant plus essentielle que la Cour des comptes rappelle dans son rapport sur La situation et les perspectives des finances publiques rendu public en juillet 2024, qu’il est établi qu’au niveau mondial, le coût de l’inaction climatique est supérieur, à terme, au coût de l’action. D’ailleurs, dans un scénario d’atteinte coordonnée de la neutralité carbone au niveau mondial à l’horizon 2050, l’impact du réchauffement climatique demeurerait important, mais plus faible qu’à politique inchangée, selon le Network for Greening the Financial System (NGFS), au niveau mondial.
La différence avec le scénario d’inaction climatique va croissant : le coût macroéconomique du réchauffement climatique atteindrait dans le cas d’une action mondiale coordonnée - 3,6 points de produit intérieur brut (PIB) en 2030 et - 4,2 points de PIB en 2050, contre respectivement - 5,1 et - 9,0 points de PIB, au niveau mondial, en continuant au rythme actuel. Pour ce qui est de la France, l’Ademe, citée dans le rapport de juillet 2024 de la Cour des comptes, estime l’impact du réchauffement climatique à environ - 2 points de PIB en 2030 et - 4,5 points de PIB en 2050 dans un scénario de statu quo climatique. Maintenir l’habitabilité de la planète et assurer la durabilité de notre économie dépendent donc aujourd’hui du même impératif : assurer l’atteinte de nos objectifs climatiques.
L’Union européenne a ainsi notamment mis en place une stratégie « Fit for 55 », qui fait de la réduction des émissions de l’Union d’au moins 55 % d’ici à 2030 une obligation légale. Une cruelle ironie quand de l’autre main, la détention d’actifs « bruns » est considérée comme une garantie qualitative pour emprunter auprès de la Banque centrale européenne.
La stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne et de ses États membres devrait en effet couvrir l’ensemble des dimensions économiques, mais laisse de côté la politique monétaire, malgré les missions de la Banque centrale européenne, et notamment la stabilité de notre économie. Comment comprendre, alors, que neuf entreprises ayant des activités en lien avec les énergies fossiles aient satisfait les critères d’éligibilité de ces « collatéraux », entre juillet 2024 et mars dernier ?
Ainsi, pour garantir son bilan, la Banque de France exige en garantie des actifs d’une valeur au moins équivalente au montant de refinancement. Le cadre réglementaire étant défini au niveau européen, c’est ce dernier que les auteurs de cette proposition appellent à redéfinir pour assurer la cohérence de notre politique monétaire avec nos objectifs climatiques et ne pas encourager les activités qui participent le plus au changement climatique, comme c’est présentement le cas.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vue la loi n° 2016‑786 du 15 juin 2016 autorisant la ratification de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 ;
Vue la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets
Vu le règlement (UE) 2021/1119 du parlement européen et du conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre pour atteindre la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat ») ;
Vu le règlement (UE) 2021/1056 du parlement européen et du conseil du 24 juin 2021 établissant le Fonds pour une transition juste ;
Vu le règlement du Conseil européen modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs ;
Vue la directive du Conseil européen modifiant la directive 2011/85/UE sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres de l’Union européenne ;
Vus les articles 13 et 48 du Traité sur l’Union européenne, et notamment ses articles 13 et 48 ;
Vue la version consolidée du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Considérant que les conséquences du dérèglement climatique sont telles que la synthèse de neuf années de travaux du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) publiée le 20 mars 2023, est désormais qualifiée de « guide de survie pour l’humanité » par le secrétaire général de l’ONU, António Guterres ;
Considérant la multiplication des événements violents liés au changement climatique dans le monde et dans chaque État membre de l’Union européenne, dont la France ;
Considérant que les investissements nécessaires pour l’adaptation sont encore peu documentés alors même que le premier rapport de l’Agence Européenne de l’Environnement sur l’Évaluation des Risques climatiques européens publié le 23 avril 2024 annonce que « Si l’on applique les échelles de gravité utilisées dans l’évaluation européenne des risques climatiques, plusieurs risques climatiques ont déjà atteint des niveaux critiques. Or, si aucune mesure décisive n’est prise aujourd’hui, la plupart des risques climatiques recensés pourraient atteindre des niveaux critiques, voire catastrophiques d’ici la fin du siècle. Des centaines de milliers de personnes succomberaient sous l’effet des vagues de chaleur, et les pertes économiques dues aux seules inondations côtières pourraient dépasser les 1 000 milliards d’EUR par an. » ;
Considérant comme le Haut Conseil pour le Climat dans sa lettre au Premier ministre du 2 avril 2024 que malgré les déclarations des gouvernements successifs, la France ne remplit pas ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effets de serre, et ne doit pas négliger les efforts à fournir, puisqu’elle s’est fixée comme objectif de réduire ses émissions de 5 % par an tous les ans de 2022 à 2030, et constatant que le résultat de 2023 d’une baisse de 4,8 % puis de 1,8 % en 2024 d’après le Citepa restent inférieurs à cet objectif ;
Rappelant le rôle essentiel que joue la politique monétaire européenne pour les investissements publics nationaux : les décisions prises par la banque centrale influençant l’activité nationale des États membres ;
Considérant que la communication de la Commission européenne du 11 décembre 2019 intitulée « Le pacte vert pour l’Europe » définit une nouvelle stratégie qui vise à transformer l’Union européenne en une société juste et prospère, dotée d’une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources, caractérisée par l’absence d’émission nette de gaz à effet de serre d’ici à 2050 et dans laquelle la croissance économique sera dissociée de l’utilisation des ressources. Le Pacte Vert pour l’Europe visant aussi à protéger, préserver et consolider le patrimoine naturel de l’Union, ainsi qu’à protéger la santé et le bien‑être des citoyens des risques et incidences liés à l’environnement. Dans le même temps, cette transition doit être juste et inclusive, en ne laissant personne de côté, dans son soutien comme dans les efforts demandés ;
Considérant le bilan des mesures déployées par la Commission européenne depuis le 14 juillet 2021 afin de répondre aux objectifs « fit for 55 » de la « loi européenne sur le climat », parmi lesquelles : le système d’échange de quotas d’émissions, le règlement sur la répartition de l’effort, le règlement sur l’utilisation des terres, la foresterie et l’agriculture, la directive sur les énergies renouvelables, la directive sur l’efficacité énergétique, les normes de réduction des émissions des véhicules particuliers, les initiatives « ReFuelEU » Aviation et Maritime, la taxation de l’énergie, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ;
Considérant qu’en contradiction avec les objectifs susmentionnés, les actifs fossiles représentaient en moyenne 6 % des titres d’entreprises négociables éligibles chaque jour en tant que collatéral entre juillet 2023 et janvier 2024. De plus l’Eurosystème a rendu éligibles, entre juillet 2024 et mars 2025, de nouveaux actifs de 9 entreprises développant des champs pétro‑gaziers et/ou sans plan crédible de sortie du charbon d’après les organisations Reclaim Finance et Urgewald ;
Considérant que ces actifs en lien avec les énergies fossiles représentent aujourd’hui 12,96 milliards d’euros émis sur les marchés financiers, encourageant leurs détenteurs à la poursuite de leurs activités, menaçant ainsi la réussite de nos objectifs climatiques et la sécurité et la santé humaine ;
Considérant que la Banque centrale européenne révise actuellement sa stratégie de politique monétaire. La dernière révision datant de juillet 2021 et ayant introduit sa première Feuille de route climatique ;
Considérant que la Banque centrale européenne s’était engagée en juillet 2022 à verdir son cadre de collatéral mais qu’aucune mesure n’a encore été mise en place ;
Appelle de ses vœux le développement et la mobilisation par les institutions européennes de solutions monétaires innovantes pour financer la transition écologique ;
Demande l’exclusion sans délai des actifs des entreprises des énergies fossiles du cadre des collatéraux. Ces actifs sont définis comme ceux liés à des entreprises impliquées dans l’exploration, l’exploitation, le raffinage de charbon, de pétrole et de gaz, de la production d’électricité à partir de charbon, ainsi que du transport et de la transformation du gaz en gaz naturel liquéfié.